« Nous sommes des commerçants dans l’âme », reconnaît Édouard de Saint-Laurent. Installé avec sa femme Catherine à Bourecq (62), ils commercialisent leurs 65 hectares de pommes de terre directement aux grandes et moyennes surfaces (GMS) locales. Objectif : augmenter la marge. « J’ai commencé dès 2004. À l’époque, j’avais 40 ha dont 10 ha de pommes de terre », se souvient l’agriculteur. Les ventes de pommes de terre aux GMS ont suivi l’évolution de l’exploitation, après la reprise de la ferme de famille d’Édouard et de celle des parents de Catherine, située à Wanquetin, à 50 km. Avec, au final, plus de 3 000 tonnes de pommes de terre vendues en direct.
Dès 2003, le couple investit 50 000 € dans une station de lavage avec une calibreuse et une laveuse. Il part ensuite, échantillons à la main, démarcher les grandes et moyennes surfaces proches de chez eux. Une démarche très rare à l’époque. Réticents à l’idée de référencer un producteur en plus, avec des livraisons supplémentaires, plusieurs GMS se laissent convaincre. « J’insiste sur la mise en valeur de la production locale, à quelques kilomètres, plutôt que des pommes de terre de Belgique ou de la Marne. Autre atout : la réactivité avec un réapprovisionnement dans la journée. Enfin, je participe à la mise en rayon », relate le producteur. Rapidement, les tubercules de La ferme des trois pommes (leur Sarl) conquièrent les grandes surfaces proches. Leur logo Saveurs en Or certifie l’origine Hauts-de-France. Autre argument, les Saint-Laurent livrent leurs pommes de terre toute l’année, avec un produit identique, quelle que soit la saison.
« J’ai réussi à trouver ma place, même si les débuts étaient plus compliqués, se félicite le planteur. Depuis quelques années, les acheteurs s’avèrent plus sensibilisés à la provenance locale. Certains que je ne connaissais pas m’ont même sollicité en 2020 ».
12 tonnes expédiées par jour
L’organisation est au top. Les planteurs commencent la récolte dès le 14 juillet en primeur. Ils l’effectuent en fonction des commandes des GMS reçues le matin vers 10h30. Puis ils trient, calibrent, lavent, pèsent et conditionnent immédiatement les tubercules. Du filet de 2,5 kg au pallox. Les légumes récoltés le matin sont expédiés avant 15 h. Pour les supérettes, Édouard se charge du transport avec le camion de l’exploitation. Les hypermarchés affrètent eux-mêmes leurs transporteurs.
À partir du 15 septembre, les exploitants stockent les pommes de terre. Rangées par variétés dans les pallox, elles sont ressorties du bâtiment en fonction des commandes, lavées et conditionnées juste avant les expéditions.
La Bintje a diminué au profit de variétés aux peaux plus claires. Melody et Milva, qui résistent mieux au stress hydrique, sont cultivées à Wanquetin sans irrigation. Édouard réserve l’Artémis, la Bintje et la Jelly aux terrains irrigués de Bourecq. Le rendement moyen tourne autour de 46 t/ha (de 25 t pour les primeurs à 60 t pour les plus tardives).
Pas de droit à l’erreur
« La réussite de notre activité s’appuie sur nos salariés (cinq au total et deux apprentis), insiste le chef d’entreprise. Polyvalents, ils savent tous préparer les commandes. Nous n’avons pas le droit à l’erreur, martèle-t-il. Je ne dispose d’aucun contrat ou d’engagement de la part des GMS ». Si le lavage et le pesage sont automatisés, une partie du conditionnement reste manuelle afin de s’adapter à chaque commande. Certains magasins privilégient les filets de 2,5 kg en carton de 750 kg, d’autres optent pour de grands ou petits pallox ou encore pour de gros filets regroupant de petits filets… Deux équivalents temps plein sont affectés au triage et au conditionnement et quatre à la récolte (un chauffeur d’arracheuse et trois pour les bennes). Édouard gère les commandes.
Toujours à la recherche d’une vente locale dégageant une marge suffisante, nos pionniers installent un des premiers distributeurs automatiques de la région en 2013. « S’adapter est dans notre ADN », justifie l’entrepreneur. Comme avec la construction d’un bâtiment de stockage de longue durée de 1 000 tonnes avec une halle de travail de 400 m2. Elle s’imposait suite au retrait de l’anti-germinatif CIPC en 2020. Cet investissement de 150 000 € dispose d’une isolation renforcée (120 mm de mousse polyéthylène) et d’une ventilation automatique avec récupération d’air frais de l’extérieur. De quoi réduire la facture énergétique de la commercialisation tardive. Autre achat : les 762 nouveaux pallox (80 000 €). « Nous évoluons constamment, conclut Édouard de Saint-Laurent. Nos 20 ans de présence dans les GMS locales le prouvent et nous confortent dans nos choix ».
Pour expliquer leur travail, Catherine et Édouard de Saint-Laurent organisent une journée portes ouvertes tous les deux ans. Le succès croît progressivement. L’année dernière, la cinquième édition a réuni près de 1 000 personnes, avec 350 repas autour de la frite de Bourecq. « Nous présentons les cultures de pommes de terre et de lin », détaille le chef d’entreprise. Monsieur patate anime la journée avec des démonstrations de la ligne de triage et de conditionnement. Balades en tracteurs au champ et expositions de matériels complètent les animations.
L’atelier cuisine, animé par Camille Delcroix, restaurateur de Saint-Omer, a beaucoup de succès. Gagnant de l’émission Top chef de M6, et ancien locataire d’un logement campus vert de l’exploitation des Saint-Laurent, il propose plusieurs recettes. Tous les acheteurs GMS sont invités ainsi que les clients locaux du distributeur automatique. « Ils repartent ravis et souvent étonnés du travail nécessaire pour produire des pommes de terre ou du lin », se réjouit Édouard de Saint-Laurent.
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