L’un parle, c’est Denis ; l’autre écoute, c’est Didier. Le premier, qui est aussi l’aîné, a une formation agricole, tandis que le second est mécanicien agricole. Nés à un an et un jour d’intervalle, les frères Hunin sont aussi dissemblables sur le plan physique et mental que complémentaires sur le plan professionnel. Un atout et une force lorsqu’il s’agit de se répartir le travail, chacun évoluant dans sa propre sphère de compétences. Didier, 51 ans, s’occupe bien sûr de la mécanique. Il est préposé à la conduite des machines lors de la récolte. Il gère aussi la traite des vaches et la buvée des veaux. C’est enfin le spécialiste de l’irrigation, un poste crucial dans une exploitation dont 50 % de la surface se trouve en zone irrigable. La betterave, en particulier, nécessite d’être irriguée sur ces terrains séchants. Denis, 52 ans, assume la partie technique de l’exploitation : traitement des cultures, alimentation du bétail, etc. Et surtout il se dévoue pour gérer et administrer la ferme, l’aspect le plus rébarbatif du métier. Les deux frères se retrouvent autour d’une activité : les travaux de construction nécessaires à l’entretien et au développement de l’exploitation. Ils disposent de leur propre gravière (d’où le nom de leur propriété, la ferme de la Gravière, et de celui de la société dont ils sont les cogérants, le Gaec des Grèves). « C’est notre pétrole », plaisante Denis Hunin. Qui s’amuse aussi du leadership pris par son frère cadet dans cette tâche : « C’est lui le maçon, moi je fais le manœuvre ».
Des vaches en cadeau de mariage
On ignore si le ministre de l’Agriculture a apprécié le tapis de grève tout spécialement étalé sur le sol de la ferme à l’occasion de sa visite aux frères Hunin, le 21 janvier dernier. Eux, en tout cas, ont pris comme un « honneur » la venue de Julien Denormandie, invité par le député du coin, un certain Grégory Besson-Moreau. Ils ont trouvé le ministre « très accessible, très à l’écoute, très proche du terrain », et « connaissant très bien son sujet ». Cette « fierté » de montrer un outil de production en ordre de marche semble légitime au regard du parcours de la famille Hunin. À l’origine de la saga, on trouve le père Gilbert Hunin qui, avec sa femme Evelyne, une ancienne bonnetière venue rejoindre son mari, a amorcé la pompe en 1969. « Il a démarré avec 7 hectares et 5 vaches qui lui avaient été offertes en cadeau de mariage pour s’installer ! »
Aujourd’hui âgé de 75 ans, Gilbert Hunin occupe toujours un emploi à mi-temps au Gaec des Grèves, tant cet infatigable cultivateur baigne dans son élément au milieu des labours. On l’a vu converser en tête-à-tête avec le ministre de l’Agriculture, et on ne peut s’empêcher de penser que c’était là, d’une certaine manière, le couronnement d’une carrière aboutie.
Payés 3 euros de l’heure
On produit aujourd’hui 1,7 million de litres de lait par an sur la ferme, lait destiné exclusivement à la fabrication du brie de Meaux pour le compte de Sodiaal. Moyennant le respect d’un cahier des charges très strict, travailler pour une AOP rapporte en moyenne 35 euros de plus les 1 000 litres aux deux exploitants. Denis et Didier s’estiment toutefois encore insuffisamment rémunérés sur le lait même si, depuis trois mois environ, ils observent une remontée des prix de l’ordre de 10 à 15 % sur la viande. Denis a fait ses comptes il y a quelques années : rapporté au nombre d’heures travaillées, il gagne 3 euros de l’heure. Car la contrepartie, c’est quinze heures de travail par jour, sans compter les nuits à surveiller les vêlages. « Ça finit par peser moralement », avoue Didier, même s’il se dit habitué à ce dur régime. Ils n’ont guère le choix : leur troupeau est tellement grand ! Plus de mille bovins dont il faut s’occuper, des charolaises, des salers et des prim’holstein, qui ne dérangent d’ailleurs personne puisque les étables se dressent en rase campagne. L’exploitation elle-même est très étendue, disséminée sur quatre sites (deux fermes, un hangar à matériels et des pâtures éloignées de 140 km), douze communes et deux départements. Il faut en effet beaucoup de prairies pour nourrir un cheptel aussi imposant. C’est d’ailleurs pour assurer l’autosuffisance alimentaire de leur exploitation que les frères Hunin se sont lancés dans la culture de la betterave il y a quatre ans, afin de récupérer les pulpes, un « très bon aliment ». Le Gaec livre 1 000 tonnes de betteraves à la sucrerie d’Arcis (Cristal Union).
Malgré tous les sacrifices consentis pour exercer ce métier passion, le Gaec se dit encore prêt à grossir. Seul frein à sa croissance : la difficulté à trouver une main-d’œuvre « motivée, courageuse et bien formée ». « Il reste de la place pour un temps plein », sachant que le fils de Denis, Dorian (18 ans), est déjà salarié à temps complet, et qu’une dame s’occupe de la traite à mi-temps. L’aîné des Hunin ne pourra pas, quant à lui, en faire plus : déjà président d’une Cuma, il a accepté, contraint et forcé, le poste de maire de sa commune, Lassicourt (59 habitants), « parce que personne ne voulait la place ».
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