En moins de trois semaines, Vladimir Poutine aura réussi à rendre quelque peu obsolète la feuille de route Farm to Fork de la Commission. Très vite, les producteurs ont alerté sur les impacts économiques majeurs pour le secteur agricole. Les associations spécialisées de grandes cultures de la FNSEA (AGPB, AGPM, CGB, Fop, UNPT) ont demandé le 1er mars à l’Europe de réaffirmer une stratégie de croissance de la production agricole : « l’Europe nous oblige à mettre en jachère 4 % des terres : cette orientation doit être stoppée immédiatement ».
Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a également fait savoir que « la majorité des États membres ont évoqué la souveraineté alimentaire de l’UE », regrettant que cette vision ait « parfois pu être oubliée par certains ». Le 8 mars sur la chaîne CNews, le ministre a estimé que l’Europe devait « assumer sa mission nourricière ».
Le commissaire à l’Agriculture a indiqué que l’Europe allait « tout faire pour libérer dès maintenant le potentiel de production agricole », notamment en utilisant des jachères pour cultiver des protéagineux. Le commissaire Wojciechowski a déclaré avoir entendu la demande des États et serait prêt à « rectifier le tir » si c’est nécessaire, tout en faisant savoir qu’il ne sera pas possible « de revenir de but en blanc sur la stratégie Farm to Fork ».
La Commission reste ferme sur sa stratégie emblématique, « ce serait une erreur historique de dire que le conflit en Ukraine doit enterrer le Green deal. Au contraire, cela doit nous permettre d’être indépendants, énergétiquement, de Poutine, a affirmé de son côté Frans Timmermans, le vice-président de la Commission européenne en charge du Green deal, lors de son intervention devant la commission de l’Environnement du Parlement européen le 7 mars. La stratégie de la ferme à la table est une part de la réponse et non du problème ». 26 organisations environnementales, citoyennes et paysannes, ont par ailleurs dénoncé le 10 mars « l’instrumentalisation de la guerre en Ukraine par les tenants d’une agriculture productiviste ». La bataille autour de la souveraineté alimentaire risque d’être encore animée.
La Commission européenne a l’ambition de faire de l’Union européenne le premier continent climatiquement neutre en 2050, à travers un ensemble de mesures regroupées au sein du désormais fameux Green Deal (Pacte Vert). Dans le secteur agricole, cette ambition repose principalement sur deux stratégies : « biodiversité » et «de la Ferme à la table » (Farm to Fork). Ces stratégies n’ont aujourd’hui pas d’existence réglementaire : elles fixent des objectifs et les moyens d’y parvenir feront l’objet de réglementations communautaires à venir.
Les quatre objectifs pour l’agriculture d’ici 2030 sont :
- Réduction de 50% des pesticides chimiques ;
- Réduction de 20 % des fertilisants ;
- Allouer 25% de la SAU à l’agriculture Bio ;
- Consacrer 10% de la SAU à des zones non productives.
Cette stratégie a fait l’objet de plusieurs études d’impact depuis l’année dernière, qui ont été bien médiatisées. Voici une synthèse des principales études réalisées par le service économique de la CGB.
Impact sur :
La betterave à sucre
la baisse de rendement serait de -16 % au niveau communautaire (-10 % en France). Si la production de betterave prend, en plus, sa part dans l’allocation de 25% en Bio, la baisse serait alors de -47% au niveau communautaire et de -49% spécifiquement en France (WUR).
La baisse de production de betterave, et de sucre communautaire, devrait être autour de 20 % (USDA) et 21 % (HFFA), dont 25 % en France (HFFA).
Les exports en sucre de l’UE devraient baisser de 27 % (USDA).
Les grandes cultures
les rendements en blé devraient baisser de 42 % (WUR), et de 50 % spécifiquement en France (WUR).
La baisse de la production de blé est chiffrée, selon les études, à 10 % (JRC), 15 % (WUR), 20 % (Kiel), 26 % (HFFA) ou 48 % (USDA). En France, spécifiquement, la baisse serait de 29 % (HFFA). Les chiffres sont proches en oléagineux.
Le revenu des agriculteurs
la baisse du revenu agricole brut moyen communautaire serait comprise entre 16 % (USDA), et 42 % dans le cas des exploitations conventionnelles, sur la base de la PAC en cours (Inrae).
En se concentrant sur les revenus céréaliers, la baisse devrait être de 26 % (JRC, Kiel).
La perte de valeur, pour les filières communautaires agricoles, devrait atteindre 12 Mds € (WUR).
Le coût pour le consommateur
les prix agricoles devraient monter de 17 % (USDA) et induire un surcoût pour le consommateur estimé européen entre 157 €/an (Kiel) et 170 €/an (USDA). L’impact ne serait pas seulement dans l’UE, avec un coût alimentaire moyen, dans le monde, de +51 $/an (USDA).
La balance commerciale communautaire
Les exportations communautaires agricoles devraient baisser de 20 % (USDA). Dans le cas des céréales, les importations devaient augmenter de 39 % (JRC) et les exportations devaient chuter de 38 % (JRC) : d’une situation excédentaire en céréales (+22 Mt), l’UE serait déficitaire (-6,5 Mt) (Kiel).
Le bilan environnemental global
la moitié des réductions de gaz à effet de serre (JRC), voire leur totalité (Kiel), serait annulée par une augmentation des émissions dans d’autres régions du globe.
Le besoin en surface supplémentaire agricole dans le globe est estimé entre 9 Mha (WUR) à 11 Mha (Kiel), soit le tiers de la SAU actuelle française, de 29 Mha.
Les 6 études
- USDA, novembre 2020. Ministère de l’Agriculture des USA (Services de recherche économique de l’USDA).
- Inrae, novembre 2020. Avec AgroparisTech, à la demande de la Commission Agri du Parlement européen.
- HFFA, mai 2021. HFFA (consultants allemands) pour le compte d’Euroseed (fédération des semenciers européens).
- JRC, août 2021. Joint Research Center, centre de recherche de la Commission européenne.
- Kiel, août 2021. Université de Kiel, pour le Grain Club (interprofession allemande céréalière).
- WUR, janvier 2022. Wageningen University & Research, suite à une commande de CropLife (fédération des producteurs de PPP de l’UE), avec le soutien du Copa-Cogeca.