Associer des plantes compagnes aux betteraves sucrières est l’un des leviers testés sur le réseau des Fermes Pilotes d’Expérimentation (FPE) du PNRI, pour réduire les populations de pucerons vecteurs de la jaunisse. Si cette première année d’essai met en évidence des résultats encourageants sur les pucerons, les effets sur la jaunisse sont encore à démontrer. L’optimisation des itinéraires techniques des plantes compagnes constitue également un axe majeur de la prochaine campagne, pour identifier ceux qui réduisent les populations de pucerons, sans concurrencer les betteraves.
Plusieurs espèces testées
En 2021, plusieurs espèces de plantes compagnes ont été mises à l’épreuve : avoine, orge, féverole, vesce, fenugrec et pois. Ces espèces ont été choisies pour leur tolérance vis-à-vis du programme de désherbage des betteraves, bien que certains ajustements aient été nécessaires, notamment pour les légumineuses. La possibilité de les détruire chimiquement à des stades avancés a également été un critère important dans le choix des espèces.
Selon les contraintes des sites, les plantes compagnes ont été semées au moment du semis des betteraves, ou 2-3 semaines avant. La densité de semis est variable sur quelques sites et la période de destruction des plantes compagnes a parfois été avancée pour limiter la concurrence avec les betteraves. Enfin, certains dispositifs ont été dédoublés pour tester l’efficacité des plantes compagnes, combinée aux traitements aphicides sur les pucerons. Cette hétérogénéité entre essais est intéressante car elle a permis d’identifier certaines pistes d’amélioration pour les itinéraires techniques de la prochaine campagne.
Moins de pucerons sur les betteraves
L’intérêt de l’avoine en plante compagne sur les populations de pucerons verts aptères a été évalué dans le numéro 1135 du Betteravier français. Sur la majorité des essais (six essais sur huit), l’avoine a permis de réduire significativement le nombre de pucerons. Parfois, l’association à une plante compagne montrait une efficacité similaire au recours à un aphicide seul, et la combinaison des deux leviers permettait de réduire encore plus le nombre de pucerons. Pour les légumineuses, une tendance à la réduction des pucerons dans la modalité associée a été observée, mais les dégâts liés au gel et aux programmes de désherbage des betteraves n’ont pas permis d’évaluer convenablement leur effet sur les pucerons.
Un effet sur la jaunisse difficile à évaluer
Six essais sur douze présentaient des symptômes de jaunisse marqués dans le témoin. Sur deux de ces sites, les symptômes étaient réduits dans la modalité associée. Par exemple, sur l’essai conduit à Bernay-en-Ponthieu (80), le contraste entre les bandes de betteraves avec de l’avoine et les bandes de betteraves seules était marqué : il y avait moins de ronds jaunes dans la modalité avec plantes compagnes (photo 1). À l’inverse, à Trinay (45) où le niveau de jaunisse était assez élevé, l’avoine n’a pas permis de diminuer les symptômes comparés au témoin. Un effet sur le nombre de pucerons y est pourtant observé, bien qu’il soit toujours au-dessus du seuil de traitement sur ce site.
Des résultats variables sur le rendement
L’année 2021 est probablement une année optimale pour ne pas observer de concurrence entre les plantes compagnes et les betteraves, en raison d’une bonne fourniture en eau et en azote pendant la période où les espèces étaient associées. Pourtant, des pertes de rendement assez importantes (environ 15 t/ha) ont été constatées à Clermont-Les-Fermes (02), Ostreville (62) et Craonne (02), mais pas sur les autres sites (tableau 1). Plusieurs facteurs peuvent expliquer ces différences de rendement. La période de destruction tardive de l’avoine sur les sites de Craonne et d’Ostreville (photo 2) pourrait expliquer les écarts de rendement observés entre les modalités. Sur les sites de Les Attaques (62) et de Nojeon-en-Vexin (27) où il n’y a pas eu de perte de rendement, la destruction est intervenue plus précocement. La densité en avoine était également plus faible à Nojeon-en-Vexin, ce qui pourrait expliquer pourquoi le rendement betteravier n’a pas été impacté. Sur ce même site, dans une zone témoin touchée par la jaunisse (non décrite dans le tableau), le rendement betteravier était plus faible que dans la modalité avec plantes compagnes. Cela illustre un potentiel intérêt des plantes compagnes dans des conditions qu’il faudra bien déterminer. Sur le site de Bernay-en-Ponthieu (80), toutes les conditions semblaient réunies pour que l’avoine affecte le rendement des betteraves : une densité de semis élevée (40 kg/ha) et une destruction au stade 8 feuilles des betteraves. Pourtant, le rendement betteravier est faiblement impacté par la plante compagne. Cet exemple contraire souligne le besoin de mieux comprendre comment les conditions de conduite et de développement peuvent influencer le rendement betteravier et les populations de pucerons.
