Les trois années de dérogation pour l’utilisation des néonicotinoïdes ne seront pas de trop pour trouver des solutions contre la jaunisse virale de la betterave. Les semenciers travaillent d’arrache-pied pour proposer en 2024 des variétés à haut potentiel de productivité et présentant des tolérances contre les principaux virus, en particulier le très redouté BYV, qui cause le plus de dégâts en termes de rendement.
Les semenciers devront en parallèle introduire ces tolérances à la jaunisse pour l’ensemble des segments du marché français, à savoir la forte pression de rhizomanie (FPR), les nématodes, le rhizoctone brun et les maladies du feuillage.
Screening de variétés tolérantes
Les recherches se sont d’abord focalisées sur un screening du matériel existant pour repérer les meilleurs hybrides et identifier les zones du génome qui gouvernent la tolérance à la jaunisse. Mais les semenciers travaillent aussi sur l’identification des gènes de résistance.
« Notre stratégie consiste, dans un premier temps, à produire des variétés à haut potentiel qui perdent le moins de rendement en présence des trois virus de la jaunisse, surtout au BYV », expose Bruno Dequiedt, directeur général de SESVanderHave France.
Florimond Desprez adopte la même stratégie: le semencier français teste du matériel issu de son programme de génomique Aker, qui a étoffé la diversité de sa banque de gènes. « Cette approche de moyen et long terme permet de sélectionner des résistances durables, car provenant de plusieurs sources », ajoute Faustine Duyck, responsable de la communication betteraves de Florimond Desprez.
KWS estime également que les variétés dotées d’un plus fort potentiel génétique ont de meilleurs résultats en présence de jaunisse. « Les premières années sans néonicotinoïdes, vous allez vouloir des variétés vertes. Or, dans nos essais, on voit que les variétés qui ont le plus fort potentiel au départ s’en sortent le mieux, sans être forcément les plus tolérantes. Il faudra s’habituer à voir des feuilles jaunes », prévient Patrick Mariotte directeur général de KWS France.
« Les feuilles de ce type de variétés peuvent jaunir, mais il n’y aura pas de défoliation », ajoute Paul Edeline, responsable du développement betterave de Deleplanque.
« L’utilisation de variétés tolérantes, qui ont le plus haut potentiel de rendement et qui risquent de perdre le moins possible de rendement en présence jaunisse, constituera une phase intermédiaire avant l’arrivée des variétés résistantes, détaille Benoît Rose, directeur commercial pour l’Europe de l’Ouest de Betaseed. Aujourd’hui, les parcelles plus vertes n’ont pas forcément un meilleur rendement ».
Dans le futur, les variétés réellement résistantes – donc avec des feuilles vertes – prendront la relève, quand les sélectionneurs auront intégré les gènes de résistances aux trois virus au génome de leurs variétés élites. « Nous arriverons avec de nouvelles générations vers 2026, avec un niveau de résistance renforcée. La betterave n’aura alors pas de symptômes », prévoit Bruno Dequiedt.
Le pari de la résistance aux virus
Maribo semble être le semencier le plus avancé sur la question de l’identification des gènes de résistance. Un pari qui lui permettra peut-être de retrouver la place qu’il avait sur le marché français au début des années 2000. Maribo a donc choisi de sortir tout de suite des variétés qualifiées par ses services de résistantes. Le semencier bénéficie des travaux entrepris par la multinationale Syngenta, suite à la reprise de son activité betterave Hilleshög en 2017. « Nous travaillons sur une résistance multigénique, qui induit une résistance totale vis-à-vis du virus BMYV et partielle sur le BYV. En revanche, elle ne l’est pas pour le virus BChV, mais nous travaillons, comme les autres semenciers, sur la tolérance. On peut donc introduire les gènes de résistance sur des variétés tolérantes afin de sécuriser le rendement sur le virus BChV », explique Éric Dubert, directeur des activités betterave de Maribo en France et en Belgique. Deux variétés résistantes ont été déposées cette année pour analyse au CTPS, l’organisme chargé de la gestion du catalogue officiel des variétés en France. Une nouvelle génération sera déposée en 2023. « Nous sommes confiants, car nous gagnons environ 15 % de rendement à chaque génération. Cela va vite ».
Ces variétés résistantes seront estampillées VYtech, « Nous avons déjà produit 1 500 unités de ce type d’hybrides qui seront notamment semées dans les fermes pilotes du Plan National de Recherche et d’ Innovation (PNRI). Le comportement de ces variétés sera ainsi étudié en conditions réelles de culture », révèle Éric Dubert.
Ce type de variété devrait être au plus tôt commercialisé en 2024, si le CTPS les juge effectivement aptes à être inscrites après seulement une année de test. « Nous avons déjà prévu un plan de production conséquent ».
