Diplômée de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs, l’autrice réalise sa première bande dessinée, en confrontant les idées de son père, agriculteur, à sa volonté d’une agriculture plus écologique. C’est en se rendant sur les terres de son enfance que Marine de Francqueville apprend à découvrir le métier de son père, agriculteur à Goudelancourt-lès-Berrieux depuis 1987, où il cultive entre autres le blé, l’orge mais aussi la betterave sucrière. Très vite, des désaccords naissent entre le père et sa fille quant à leur vision du monde agricole. Pratiquant une agriculture traditionnelle, le père de l’auteure utilise des produits phytosanitaires pour assurer rendement et rentabilité. Mais sa fille, qui se documente sur l’agriculture biologique, s’offusque dans un premier temps puis reconnaît par la suite le poids qui pèse sur les épaules de son père : « les agriculteurs jusque-là perçus comme des héros (…) deviennent aux yeux de plus en plus de personnes les principaux responsables des catastrophes écologiques ».
Nouvelles perspectives
Cette relation affectueuse formée sur papier et leurs échanges constructifs vont mener le père de l’autrice à découvrir de nouvelles perspectives. L’agroforesterie, principe qui consiste à associer les arbres et les cultures au sein de la même parcelle, est mise en avant par une agricultrice rencontrée, à travers une succession de dessins de nature à valoriser les bienfaits sur la terre et les insectes. Au fur et à mesure du récit, le lien entre le père et sa fille s’intensifie par le partage de leurs savoirs et permettent d’envisager l’agroforesterie, mais aussi l’agriculture biologique : « je ferai de l’épeautre, du seigle… Ça sera sympa de découvrir d’autres cultures ! », lui annonce enfin son père.
De nombreux sujets sont abordés, notamment la retraite. Les « hors cadre familial », comme mentionnés par Marine de Francqueville, vont permettre aux agriculteurs proches de la retraite de céder leurs terres à des agriculteurs qui souhaitent exercer, sans passer par le schéma familial, notamment lorsque personne ne veut prendre la succession.
Par un trait fin et nuancé, une touche d’humour et des représentations qui parlent aux plus jeunes comme aux plus grands, Marine de Francqueville marque la fracture intergénérationnelle entre les agriculteurs sur le terrain depuis toujours et les jeunes en quête d’une agriculture respectant l’environnement.
Edition : Rue de l’échiquier
Prix : 21,90€
Quelle vision aviez-vous plus jeune du travail d’agriculteur de votre père ?
J’ai le souvenir qu’on allait à sa ferme, et qu’on montait dans son tracteur pour se balader. J’ai gardé cette image de grandes étendues avec lesquelles on pouvait faire des allers et retours en tracteur.
Avez-vous changé votre regard sur l’agriculture suite à ces échanges avec lui et d’autres agriculteurs ?
Oui, complètement. J’avais au départ une vision assez critique, des idées reçues. C’est une fois sur le terrain que j’ai vu une réalité tout autre : j’ai pu comprendre les questions économiques qui rentraient en jeu, que certains produits étaient arrivés sur le marché et qu’il n’existait pas d’autres solutions, et surtout j’ai réalisé que les agriculteurs accusés n’étaient pas eux-mêmes forcément ravis de devoir utiliser ces produits.
Vous mentionnez à la fin du livre le départ en retraite de votre père, et indiquez ne pas être encore prête à reprendre l’exploitation. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Pour le moment, ce n’est pas d’actualité. J’ai cette envie de mettre mes mains dans la terre, mais je suis actuellement sur d’autres projets artistiques, de réalisation cinématographique, de bande dessinée, et de reportage sur ce qui se passe dans le monde. Mon père va léguer une partie de ses terres à son voisin, et cherche un acquéreur pour céder une parcelle de 17 hectares en passant par Terre de Liens (NDLR : mouvement citoyen qui aide les agriculteurs à s’installer en supprimant la charge de l’acquisition foncière).
Pour finir, votre père a-t-il lu votre bande dessinée? Qu’en a-t-il pensé ?
Il l’a lue oui, et il est très content du résultat, représentatif de nos échanges.