Le projet de construction d’une méga sucrerie par la société dubaïote Al Khaleej Sugar (AKS) s’imbrique bien dans l’écosystème agro-industriel du port de Rouen, selon Stéphane Raison, président du directoire de Haropa Port, l’établissement issu de la fusion des ports du Havre, de Rouen et de Paris. L’originalité du projet est d’inverser la logique de la production de sucre en n’implantant pas l’usine dans les champs, mais au point d’expédition.
Pourquoi le groupe Al Khaleej Sugar s’intéresse-t-il au port de Rouen ?
Le groupe AKS souhaite s’implanter en France pour produire du sucre de betteraves destiné à l’exportation. Business France – le bras armé de l’État sur le développement industriel – nous a sollicités pour savoir si nous avions des disponibilités foncières. Or, il restait un très grand terrain de 75 ha, que nous devions mettre en appel d’offres, puisqu’il est sur le domaine public. Le groupe AKS avait déjà envisagé une localisation dans l’Orne et, finalement, ses dirigeants ont choisi d’inverser la logique d’implantation de leur sucrerie : plutôt que de construire l’usine au milieu des champs, ils ont choisi de la mettre au milieu d’une zone logistique et d’un écosystème portuaire. Puisque le projet d’AKS est d’exporter le sucre, et non de le vendre sur le marché français, il a choisi de faire venir les betteraves vers le point d’exportation.
Quels sont les avantages d’implanter une sucrerie dans un port ?
Le modèle d’AKS change d’échelle par rapport aux sucreries existantes. Elle sera trois fois plus grande qu’une sucrerie classique. Il y a un effet de massification qui est très important dans ce projet. L’intérêt d’une zone portuaire est de pouvoir stocker facilement tous les réactifs dont a besoin un industriel. Il dispose de toutes les utilités : l’eau, l’électricité, le gaz… L’écosystème portuaire procure beaucoup de choses qui réduisent les coûts de production. La plateforme multimodale de Grand-Couronne – Moulineaux offre un accès à tout type de connexion : fluviale, ferroviaire, maritime et routière. Le terminal à conteneurs sera situé juste à côté de la sucrerie. L’opérateur gagnera beaucoup sur le plan logistique, puisqu’il sera connecté à 650 ports dans le monde à partir du Havre.
Comment la sucrerie sera-t-elle alimentée en betteraves ?
Il faudra trouver les 50 000 ha nécessaires à l’approvisionnement de l’usine. Nous avons rencontré les représentants de la CGB sur ce sujet. Il y a aussi des contacts entre le groupe AKS et la région Normandie pour regarder la disponibilité de la ressource. La plus évidente est celle venant du Calvados depuis la fermeture de la sucrerie de Cagny. Les planteurs qui ont perdu leur sucrerie sont contents de voir un nouveau projet.
Comment peut-on amener chaque jour 35 000 t de betteraves jusqu’à Rouen ?
On ne pourra pas acheminer toutes les betteraves par la route. Nous allons donc réactiver le réseau ferroviaire. Nous avons présenté notre projet à Luc Lallemand, le président directeur général de SNCF Réseau, l’idée étant d’utiliser les points de réception de la betterave sur des sites de chargement ferroviaire pour les amener vers l’usine. La région de Caen dispose d’un réseau ferroviaire désaffecté qui pourrait faire un très beau point de centralisation. L’objectif étant de diminuer la part des betteraves transportées par camion. On table sur une part de report modale entre 15 % au début pour arriver à 40 %.
Pourquoi le port de Rouen souhaite-t-il accueillir une sucrerie ?
Le point très positif est le renforcement de l’écosystème du port. Nous n’avons pas implanté de nouvelle unité depuis des années. Or, chaque fois qu’une usine s’implante sur une place portuaire, on renforce les industriels déjà présents. Il y a déjà des silos à sucre chez Sénalia, des sociétés spécialisées dans le stockage de réactifs, et l’on valorise aussi notre réseau ferroviaire. C’est un dossier intéressant qui s’imbrique complètement dans le tissu industriel présent. Et puis il n’y a pas de danger particulier lié à l’activité du sucre. Nous ne sommes pas en présence d’une unité Seveso seuil haut.
Quelles sont les externalités positives pour le port ?
Une chaudière biomasse sera construite par un opérateur spécialisé produisant 30 MW/h d’électricité pour alimenter la sucrerie durant la campagne betteravière. Cette unité fonctionnera toute l’année et pourra alimenter d’autres industriels en dehors de la campagne. Les sous-produits issus du process sucrier seront également valorisés grâce à l’installation d’un biométhaniseur pour produire du biogaz à partir des coupes et des queues de betteraves. Par ailleurs la vente d’environ 200 000 t par an de mélasse servira à produire du bioéthanol et la pulpe de betterave pourra alimenter la station de biogaz. Nous sommes sur le principe de Lavoisier : « Rien ne se perd, rien ne se crée : tout se transforme ».
Quels sont les points d’étape du projet ?
La société Al Khaleej Sugar a été lauréate de l’Appel à Projets lancé en juin 2021. Nous avons signé un protocole de réservation du terrain et l’industriel est train de monter son dossier administratif. Il y aura ensuite la phase de concertation préalable avec les riverains, l’instruction des dossiers par les services de l’État et puis une enquête publique. On vise une mise en service pour 2025.
Ce projet pourrait-il relancer la vocation sucrière du port de Rouen ?
Oui, c’est l’idée. Rouen a été un grand port sucrier dans le passé. Aujourd’hui, Rouen se positionne sur des produits haut de gamme par conteneurs, le vrac pour le sucre c’est terminé ! Pour Haropa Port, cette implantation devrait se traduire, en rythme de croisière, par un flux de 30 000 à 37 000 conteneurs Équivalent Vingt Pieds (EVP) à l’export.