Véritable lancement commercial en 2024
Alors, que trouvera-t-on sur le marché dans les années à venir ? SESVanderHave estime que les variétés tolérantes ont encore une productivité trop faible pour être commercialisées en 2023. « Nous allons vraiment communiquer en 2024 », déclare Bruno Dequiedt.
KWS ne va pas non plus communiquer sur la résistance à la jaunisse pour les variétés semées en 2023. « Dès les semis 2024, nous commercialiserons des variétés productives, capables de limiter la perte de rendement pour chaque segment de marché. Mais celles-ci nécessiteront un suivi rigoureux du planteur, qui devra appliquer un aphicide selon les seuils de déclenchement », ajoute Patrick Mariotte.
Florimond Desprez préfère aussi attendre 2024. « Nous avons des variétés en deuxième année de CTPS, qui pourront être inscrites en 2023, mais elles ne seront commercialisées qu’en 2024 », déclare Rémi Henguelle, directeur marketing betterave de Florimond Desprez.
En revanche, et compte tenu de l’avancée de ses travaux de sélection, Deleplanque identifie d’ores et déjà des solutions dans ses variétés commerciales pour les 25 % de semences qui ne seront pas traitées en 2023, essentiellement du fait des contraintes de rotation. « Nous aurons trois variétés présentant différents niveaux de tolérances à la jaunisse sur l’ensemble des références commerciales proposées à la commercialisation pour les semis 2023, précise Maxime Bouton, directeur de l’activité betterave sucrière. Des variétés qui cumulent d’autres tolérances à la rhizomanie et pour certaines la FPR/Cercosporiose et les nématodes. » Elles seront identifiées sous marque VitalY. En plus de ces trois variétés, Deleplanque peut aussi compter sur des variétés inscrites au catalogue européen, qui pourront éventuellement être semées en France, comme le prévoit désormais l’accord interprofessionnel.
Les variétés tolérantes sont donc assez prometteuses, mais elles devront être accompagnées par des traitements chimiques en végétation et d’autres leviers de lutte actuellement testés dans les fermes pilotes du PNRI.
Une variété résistante permet de réduire significativement la quantité de pathogène dans une parcelle et ne perd pas de rendement. Les feuilles restent vertes.
Une variété tolérante ne réduit pas la quantité de pathogène mais exprime moins de symptômes qu’une variété sensible. Les feuilles jaunissent, mais la perte de rendement est limitée.
« Pour la première fois cette année, nous allons observer si les variétés présentent un intérêt spécifique vis-à-vis de la jaunisse. Cette année, nous avons mis en place des modalités d’évaluation spécifiques pour la jaunisse, qui consistent à inoculer trois différents virus sur des betteraves cultivées en plein champ et dans des tunnels. C’est un progrès par rapport à l’année dernière, où le dispositif d’évaluation comparait simplement des variétés traitées et non traitées, en supposant que la jaunisse allait affecter les variétés non traitées.
Les résultats seront connus en janvier prochain, je ne peux donc pas encore me prononcer sur les progrès réalisés. Mais si une variété sort réellement du lot dès la première année sur le critère de tolérance à la jaunisse, les experts du CTPS pourraient décider de la présenter à l’inscription au catalogue. C’est la grande nouveauté : le CTPS donnerait ainsi la possibilité, de façon dérogatoire, de tester en seulement un an les variétés tolérantes à la jaunisse pour accélérer leur mise sur le marché ».
Sous tutelle du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, le Comité technique permanent de la sélection est l’instance de consultation de l’ensemble des parties prenantes de la filière semences et plants. Le CTPS est chargé de la gestion du catalogue officiel des variétés.
Le mélange des variétés améliore-t-il la tolérance globale à l’échelle d’une parcelle ? Si oui, quelle est la combinaison optimale des mélanges ? Pour répondre à ces questions, le programme Egovar, qui est une composante du PNRI, a testé différentes combinaisons de mélanges dans 3 expérimentations.
Différents critères ont été retenus par l’ITB et les services agronomiques des sucreries pour composer les mélanges : le niveau de tolérance ou de résistance à chaque virus, l’appétence des variétés vis-à-vis des pucerons évaluée selon l’expertise des sélectionneurs et le niveau de productivité des variétés. « Nous avons mélangé des variétés super productives mais sensibles avec des variétés tolérantes. Et aussi des variétés sensibles à la jaunisse mais utiles sur d’autres segments tels que la cercosporiose, avec des variétés tolérantes à la jaunisse », explique Fabienne Maupas, directrice du département technique et scientifique de l’ITB. Les mélanges testés en 2022 n’ont pas montré une meilleure tolérance au virus. Peut-être que les différentes variétés n’avaient pas de caractères génétiques assez contrastés. De leur côté, les semenciers sont un peu frileux, arguant des problèmes de traçabilité des semences. « Cette piste doit encore faire ses preuves », estime Fabienne Maupas.