Bécasse ! Ce mot fait toujours rêver. On le voit dans les salles des ventes où les tableaux et les bronzes de l’oiseau valent toujours plus cher que les autres gibiers.
Certains la chassent exclusivement. Ce sont des spécialistes, des « bécassiers », pour lesquels le chien joue un rôle primordial, si important d’ailleurs que les plus élitistes ne tirent que lorsque l’arrêt a été parfait. C’est la quête de l’auxiliaire qui leur procure l’essentiel du plaisir. Quelle race ? Chacun a ses préférences. Pointer pour les uns, setter pour les autres, épagneul breton parfois, braque allemand également. Faut-il ou pas remplacer le traditionnel grelot par un « bip » électronique ? Le débat anime les dîners de chasse. C’est la querelle des anciens et des modernes. L’ancien plaide en faveur de la clochette, charmante, qui s’harmonise à l’environnement, comme celle des moutons ou des vaches. Le moderne dit que le collier électronique porte plus loin, qu’on l’entend mieux et que, par conséquent, c’est plus facile d’aller servir le chien. La vérité oblige à dire que les anciens perdent du terrain.
Animé d’une passion exclusive, le bécassier guette la météo, les vents, les températures. Il connaît parfaitement son territoire et les « places » qui, année après année, seront occupées par la partenaire. Pendant la saison – c’est-à-dire de la fin octobre à la fin janvier – certains vont à la chasse tous les jours. Dans l’immense forêt des Landes, on peut ainsi entendre le son des grelots ou des « bip » tout au long de la semaine. Dans certains départements, il existe toutefois des fermetures journalières. Et d’importantes portions de territoires restent en réserve.
Une bonne saison 2021
Comment se porte ce prestigieux gibier ? Bien ! C’est la réponse donnée aussi bien par les associations et les clubs spécialisés que par les pouvoirs publics. « Les suivis menés par notre club depuis maintenant plus de 25 ans montrent et confirment le bon état des populations bécassières. Les scientifiques de l’Office Français de la Biodiversité, avec qui nous travaillons en étroite collaboration, arrivent aux mêmes conclusions. Lors de la réunion du réseau baguage, Kévin Le Rest, responsable scientifique à l’OFB, mettait en avant l’importance des travaux menés sur la bécasse des bois. L’oiseau maintient ses effectifs à un bon niveau », dit ainsi Bruno Meunier, président du Club national des bécassiers (CNB).
Au cours de la saison 2021, les bécasses sont arrivées chez nous assez tôt, et en nombre. Ce phénomène s’observe aussi en Irlande où nos correspondants font état de fortes densités. Il faut rappeler que toute l’île est une réserve à bécasses et que les chasseurs n’en explorent qu’une infime portion. Comme les locaux ne s’intéressent guère à lui, ce gibier profite ici d’un hivernage paisible. Certains guides se sont découvert une passion pour la photographie. Le jeune et talentueux Donal Casey, qui opère dans le Kerry (JMM organisation), m’a ainsi envoyé ce superbe document d’une bécasse fonçant vers l’objectif de son appareil photo !
« Maturer » mais pas trop …
Pourquoi les populations européennes sont-elles en bonne santé ? Pour plusieurs raisons. D’abord, il existe un prélèvement maximum (PMA) de trente oiseaux par an et par chasseur. Les départements modulent. « Trois oiseaux par semaine en Bretagne ; deux par jour dans l’Ain ; trois par jour dans l’Isère », précise Pascal Repiton de l’association des bécassiers de France, en ajoutant que l’on compte de plus en plus de jeunes pratiquants. La moyenne des prises se situe autour d’une dizaine. Ensuite, la bécasse sait ruser et égarer les chiens. Enfin, le milieu est encombré : branches, ronces, troncs, baliveaux. Il faut souvent compter trois ou quatre levées avant d’avoir une fenêtre de tir. Le vol est en outre imprévisible. Tantôt sarcelle, tantôt bécassine, tantôt merle, la bécasse est capable de toutes les facéties. Il peut même lui arriver de sortir en clair dans un espace dégagé avec le vol désespérément lent de la chouette et c’est souvent celle-là que l’on rate le mieux. En règle générale, on ne peut « doubler » qu’une fois sur trois. Le reste du temps, elle a disparu derrière les arbres.
Une fois la bécasse prélevée, on prendra, bien sûr, la fameuse « plume du peintre » située au coude de l’aile. On observera aussi les grandes rémiges pour avoir une idée de son âge : rémiges usées c’est une jeune, rémiges intactes une vieille qui a fait sa mue.
Il ne reste plus qu’à suspendre le noble gibier pour attendre sa maturation et le déguster en bonne compagnie. Combien de temps ? Certains parlent de trois semaines. L’un de mes amis, ayant tenté l’expérience et récolté une violente intoxication alimentaire, je passe à table au bout de cinq à huit jours (en fonction de la température extérieure).
Mais en ce domaine, comme dans tant d’autres, personne ne détient la vérité. Et c’est ainsi que la bécasse est belle !