Les Romains appelaient ce canard « oie-renard » pour des raisons que nous verrons plus loin. Il est possible – dixit Buffon – que nos anciens colonisateurs l’aient élevé pour ses œufs qu’ils appréciaient.
Le Tadorne de Belon (Tadorna tadorna) appartient à la famille des anatidés, comme tous les canards. Il s’agit d’une espèce paléarctique dont la distribution est scindée en deux aires principales, l’une sur les rivages maritimes du nord-ouest de l’Europe et l’autre dans les régions semi-arides d’Asie centrale. Pourquoi tadorne ? On ignore l’origine du nom mais Pierre Belon (1517-1564), éminent zoologiste de la Renaissance et qui en a fait une étude approfondie, a contribué à son anoblissement : « tadorne de Belon »
Crèches collectives
Impossible de ne pas l’identifier immédiatement. Le mâle a la tête noire verdâtre, un bec rouge avec une caroncule de même couleur. Il porte une bande pectorale rousse du plus bel effet, des ailes blanches avec les scapulaires et les rémiges primaires noires (marquées d’un miroir vert) et le reste du corps blanc. La femelle est presque aussi colorée que le mâle. Mais elle n’a pas de caroncule sur le bec. Les adultes des deux sexes présentent des pattes roses. Les poussins sont couverts d’un duvet blanc immaculé marqué de rayures brunes, ce qui leur donne une allure de mini zèbres.
Du renard, cet étonnant palmipède a l’habitude de faire son nid dans une anfractuosité. Ce peut être un terrier de lapin, une cavité dans un tronc d’arbre, une faille dans la roche, on en a même vu investir un ancien blockhaus !
C’est évidemment un comportement surprenant, qui le distingue de ses homologues.
En général, la femelle pond une douzaine d’œufs en deux semaines. Elle assure seule l’incubation pendant environ 30 jours. Demeurant sur le nid une grande partie de la journée, elle le quitte brièvement pour s’alimenter.
Le lendemain de l’éclosion, la femelle quitte le nid et appelle ses poussins en émettant des sons rauques. Ceux-ci la suivent en file indienne tandis que le mâle se joint à eux. Les adultes regroupent les jeunes sous la surveillance d’un ou de plusieurs « tuteurs ». Ce sont des crèches collectives placées sous la surveillance des parents mais aussi de collègues qui n’ont pas de portée. En juin et en juillet, les oiseaux partent muer dans la mer des Wadden en Allemagne.
Comme les démineurs
Le Tadorne de Belon se nourrit en surface en marchant sur la vase et en balançant son bec- détecteur latéralement, comme le font les démineurs. Il s’alimente de petits mollusques, de coquillages, de vers et de crustacés. Les deux mandibules sont pourvues de lamelles sur leurs bords. Ce sont des filtres merveilleux. Comme tous les oiseaux vivant en milieu salé, ces canards possèdent une glande (au-dessus des narines, sur la mandibule supérieure) qui a pour fonction de rejeter l’excédent de sel absorbé. La mandibule filtre, la langue trie. Elle est très épaisse et charnue, dotée d’un squelette cartilagineux et de muscles. Très sensible, elle est recouverte d’un épais épithélium semé de papilles et d’épines cornées.
On observe cet oiseau, à la recherche du plat du jour, balancer inlassablement son cou comme un automate. Fréquentant les estuaires et les vasières salées ou saumâtres, il vit en petites colonies et se mélange volontiers avec les échassiers, les cormorans, les autres canards et les mouettes. Quand on l’observe, on est parfois frappé par l’agressivité de certains mâles qui n’admettent aucun concurrent dans leur secteur. Le dominant charge l’intrus en se précipitant sur lui avec de grands battements d’aile.
Confusion impossible
Sa protection date de l’après-guerre. Le chasseur ne peut le confondre en l’air tant l’oiseau apparaît blanc. Un vol de tadornes est un vol immaculé.
La confusion est donc impossible et tant mieux, car les contrevenants qui tirent ce canard protégé s’exposent selon la loi « à une peine de 2 ans d’emprisonnement, à 150 000 euros d’amende, au retrait du permis de chasser pour une durée de 5 ans avec obligation de repasser l’examen du permis de chasser ainsi qu’à la confiscation des armes ».
Bien que sa chair soit mauvaise, on l’a longtemps chassé, notamment, il est vrai, pour la beauté de ses plumes. Dans son livre culte « la chasse des canards », publié dans les années 50, le docteur Rocher dit en avoir tiré quelques-uns à la hutte. Et dans la monographie « le gibier », publiée par Manufrance, en 1939, il est dit aussi que le tadorne, sans intérêt culinaire, se prélève quelquefois à la hutte.
Rabelais, qui fait viande d’à peu près tout, le cite dans ses agapes. Il l’appelle « tadourne » et le cale dans le monstrueux repas de Grandgousier et de Gargantua : « … et quelques douzaines de ramiers, d’oiseaux de rivière, de sarcelles, butors, courlis, pluviers, francolins, cravants, chevaliers gambettes, vannereaux (sic), tadournes, spatules tachetées, héronneaux, foulques, aigrettes, cigognes, canepetières ».
Bon appétit !