Au début du mois de janvier, les négociations pour la campagne 2022 du Gappi (Groupement des producteurs de pommes de terre livrant à McCain) se sont conclues par un accord qui « recrée de la dynamique », se réjouit Bertrand Achte, président du Gappi.

« Les discussions se sont déroulées avec une bonne écoute, reconnaît-il. Plusieurs facteurs militaient en faveur d’une revalorisation significative des prix payés aux planteurs ». La vive reprise de l’économie nationale et la réouverture de l’ensemble des établissements de restauration hors domicile ont été bénéfiques à la filière pomme de terre de transformation.

Un nouvel effondrement des prix des pommes de terre sur le marché libre affecterait alors les négociations contractuelles de la fin de l’année entre planteurs et transformateurs, pour la campagne 2023. Mais pour l’instant, ce scénario n’est pas d’actualité.

Au contraire, il est dans l’intérêt de McCain et des autres transformateurs de rendre la production de pommes de terre attractive auprès des planteurs. Car les prix des céréales sont élevés alors que leur culture est moins risquée que celle de pommes de terre !

Un surcoût de 20 €/t

« Avant de négocier les prix des prochains contrats annuels et pluriannuels, le Gappi a calculé quel serait l’impact des hausses des prix des intrants sur les coûts de production de pommes de terre de ses adhérents durant la prochaine campagne, explique Bertrand Achte. Et en prenant en compte l’augmentation par trois, sur un an, du prix des engrais azotés et celle de plus de 50 % des prix des carburants, il en est ressorti que la tonne de pommes de terre coûterait 20 € de plus que la campagne passée ».

Évidemment, ce chiffre a été porté à la connaissance de McCain lorsque les négociations tarifaires ont démarré à l’automne passé.

Mais avant chaque négociation, la difficulté de cet exercice de calcul réside dans le fait qu’il faille anticiper, chaque année, l’évolution des prix auxquels les intrants seront achetés au cours de la campagne suivante en fonction des prix en vigueur observés pendant la précédente. Or lorsqu’un accord est signé, la conjoncture peut subitement être différente.

Par ailleurs, cette approche ne prend pas en compte la stratégie commerciale individuelle des agriculteurs. Certains ont anticipé leurs achats d’engrais ou de produits phytosanitaires, tandis que d’autres attendent le dernier moment pour les faire.

La loi Egalim 2 du 18 octobre 2021, dont l’objectif est de préserver les marges des agriculteurs, doit s’appliquer à la filière des pommes de terre pour l’industrie en 2023. Si les prix des intrants baissent, les prix de vente des pommes de terre diminuent. S’ils augmentent, les prix des tubercules aussi. Mais aucune négociation de prix ne peut être obtenue durant la campagne. « Hélas, le secteur du frais, qui en avait pourtant besoin, a fait le choix de ne pas faire partie du dispositif. C’est un profond regret », a commenté Geoffroy d’Evry, le président de l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT).

Mais l’application de la loi Egalim 2 pourrait révéler les problèmes de productivité et la faible compétitivité de certains transformateurs, puisque les négociations commerciales avec la grande distribution ne porteront finalement que sur les marges de ces industriels.

En effet, la part des prix des matières premières étant sanctuarisée et soustraite des négociations avec les distributeurs, les prix des pommes de terre payés aux producteurs ne peuvent plus, en théorie, être la variable d’ajustement de ces négociations commerciales rituelles.

« Dans l’esprit, c’est une bonne loi. Dans sa mise en pratique, elle est d’une complexité incroyable. L’application de la loi dans le secteur va entraîner l’instauration d’indicateurs de prix et la création d’une organisation de producteurs (OP). La réglementation autorise l’agriculteur à n’adhérer qu’à une seule OP. Nous allons créer une OP pommes de terre globale avec des sections spécialisées (NDLR : chips, frites…) », a expliqué Geoffroy d’Evry.

Risque de distorsions

La Loi Egalim 2 s’applique aux négociations entre les industriels et les distributeurs qui s’approvisionnent sur le marché intérieur. « Hors de nos frontières nationales, elle pourrait rendre notre pays encore moins attractif qu’aujourd’hui, déplore Bertrand Achte. Le niveau des prélèvements obligatoires, le Code du travail et les normes sanitaires et phytosanitaires dissuadent déjà de nombreux investisseurs. L’usine de transformation qui devait être construite près de Dunkerque est toujours à l’état de projet ! ».

Du reste, on ne compte plus les entreprises qui ont anticipé l’évolution de la réglementation française en s’implantant à l’étranger, et notamment en Belgique.

Dans ces pays, ces industriels ne seront pas contraints par la loi Egalim 2, ni avec les planteurs, ni avec la grande distribution. Pour autant, ils s’approvisionneront toujours en France puisque la production de pommes de terre n’est pas, elle, délocalisable. Et les prix des tubercules seront négociés avec les organisations de producteurs sur d’autres bases.

Enfin, la loi Egalim 2 n’interdit pas non plus aux centrales d’achat de la grande distribution de s’approvisionner auprès d’industriels de la transformation de pommes de terre basés à l’étranger.

« Il va falloir faire en sorte que cette loi ne soit pas une contrainte pour nos industriels face à une concurrence étrangère qui ne sera pas soumise aux mêmes obligations. Nous souhaitons que l’ensemble des mesures prises en France concernent également les produits issus des autres pays vendus ensuite en France », martèle Geoffroy d’Evry. Sinon, toute la filière pomme de terre française sera pénalisée. Et la loi Egalim 2 passerait alors complètement à côté de son objectif.