Depuis quelques jours, les deux groupes coopératifs français, Tereos et Cristal Union, se livrent à une bataille de chiffres concernant le paiement des betteraves.
Voyant se profiler les assemblées générales des deux groupes coopératifs, la CGB a fait paraître un communiqué, daté du 7 juin, déplorant « l’absence d’information claire sur la rémunération de leurs betteraves 2023, contrairement à nombre de leurs homologues à travers l’Europe ».
S’ensuit alors un petit jeu de ping-pong qui a débuté le 9 juin quand le président du conseil de surveillance de Tereos, Gérard Clay, assurait lors de sa conférence de presse annuelle : « nous avons pour objectif de rémunérer les coopérateurs au moins au même niveau de prix que ceux annoncés par nos concurrents ».
Quatre jours plus tard, le 13 juin, le président de Cristal Union, Olivier de Bohan, dévoilait, toujours devant la presse, un nouvel objectif de 35 €/t pour 2022 et de 40 €/t pour les betteraves 2023. « C’est bien au-delà des 30 € que nous avions annoncé en décembre », déclarait le président de Cristal Union.
Et puis, le 15 juin, c’était Ludwig de Mot, président du directoire de Tereos, qui indiquait dans une interview au Betteravier français que « le prix de la betterave pourrait atteindre 35 €/t à 16°S pour la campagne 2022-2023 ». Ce 35 €/t n’est cependant ni un prix minimum, ni un prix maximum. Il s’agit donc d’une tendance, indique-t-on chez Tereos.
Avec ce prix objectif de 35 €, les deux groupes coopératifs espèrent ainsi rassurer les planteurs qui sont en train d’arbitrer leurs futurs assolements 2023.
Les résultats s’améliorent
Ces annonces arrivent également dans un climat de bonnes perspectives pour le marché du sucre et de meilleurs résultats pour nos deux champions français.
Le chiffre d’affaires de Tereos, porté par sa production de sucre et d’amidon en Europe, passe la barre des 5 milliards d’euros. En revanche, les activités au Brésil déçoivent à cause d’une mauvaise campagne et des frais financiers en hausse, liés à l’augmentation des taux d’intérêt et aux effets de taux de change du réal brésilien défavorables. Tereos renoue néanmoins avec les bénéfices cette année : le résultat net (172 M€) est en forte hausse, lié à la bonne performance opérationnelle du groupe ainsi qu’à une plus-value sur cession d’actifs à hauteur de 96 M€. Le groupe a en effet cédé des activités non rentables en Chine, au Mozambique et sa participation dans la filiale malt d’Axéréal. Tereos a également initié les démarches pour céder son usine de Ludus à l’État roumain, en partenariat avec les agriculteurs.
« Nous sommes en marche vers le redressement », assure Gérard Clay. Et d’ajouter : « Tereos a amélioré ses résultats. Il faut garder cette dynamique pour amorcer une diminution de l’endettement et mieux payer les betteraves ».
Le nouveau président du directoire, Ludwig de Mot, a présenté son plan d’action, dont la première phase se terminera en 2024 : il vise l’excellence commerciale, opérationnelle et industrielle. Les objectifs financiers à atteindre sont : une marge Edit de 5 %, une dette sous les 2 milliards d’euros et un levier d’endettement inférieur à 3x. Au 31 mars dernier, la dette s’élevait à près de 2,387 milliards d’euros, soit un levier d’endettement de 3,5x, contre 5,1x en mars 2021. « Nous allons bâtir une culture de la performance », a-t-il martelé lors de la conférence de presse.
Des dirigeants sereins
Les dirigeants de Cristal Union sont également plus sereins. « Nos bons résultats confirment une fois de plus la pertinence de notre stratégie lancée depuis plusieurs années. Notre repositionnement sur le marché européen, la réorganisation de notre outil industriel, la forte politique d’investissements avec un effort majeur porté sur la décarbonation de nos activités portent leurs fruits », a déclaré Xavier Astolfi, directeur général de Cristal Union.
Lors de la conférence de presse, Cristal Union a en effet annoncé des résultats en amélioration cette année, avec un chiffre d’affaires pour l’exercice 2021-2022 de 1,8 milliard d’euros, en progression de 6,4 %. L’Ebitda consolidé est lui aussi en hausse de 5 M€, à 206 M€ ; et le résultat net augmente de 40 % à 97 M€. « Cristal Union affiche enfin une structure financière particulièrement solide avec un niveau de capitaux propres à 1,2 Md€ et un endettement maîtrisé, comme en témoigne le ratio d’endettement contractuel de 27,5 % », a détaillé Xavier Astolfi.
