Les 25 projets de recherche du plan national de recherche et d’innovation (PNRI) pour lutter contre la jaunisse, soit 7 M€ investis, apportent déjà des pistes. « Nous avons une obligation de résultat pour 2024 », rappelle Christian Huyghe, directeur scientifique de l’Inrae, lors de la table ronde organisée sur ce thème pendant le salon de l’Agriculture. Et, comme prévu, il n’existe pas de solution miracle, regrette le président de l’ITB, Alexandre Quillet. « Car si la génétique demeure un levier de lutte plein d’espoir, elle ne suffira pas. La capacité de résistance ne s’exprimera que si la pression des bioagresseurs reste contenue ».
Des variétés plus tolérantes
« Tous les sélectionneurs ont déjà identifié des variétés plus tolérantes. Mais il faudra d’autres leviers », confirme Fabienne Maupas, responsable du département technique et scientifique de l’ITB. « Nous étudions tous les leviers possibles, témoigne Véronique Decroocq, de l’Inrae. À l’échelle de la culture (pratique culturale, rotation, plantes compagnes, biocontrôle et résistance variétale). Mais aussi à celle du paysage, avec des dispositifs favorisant les prédateurs du puceron ou les auxiliaires de culture ».
Des leviers à l’échelle du paysage
« Dans 23 fermes pilotes, nous testons des produits biocides, des stimulateurs de défense des plantes, des barrières physiques pour empêcher les pucerons de piquer ou encore des produits olfactifs, détaille Fabienne Maupas. Sans oublier les lâchers de prédateurs de pucerons comme les chrysopes. Côté infrastructures agroécologiques, les chercheurs expérimentent des plantes compagnes, des bandes fleuries ou des graminées libérant des composés à actions insecticides dans l’inter-culture, ainsi que des mosaïques parcellaires. Enfin, un volet étudie la faisabilité des propositions, dont un système d’indemnisation assurantielle. « Car les solutions ne seront proposées que si elles sont faisables à l’échelle de la filière », insiste Alexandre Quillet.
Des plantes compagnes limitant les pucerons
20 essais portent sur l’utilisation de plantes compagnes pour limiter les pertes dues à la jaunisse (Projet SerVir). Cristal Union, Tereos, Saint Louis y participent au côté de l’ITB. « Il faut des plantes poussant en même temps que la betterave et pouvant être détruites tardivement, sans occasionner de concurrence », explique Paul Tauvel, responsable agronomique de l’ITB. Comme l’avoine, l’orge, la vesce, la fétuque et le pois. L’avoine a significativement limité le nombre de pucerons verts aptères et la jaunisse dans un essai. En revanche, les réponses avec les plantes compagnes sont parfois divergentes. Un essai avec la féverole n’a pas donné d’effet significatif sur la jaunisse, mais bien une chute de rendement de 15 t/ha à cause d’une destruction trop tardive.
L’Inrae complète ces tests de plein champ par d’autres, en conditions contrôlées. Elle évalue la dispersion de foyers de jaunisse virale avec ces plantes compagnes. Le temps de latence est très court. Trois jours après avoir été touchée, la betterave infectée sert à son tour de nouveau réservoir viral !
Inoculer des virus variants peu virulents
« Nous cherchons à évaluer la protection croisée (avec plusieurs familles de virus) sur la betterave pour limiter les effets de l’infection vraie », dévoile Véronique Brault, directrice de recherche à l’Inrae de Colmar. Le projet ProViBe vise aussi à une meilleure connaissance des virus responsables de la jaunisse. Le séquençage à haut débit en a identifié quatre, en 2021 : le BYV (virus de la jaunisse grave), le BtLV et deux polérovirus.
Premier constat : la diversité virale à l’échelle d’une parcelle ou d’un territoire reste très faible. Ce qui suggère une très forte capacité de dispersion du virus. Deuxième constat : le BYV joue un rôle majeur dans l’apparition de la maladie. Son accumulation corrèle avec l’apparition des symptômes de la jaunisse. Il a réduit dans l’essai le poids du pivot de betteraves de 52 %, contre 27 % pour les polérovirus et 14 % pour le BtMV. Une multi-infection par le BYV et des virus d’autres familles n’accroît pas les pertes de poids de pivot (perte de 46 à 49 %). Il n’y a pas d’effet aggravant de la multi-infection. Mais la multi-infection pourrait aggraver la dispersion du virus grave de la jaunisse.
« Nous souhaitons tester l’inoculation par un virus variant peu virulent, à l’image d’un vaccin. Il protégerait la plante d’une infection ultérieure par un virus plus agressif. Mais la recherche d’isolats peu virulents dans les betteraves sans jaunisse n’a pas abouti à ce jour », regrette la chercheuse de l’Inrae. En revanche, des outils de détection des virus (tests sérologiques et techniques avec détection visuelle ou sous UV) dans les plantes et dans les pucerons donnent des résultats prometteurs.
Croiser les données pour évaluer le risque
« Analyser des données hétérogènes pour surveiller, anticiper et évaluer le risque de jaunisse est au cœur du projet Sepim », explique Samuel Soubeyrand, biostatisticien à l’Inrae. En modélisant les données, les équipes visent une prédiction de l’arrivée des pucerons et de l’intensité des vols. « Nous cherchons aussi à caractériser les facteurs d’efficacité des produits de lutte contre les bioagresseurs », ajoute le chercheur. Les données météorologiques sont croisées avec celles du terrain (comptage sur pièges à succion, pratiques agricoles, paysage…) et les images satellitaires. « Les travaux de 2021 confirment la pertinence du modèle à base des images satellitaires pour discriminer les parcelles indemnes de symptômes et les parcelles affectées par la jaunisse ». Ces mesures pourraient, à terme, être utiles dans le cadre de démarches assurantielles.
Conférence disponible sur https://www6.inrae.fr/rencontresia/Les-rencontres-2022/Rencontre-PNRI-avec-l-ITB