L’Europe va-t-elle réussir à faire un pas de plus pour réduire son impact sur la déforestation ? C’est le projet d’un règlement proposé par la Commission européenne le 17 novembre, qui s’inscrit dans le cadre du Green Deal. Dès 2019, Bruxelles avait annoncé envisager l’adoption de mesures pour garantir qu’aucun produit vendu sur le marché européen ne serait issu de la déforestation. Le texte proposé aujourd’hui inclut l’obligation, pour les importateurs de produits agricoles listés, de garantir que ces produits ne sont pas issus de parcelles déboisées après le 31 décembre 2020 (en précisant la géolocalisation des parcelles sur lesquelles ils ont été produits) et sont conformes à la législation du pays de production. Si l’une des deux conditions n’est pas respectée, les produits ne pourront pas être mis sur le marché de l’UE.
Des évaluations régulières
La Commission souhaite mettre en place un système pour évaluer chaque pays exportateur, et leur risque associé vis-à-vis du produit concerné en termes de déforestation. Elle adaptera également le champ d’application du règlement, en révisant régulièrement la liste des produits de base en fonction des nouvelles données qu’elle pourrait collecter.
La Commission Environnement (Comenvi) du Parlement européen a salué l’initiative lors de la présentation du projet par le commissaire à l’Environnement, le 23 novembre dernier. Tout comme l’association WWF. « L’Union européenne prend ainsi une initiative nécessaire et attendue de longue date pour mettre un terme à des années de contribution à la déforestation mondiale », s’est félicitée l’ONG dans un communiqué du 17 novembre. Selon le WWF, entre 2005 et 2017, les importations de l’UE ont provoqué la déforestation de 3,5 millions d’hectares de terres (soit 1 807 millions de tonnes de CO2). L’UE reste le deuxième plus grand importateur de matières premières liées à la déforestation en 2021 et à l’origine de 16 % de la déforestation associée au commerce international. Elle se place ainsi après la Chine (24 %), mais devant l’Inde (9 %), les États-Unis (7 %) et le Japon (5 %), insiste l’ONG.
Le sucre de canne non retenu
Les produits concernés, listés dans le projet de règlement, ont été choisis par la Commission européenne à partir d’un travail préparatoire, s’inspirant fortement des propositions du WWF (dirigé par Pascal Canfin entre 2015 et 2019, aujourd’hui député européen), émises dans une étude en avril 2021. À date, les produits retenus sont le soja, la viande bovine, l’huile de palme, le bois, le cacao et le café ainsi que certains produits dérivés comme le cuir, le chocolat et les meubles. Le sucre n’en fait pour l’instant pas partie, bien que l’étude d’impact précise que certains intervenants auraient souhaité le voir inclus, tout comme le poulet, le maïs et le caoutchouc. Des absences qui ont été pointées du doigt par plusieurs organisations. Dans son communiqué du 17 novembre, le WWF a demandé à la Commission d’améliorer sa proposition sous trois angles :
– Ne pas limiter le périmètre aux seules forêts, mais également aux savanes, prairies, tourbières ;
– Étendre la liste des produits concernés au poulet, au caoutchouc, au maïs et au sucre ;
– Inclure une notion de respect relatif au droit des communautés locales.
« L’UE doit saisir l’opportunité inédite de cette législation pour fixer un cadre clair pour les entreprises importatrices et les pays producteurs », insiste Véronique Andrieux, la directrice générale du WWF France.
Des organisations mobilisées
De son côté, la Confédération européenne des betteraviers (CIBE) a écrit le 4 novembre dernier à Frans Timmermans, vice-président de la Commission et en charge du Green Deal, aux Commissaires à l’Environnement et à l’Agriculture, à Pascal Canfin, président de la Comenvi et au rapporteur au Parlement sur le sujet, Delara Burkhardt (PSE, Allemagne) pour leur demander d’inclure le sucre de canne dans la liste des produits concernés. La CIBE se base notamment sur le fait que, selon le rapport du WWF d’avril dernier, le sucre fait partie des 10 produits les plus liés à la déforestation dans le monde. Près de 3 000 hectares par an seraient déforestés dans le monde pour produire le sucre de canne importé dans l’Union.
Pour la CIBE, « cette première proposition législative est fondamentale pour contrer l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur et, à plus longue échéance, concernant les clauses miroirs ».
Pour sa part, lors de l’assemblé générale de la CGB le 9 décembre, son président, Franck Sander, a interpelé le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, sur le besoin de corriger le texte.
Dans la perspective de la rencontre des ministres de l’Environnement qui s’est tenue le 20 décembre, l’interprofession de la betterave-sucre AIBS a écrit le 17 décembre à la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompilli, pour lui demander de proposer à la Commission européenne d’inclure le sucre de canne dans les produits concernés. « Ce projet de règlement constitue à nos yeux un premier exemple de ce à quoi pourraient ressembler les clauses miroirs dont le Président de la République a fait une priorité de la Présidence française de l’Union européenne (NDLR : qui a débuté le 1er janvier 2022) », écrit Alain Carré, le président de l’AIBS dans sa lettre.
Le projet de règlement devrait être porté au Parlement et au Conseil européen dans les prochaines semaines, en vue d’une adoption possible d’ici le second trimestre 2022.
« Nous comptons sur le Parlement et les États membres pour renforcer la proposition de la Commission et garantir que la législation inclue tous les produits concernés. La responsabilité est particulièrement forte pour la France qui a une occasion en or, en tant que présidente de l’UE, de transformer ses promesses en actes », a insisté Véronique Andrieux, la directrice générale du WWF France.