La première quinzaine d’août a porté un coup sérieux à la betterave. Dommage ! Car jusqu’au 1er août, les plantes avaient montré une bonne capacité de résistance face au manque d’eau.
Le potentiel de production, qui était très prometteur fin juin, s’est tant bien que mal maintenu grâce à une bonne implantation au printemps et à un bon enracinement. Ayant bien « pivoté », les betteraves ont pu aller chercher l’eau sur près de 2 mètres de profondeur.
Dans ces conditions très difficiles, la betterave a encore démontré une certaine résilience. C’est ce qu’indiquent les prélèvements réalisés par la CGB et les groupes sucriers. Et si ces derniers semblent indiquer une année qui pourrait être légèrement meilleure que la normale à l’échelle de la France betteravière, c’est en réalité la capacité de la betterave à continuer de se développer qui pose question avec peu de feuilles et peu d’eau.
Grande hétérogénéité
Il y a une grande hétérogénéité au niveau des régions et même des parcelles, selon les types de terre (profondes ou superficielles) et qu’elles aient ou non bénéficié des orages de début août.
« Au premier août, on était partis sur un très bon cru, mais les derniers échantillons sont moins bons, constate Reynald Freger, président de la CGB Seine-Maritime. La sécheresse accentue les problèmes de structure ; les parcelles avec moins de taux de matière organique sont plus pénalisées ».
« Des secteurs ont eu de l’eau au mois de juin et d’autres non. Il peut y avoir dix tonnes d’écart », ajoute Jean-Philippe Garnot, président de la CGB Île-de-France.
« Les sols superficiels non irrigués qui sont en situation de stress hydrique depuis le mois de mai auront le rendement le plus impacté. Dans les ronds de sec, c’est catastrophique », déclare pour sa part Ghislain Malatesta, directeur du département d’expérimentation et d’expertise régionale de l’ITB. Et Pierre Houdmon, délégué ITB Centre-Val de Loire confirme : « en culture sèche, les betteraves ont souffert du stress hydrique en juillet et août. Plus les sols sont superficiels, plus l’impact est important. Les rendements pourront être entre 35 et 75 tonnes en sec. En culture irriguée, les betteraviers ont suivi comme ils ont pu, mais ils ont épuisé les quotas d’eau. Ils ont dû stopper l’irrigation ».
Les parcelles qui ont pu bénéficier d’irrigation (7 % de la sole betteravière) ont généralement un niveau de développement correct, même si les tours d’eau n’ont pas été suffisants pour compenser les valeurs élevées de l’évapotranspiration potentielle (ETP) et maintenir la réserve en eau au-dessus de la réserve de survie.
Perte de potentiel
Si, en sol superficiel, la betterave souffre, constate Jérôme Harry, président de la Commission betterave de Tereos, « on voit quand même des belles betteraves sous de grosses chaleurs, avec des feuillages qui ne s’effondrent pas ». Certaines régions font mieux que leur moyenne habituelle : l’Alsace, le Centre-Val de Loire (en culture irriguée), l’Eure, la Seine-Maritime, la Somme et le Nord Pas-de Calais. L’Île-de-France tire également son épingle du jeu.
William Huet, directeur agronomique de Cristal Union résume ainsi la situation : « il y a des disparités Nord-Sud très marquées. C’est bon au sud de Paris (NDLR en irrigué), au sud de la Champagne et moins bien dans l’Oise et l’Aisne. Au total, la betterave a perdu son potentiel depuis juin. Nous étions partis pour une année exceptionnelle, mais on va sûrement arriver avec une année dans la moyenne basse ».
Richesse très élevée
L’année est caractérisée par de petites racines et des teneurs en sucre très élevées : elles approchaient les 20 °S au 15 août, soit deux points et demi au-dessus de la normale. « J’ai même vu des parcelles à 25 °S », témoigne le président de l’ITB, Alexandre Quillet.
Les prélèvements effectués par la CGB montrent que le poids des racines est inférieur à la moyenne des cinq dernières années : « le poids des feuilles par hectare apparaît deux fois moins élevé, comparé à la moyenne des 5 ans, une grande partie des feuilles périphériques ont disparu ».
Dans l’Oise, le sud de l’Aisne et la Seine-et-Marne, le volume de feuille est particulièrement faible, ce qui a freiné l’accumulation de sucre dans les racines.
