Les jeunes permis dorment mal la veille de l’ouverture. Ils imaginent déjà la journée du lendemain, le lièvre qui va partir « dans les bottes », la compagnie de perdreaux qui explose à la figure, le ramier tombé d’un chêne, la caille qui s’envole au nez du chien, que sais-je encore? Bref, un jour faste.
Le territoire n’a pas été foulé depuis des mois. Le gibier a eu le temps de se reposer et de se reproduire. Tous les ingrédients sont réunis pour que la fête soit complète et donc le jeune permis tourne et retourne dans son lit sans parvenir à trouver le sommeil. Les anciens sont plus philosophes. Ils savent que les paysages ont changé, que la « plume » sauvage se fait rare, que les mares seront peut-être à sec, que l’on ignore la réussite des couvées et que, même si la société de chasse locale a fait un effort en acclimatant de jeunes oiseaux, le carnier risque d’être léger.
La chasse de récolte, sans intervention humaine, est quasi morte. Certes, on trouve encore des marais qui regorgent de jeunes canards sauvages, dit « halbrans » mais pour le gibier de plaine, c’est une autre affaire. Si l’homme n’a pas agrainé, abreuvé, géré les populations de « petits mammifères carnivores », comme on dit aujourd’hui, perdreaux et faisans dépérissent. Il a donc fallu retrousser les manches.
« Elle serre un peu ! »
L’ouverture avec son chien, en s’en allant le nez au vent sur le territoire, reste la formule la plus agréable. On ne sait jamais ce que l’on va trouver. On marche tranquillement derrière l’auxiliaire qu’il faut tenir, puisque c’est sa première sortie et qu’il a le feu aux pattes. Sans contrôle, c’est l’échec assuré. Le chien vole sur les chaumes et vide la plaine. Si on chasse en compagnie, c’est exaspérant. « Mais tiens donc ton chien ! » hurlent les amis au bord de la crise de nerfs. On remarquera que le maître excuse toujours son auxiliaire. Si, au rapport, Zelda ramène une bouillie de plumes, son propriétaire dira en souriant : « elle serre un peu » ; si Flèche met à l’envol une compagnie de perdreaux à cent mètres : « il a vraiment du jus ! » ; si Max, un labrador teigneux, met une rouste à Zoë, une petite cocker qui ne demandait rien à personne : « il faut l’excuser, il est un peu dominant ! ». C’est ainsi. Le chien idiot devient « timide » ; le chien hors de contrôle « a du tempérament » ; le chien dépourvu de nez « doit encore apprendre ».
Ainsi va la vie en plaine, les jours d’ouverture. Les chasseurs et leurs chiens croisent et recroisent dans la plaine. Qu’espèrent-ils tirer ? Des perdreaux bien sûr, c’est le gibier roi. Mais peut-être aussi un lièvre ou un lapin. Compte tenu des dates tardives d’ouverture, les cailles sont reparties en Afrique. Mais il reste peut-être une retardataire ?
Il peut faire chaud. On chasse le plus souvent « léger », avec un gilet, un chapeau à larges bords et des brodequins. La « poche carnier » a remplacé le carnier, pourtant plus confortable et aéré, qui conservait mieux les pièces par grosse chaleur.
Certains chasseurs s’en vont au petit bonheur. Mais d’autres, plus conquérants, filent directement vers les secteurs où l’on aurait « acclimaté » des faisans. C’est un point de convergence. L’idéal est d’arriver sur les lieux avant la concurrence. Ceux qui ignorent les bonnes zones suivent ceux qui foncent vers le point P. Bonne pioche ? Va savoir ? Un faisan court au moins autant qu’il vole, et il n’y a pas de remises infaillibles.
« Sauver la bredouille »
Si on a raté ou si le chien n’a rien arrêté ni levé à portée, il va falloir songer à « sauver la bredouille ». On se dirigera donc vers les haies. Le pigeon ramier – une espèce en pleine explosion – a certainement niché dans les frondaisons et les jeunes oiseaux n’ont pas la méfiance des adultes. On a toutes les chances d’en prélever un ou deux.
Fatigué de ses efforts, l’auxiliaire se couche et tire la langue en haletant furieusement. Il faudra songer à lui donner de l’eau et à le rafraîchir si on veut éviter le funeste « coup de chaleur ». Il faut voir comment, sur le coup de onze heures, le chien peut se jeter dans une mare, laper et barboter délicieusement comme un baigneur sur les plages estivales. Laissons-lui ce petit plaisir : il l’a bien mérité !
Voilà. La matinée s’achève. On retrouve les camarades. L’ambiance est bon enfant. On raconte ses réussites et ses loupés, la perdrix partie dans le dos, le capucin malin, le faisan masqué par les feuilles. Les poches carniers ne sont pas toutes gonflées. Chacun les observe tentant de deviner leur contenu. Il ne reste plus qu’à rentrer en espérant que l’après-midi sera faste.
Déjeuner léger et on baissera le coude aussi bien à l’apéritif qu’à table, car alcool et chasse ne font pas bon ménage.