Compte tenu du mauvais développement global des légumineuses, peu d’essais ont permis d’évaluer leur impact sur le rendement des betteraves. Cela n’exclut pas pour autant que les légumineuses puissent avoir un effet de concurrence. Par exemple, le pois semé à Clermont-Les-Fermes (02 – photo 3) à une densité élevée et avec une destruction tardive, a impacté le rendement des betteraves.
Perspectives pour la campagne 2022
Pour la prochaine campagne, les mêmes espèces de plantes compagnes seront retravaillées pour consolider et approfondir ces premiers résultats encourageants. Le nombre de situations avec les légumineuses sera augmenté car leurs profils restent intéressants, malgré les difficultés rencontrées au cours de cette première année.
L’accent sera mis sur l’optimisation des itinéraires techniques des plantes compagnes pour limiter la concurrence sur les betteraves. Des densités de semis plus faibles, un semis plus tardif et une destruction plus précoce seront testés sur des dispositifs en micro-parcelles, sur des plateformes expérimentales ou directement dans les FPE. Ces différentes conduites seront testées avec l’avoine et la féverole principalement.
Pour quelques situations, ce levier sera déployé sur des surfaces plus grandes (environ 1,5 ha par essai) afin de consolider ces résultats en conditions réelles de production.
La responsabilité du ministère chargé de l’Agriculture ne saurait être engagée.
Dans le cadre du PNRI, l’ARTB s’est penchée sur le coût économique de l’avoine rude en plante compagne.
Un coût économique limité… a priori
En considérant que le rendement betteravier avec plantes compagnes est équivalent à celui sans plante compagne, l’introduction d’une avoine rude se traduit par une hausse des charges betteravières correspondant, dans le cas le plus favorable d’un itinéraire technique intégrant déjà un traitement « antigraminées » (ce qui correspond à 63 % des surfaces betteravières cultivées en conventionnel, d’après les dernières enquêtes pratiques culturales), au seul coût du semis d’avoine estimé à 41 EUR/ha (source : ITB) ou 0,48 €/t betteraves à 16 °S sur la base d’un rendement de 85 t betteraves à 16 °S/ha (voir tableau des coûts économiques).
Une concurrence des plantes compagnes source d’éventuelles pertes de rendement betteravier ?
Si les essais de 2021 qui ont été menés semblent prometteurs pour diminuer les populations de pucerons, les résultats s’accompagnent parfois d’une baisse du rendement betteravier. Il est donc utile de projeter les précédents résultats en intégrant ce risque « rendement » dans les calculs. On constate ainsi que sur la base d’une perte de rendement betteravier de 5 %, l’implantation d’avoine se traduirait par un coût économique potentiel de 1,83 €/t betteraves à 16 °S (tableau ci-contre).
Dans ces conditions, la poursuite des essais en 2022 et 2023 semble indispensable pour confirmer l’efficacité de cette solution tout en préfigurant un itinéraire technique et une méthode d’implantation évitant les pertes de rendement betteravier qui renchérissent le coût économique de cette pratique.
Autres facteurs d’impact
En considérant une adoption assez large de cette solution, il est vraisemblable que la hausse de la demande en semences d’avoine de printemps – qui représente actuellement une surface totale de 46 000 ha à l’échelle nationale (source : Agreste) – augmentera. Le nouvel équilibre offre/demande en semences pourrait dès lors s’accompagner d’une hausse du coût de semis. Dans cette perspective, l’identification d’autres plantes compagnes efficaces sera très certainement utile pour permettre d’atténuer la hausse de la demande et son impact sur le coût du semis.