Les chasses professionnelles n’ont pas toujours bonne réputation. Elles peuvent, en effet, proposer des oiseaux dont le tir s’apparente à casser des pipes dans les baraques foraines. Une part non négligeable de la clientèle se satisfait de ces pratiques, l’essentiel, le soir venu, étant de vider une coupe devant un tapis de plumes. Aller à rebours, privilégier la difficulté sur la quantité et le sport sur le rendement est un pari osé. Nous sommes en France, un pays où, par exemple, sur les cours d’eau gérés par les Associations agréées pour la pêche et la protection du milieu aquatique (AAPPMA), on relâche massivement des truites de bassin aux nageoires atrophiées. Il faut que l’actionnaire puisse « amortir sa carte ». Les pêcheurs comme les chasseurs veulent « en avoir pour leur argent ». C’est une mentalité hexagonale. Les Anglais ne la partagent pas. Là-bas, la chasse et la pêche « sportive » ont un sens. Dans une battue de faisans, par exemple, nos « amis » (les guillemets sont de rigueur par les temps qui courent) tirent les oiseaux les plus hauts. En France – comme en Italie – un polochon passant à dix mètres est une proposition que l’on ne peut pas refuser. La nervosité de nos fusils peut créer des situations cocasses. Je me souviens d’une battue en Angleterre où les gardes nous avaient signalé la présence d’une ligne de téléphone. Il fallait donc tirer haut.
Première traque, mon jeune voisin français aligne un faisan bas et j’entends un bruit métallique. Les Britanniques ont un sang-froid admirable « what happened ? » dit un garde. « Nothing ! The boy just cut the phone line » répond un autre en tirant sur sa pipe. (« que s’est-il passé ? » « rien, le garçon a juste coupé la ligne téléphonique »).
Traques marchantes
Oser le pari de la difficulté est donc plein d’aléas. C’est pourtant celui qu’a fait Pascal Paulmier, le gestionnaire de ce territoire.
La chasse se situe à mi-chemin entre Fismes et Fère-en-Tardenois, à une vingtaine de minutes de Reims. Elle comporte des étangs pour les canards, de la plaine et du bois pour la chasse du petit gibier terrestre et du grand gibier. Le territoire, très accidenté, convient bien à cette formule. Mon séjour de chasse là-bas comportait une levée d’étang suivie, le lendemain, de « traques marchantes ».
Le temps est gris, avec un plafond assez bas. Je suis placé en bordure d’un grand étang et regarde évoluer une bande d’une quinzaine de cygnes, des oiseaux envahissants. Au coup de trompe, des dizaines de canards s’envolent et les détonations claquent sur les bordures. Pendant une heure, les palmés font le va-et-vient entre cet étang et d’autres situés derrière. De temps en temps, un garde fait la tournée des postes. Il est accompagné d’une petite chienne munsterlander. Prénommée Stella, elle ravit par sa constante disponibilité et l’allégresse avec laquelle elle se jette à l’eau pour rapporter les canards les plus lointains.
Assurance vie
Le lendemain, nous testons donc les battues marchantes. Les chasseurs distants, chacun d’une cinquantaine de mètres, progressent en file indienne en bas de coteaux qui sont parcourus par les rabatteurs. La ligne progresse en même temps que les traqueurs. Le temps s’est heureusement amélioré. Il faisait un brouillard à couper au couteau tôt ce matin mais, très vite, les brumes se sont dissipées, laissant place à un soleil automnal. Comme perdrix et faisans s’envolent à une hauteur de trente à quarante mètres, le gibier passe au-dessus des fusils avec une forte assurance vie. On hésite parfois à lever l’arme. Mais ce serait une erreur de s’abstenir car réussir dans ces conditions est un bonheur qui compte double ou triple. Beaucoup d’oiseaux franchissent la ligne. Les perdrix sont parfois si lointaines qu’elles semblent avoir la taille d’une caille. Le coup le plus difficile est bien sûr l’oiseau qui descend en planant. L’échec est garanti – sauf pour les champions – neuf fois sur dix. Que tue-t-on par traque ? Deux ou trois oiseaux par fusil, quatre ou cinq pour les meilleurs postes. Les scores, on le voit, ne sont pas affolants mais tel n’est pas le but. Les affaires sont menées tambour battant et, pour le déjeuner au rendez-vous, Pascal garde toujours un œil sur la montre. On oubliera le dessert si on a pris du retard. Pas de mollesse !
Cette formule séduit. La preuve ? On joue ici à guichets fermés et le carnet de réservations de la saison suivante est pratiquement rempli à la fin de la saison en cours.
Certes, ce mode opératoire ne plaira pas à tout le monde. Les chasseurs habitués aux scores lourds passeront leur chemin. Mais le fait que cette formule fasse de plus en plus d’adeptes témoigne d’une réjouissante évolution.