En Italie, en Angleterre et aux États-Unis, plusieurs laboratoires étudient les interactions entre le sol et les plantes dites « biofumigantes ». L’objectif étant d’obtenir des effets protecteurs vis-à-vis des maladies et des ravageurs qui s’attaquent à la culture principale. « Nous savons que l’on peut réduire l’inoculum dans le sol de plusieurs maladies : aphanomyces, rhizoctone, piétin-échaudage, verticilliose et aussi des bactérioses », explique Mathieu Hirschy, ingénieur à l’Acta – les instituts techniques agricoles. « L’effet du biofumigant sur les ravageurs présents peut être aussi massif, mais il faut que le sol soit assez chaud. Le broyage permet d’avoir un effet renforcé ». En pratique, un couvert biofumigant doit être broyé et aussitôt enfoui sur 3-4 cm en surface du sol. Une fois broyé, il libère très rapidement des composés biocides. En France, les essais ont été conduits avec des couverts de moutarde blanche et de moutarde éthiopienne. « Les effets sont prouvés au laboratoire, mais nous poursuivons les travaux au champ car l’efficacité doit être mieux caractérisée », ajoute Mathieu Hirschy.
Effet anti-nématodes
Plus largement, le chercheur britannique Harper Adams explique que la biofumigation, utilisant des couverts de plantes crucifères de la famille des brassicacées (moutarde, radis…) peut jouer un rôle important dans la protection des cultures en ciblant un large éventail de ravageurs, de maladies, et même d’adventices. La technique testée repose sur la libération de composés volatils, (isothiocyanates, thiocyanates, nitriles et oxazolidine-thiones) à partir des tissus des crucifères. Les isothiocyanates (ITC) sont produits à partir de la dégradation des glucosinolates soufrés (GLS) présents dans les cellules des crucifères. Ils se révèlent toxiques pour plusieurs ravageurs et agents pathogènes du sol. Dans les essais conduits en Angleterre, à l’Université de Newport, les ITC ont nettement réduit la survie des nématodes 24 heures après traitement. Ces résultats confirment que les plantes crucifères contenant des glucosinolates pourraient avoir des effets suppressifs dans le sol contre plusieurs populations de nématodes (D. dipsaci, D. gigas).
Multiples essais en Italie
Depuis vingt ans, la biofumigation est expérimentée en Italie sur différentes cultures. Les chercheurs de l’université de Bologne se sont intéressés à une crucifère particulière, la caméline (Camelina sativa). Cette culture oléagineuse annuelle a été testée à la fois pour son rendement potentiel et ses effets biofumigants. Certaines variétés se sont bien comportées, avec des rendements allant jusqu’à 3 tonnes/ha. D’autres recherches ont été menées sur l’huile de caméline et la farine de graines pour leur activité biologique dans la lutte contre les ravageurs et les maladies des plantes. Selon les chercheurs, la biofumigation représente une stratégie durable de gestion des sols cultivés, car elle améliore aussi leur teneur en matière organique. Elle n’a pas d’effet négatif sur la vie des sols, ni sur la diversité microbienne globale. Récemment, des applications ont été lancées en Italie pour le contrôle de pathogènes du sol, dont les nématodes. Plusieurs espèces et variétés sont en cours d’évaluation par les instituts techniques pour leur potentiel agronomique et biofumigant, dont les moutardes noires et d’Abyssinie (Brassica nigra, Brassica carinata), le crambe (Crambe abyssinica) et la roquette (Eruca sativa).
Déjà un brevet
Aux États-Unis, la technique fait déjà l’objet d’un brevet déposé pour un biofumigant à base d’une moutarde noire. Plus largement, l’USDA (département de l’Agriculture des États-Unis) a étudié différents couverts de crucifères et de sorgho fourrager (Sorghum sudanense) permettant une réduction des maladies. Ces végétaux ont des effets variés sur la microbiologie du sol, qui peuvent amplifier la suppression des maladies. Des années de recherche sur le terrain avec des crucifères intégrées aux systèmes de culture de pommes de terre dans le Maine (USA) ont mesuré l’efficacité de ces couverts et engrais verts pour réduire les maladies transmises par le sol. Les résultats indiquent un contrôle de ces maladies même lorsque les couverts ne sont pas incorporés. D’autres cultures, a priori non biofumigantes, telles que l’orge, le ray-grass et le sarrasin peuvent se révéler aussi efficaces que les crucifères dans de bonnes conditions. En général, toutes les espèces offraient un bon contrôle des maladies. Mais l’ajout d’un couvert broyé contribue à mieux contrôler les parasites de la pomme de terre. Dans ces systèmes de culture américains, les rotations plus longues intégrant la santé des sols, les couverts et les engrais verts, des amendements organiques, ont permis un rendement et une activité microbienne plus élevés, avec moins problèmes de maladie que les rotations standards. En France, les travaux se poursuivent. « Les biofumigants offrent un bilan plutôt positif », estime Mathieu Hirschy, « ils devront s’intégrer dans un système agroécologique plus global ».