Parcelles sales
De nombreuses parcelles sont sales, ce qui accentue le stress hydrique pour la betterave et affectera le rendement. « On aura des pertes de poids à cause des chénopodes, des renouées des oiseaux et des renouées liseron. Elles pompent l’eau à la place des betteraves », avertit Ghislain Malatesta.
En revanche, il y a peu de maladies. On note la présence de cercosporiose quasiment dans toutes les régions, néanmoins la progression de la maladie a été fortement limitée par la sécheresse.
« Les maladies foliaires, cercosporiose et rouille, sont présentes mais sans gravité, car elles sont bien contenues par les traitements. Une bonne partie des betteraviers fait le deuxième traitement en ce moment, expliquait Ghislain Malatesta le 19 août dernier. Le rhizopus est présent dans les champs très séchants. Le meilleur insecticide pour les teignes, c’est l’eau ». Et Pierre Houdmon d’ajouter : « en culture sèche, il y a des parcelles qui n’ont pas été traitées. Nous sommes entre zéro et un traitement ».
Enfin, la quasi-totalité des sites sans néonicotinoïdes ont été atteints par des pucerons verts. Ce qui, d’après l’ITB, laisse présager une pression assez forte en jaunisse.
Attention aux fortes pluies
Des pluies début septembre permettraient de relancer la végétation et le développement racinaire mais, revers de la médaille, elles entraîneraient aussi une baisse de richesse.
Attention néanmoins, « la prochaine grosse pluie risque de faire perdre trois points de richesse, craint Jean Philippe Garnot. Les betteraves vont perdre en tonnage, car elles vont refaire des feuilles ».
Un scénario que redoute Alexandre Quillet : « j’appréhende l’arrivée des fortes pluies en septembre, car la richesse pourrait s’effondrer sans que les racines grossissent. Je souhaite de l’eau, mais il faudrait en avoir juste assez pour humidifier le sol afin de faciliter les arrachages ».
L’ITB s’est appuyé sur les références du Giec pour analyser les conséquences du réchauffement climatique sur la culture de la betterave en France à l’horizon 2050.
Les différents scénarios du Giec indiquent une hausse des températures moyennes, comprises entre 0,6°C et 1,3°C, toutes saisons confondues, par rapport à la moyenne calculée sur la période 1976-2005.
L’élévation de la température pourrait permettre des semis plus précoces parallèlement à un développement foliaire plus rapide et donc d’une durée de photosynthèse optimale plus longue. La minéralisation de l’azote organique du sol sera également amplifiée. Nous pourrions avoir, pour un degré de plus, jusqu’à 20 kg par hectare d’azote supplémentaire disponible pour les plantes. Une des questions majeures reste toutefois le potentiel besoin de ressources hydriques selon la pluviométrie, globalement non anticipé en diminution sur nos territoires betteraviers, mais dont la régularité pourrait changer.
« À l’horizon 2050, l’ITB se veut rassurant et ceci même si tout changement climatique peut s’accompagner de l’apparition de nouveaux ravageurs ou de maladies », déclare Vincent Laudinat, directeur de l’ITB. La betterave est une espèce à croissance indéfinie jusqu’au stade vernalisation présentant une très bonne résilience vis-à-vis des stress climatiques – ce qui n’est pas le cas d’autres espèces – ses zones de cultures actuelles ne devraient pas être remises en cause.
L’intensification des périodes de sécheresse est un facteur que les semenciers prennent en compte dans leurs programmes de sélection. « Dans nos essais, nous voyons que ces épisodes de sécheresse peuvent avoir des impacts allant jusqu’à 35 % de perte de rendements, explique Faustine Duyck, responsable de la communication betterave et chicorée chez Florimond Desprez. Il est intéressant de remarquer qu’il y a une forte variabilité de notre matériel génétique vis-à-vis de la sécheresse. C’est important de pouvoir réaliser le phénotypage du matériel génétique sur ce critère pour proposer des variétés adaptées aux futures conditions climatiques. Nous avons travaillé sur du matériel exotique dans le cadre du programme de génomique Aker, qui s’est terminé en 2020, et nous avons trouvé des plantes intéressantes sur la tolérance à la sécheresse. C’est un mécanisme complexe, qui implique beaucoup de facteurs comme la durée d’ouverture des stomates durant la journée ou l’épaisseur de la cuticule sur la feuille. Nous travaillons avec des caméras thermiques pour mesurer la température de la canopée et nous avons remarqué que les variétés ayant un bouquet foliaire plus froid sont plus tolérantes à la sécheresse ».