Cap sur l’autonomie énergétique
Les deux groupes continuent leur processus de décarbonation et d’amélioration de leur performance énergétique. Ils sont cependant rattrapés par la hausse considérable des coûts de l’énergie, en particulier du gaz, dont le prix a été multiplié par cinq en un an en passant de 20 à 100 €/MWh.
Tereos a engagé une nouvelle feuille de route à dix ans, Sustain’2030, qui couvre l’agriculture durable, la décarbonation, la biodiversité, la nutrition-santé et l’engagement sociétal. Le groupe se donne pour objectif notamment de diminuer dans ses usines européennes les émissions de CO2 à hauteur de 30 % et de réduire la consommation d’eau de 20 %, à horizon 2030.
Cristal Union poursuit sa stratégie de décarbonation vers l’autonomie énergétique. Ce plan a déjà permis, entre 2010 et 2020, de réduire de 15 % les émissions de gaz à effet de serre, de 8 % la consommation d’énergie et de 65 % l’eau prélevée sur l’ensemble de ses sites. D’ici à 2030, l’objectif est de réduire de 35 % les émissions de gaz à effet de serre et de 17 % la consommation d’énergie. Les sucreries de Cristal Union visent à être autonomes en énergie, notamment par l’installation de méthaniseurs qui fonctionneront avec des pulpes de betteraves.
Risque de délestage
Bien que des contrats de fourniture aient été signés pour cet automne, le gaz reste une épée de Damoclès sur l’activité sucrière. En cas de forte demande au niveau européen, des délestages sont en effet prévus et le gouvernement est en train d’identifier les sites prioritaires. Cristal Union (comme toute la filière sucre) demande que l’industrie sucrière soit classée prioritaire pour la fourniture de ses usines en gaz. Il serait en effet inconcevable d’arrêter les traitements des betteraves en pleine campagne !
L’autre grand défi consiste à maintenir les surfaces de betteraves l’année prochaine. Un questionnaire envoyé par Tereos à la fin de l’année dernière laisse entendre que les coopérateurs pourraient diminuer de 10 % leurs surfaces dans les 5 ans à venir. Répondant à la question de plusieurs journalistes si Tereos pourrait être amené à réduire sa capacité jusqu’à fermer une de ses usines en France, les dirigeants n’ont pas franchement démenti cette possibilité à l’avenir.
Les annonces de prix seront-elles à la hauteur pour dissuader les agriculteurs de semer des céréales et des oléagineux dont les prix atteignent des sommets, plutôt que des betteraves ?
Les betteraviers ont encore en mémoire les dernières années difficiles avec la jaunisse et s’interrogent sur leur capacité à sortir de bons rendements, quand les néonicotinoïdes seront définitivement interdits.
Les dirigeants de Tereos et de Cristal Union savent bien que les futures surfaces dépendront de leur capacité à bien payer les agriculteurs confrontés à de fortes incertitudes techniques. Heureusement, les bonnes perspectives de marché du sucre devraient les aider à proposer des prix de betteraves alléchants.
L’année dernière, les planteurs de Cristal Union ont été touchés par des herbicides non conformes de la société Adama épandus sur 8 200 ha et causant la perte de 570 000 tonnes de betteraves. Si les betteraviers ont été indemnisés individuellement, la perte s’élève à 75 000 t de sucre pour la coopérative. « Sans ce sinistre, nous aurions très vraisemblablement rémunéré la betterave au-dessus de 30 €/t », calcule Xavier Astolfi. Les discussions restent ouvertes pour l’indemnisation du préjudice industriel.
Le chiffre d’affaires de Tereos est diversifié dans le sucre, l’alcool, les produits sucrants, les protéines et l’amidon. Celui de Cristal Union est centré sur le sucre et l’alcool.
La rémunération des betteraves de Tereos pour la campagne 2021-2022 est de 28,27 €/t, avant intérêt aux parts.
Pour les coopérateurs de Cristal Union, les résultats se traduisent par une rémunération de leurs betteraves en hausse de 4 € sur 2021-2022, à 29,37 €/t.
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