Sécheresse, gel, jaunisse, cercosporiose, charançon… Les défis auxquels doit faire face la culture de la betterave ne manquent pas depuis deux ans. Et le temps presse. Dans deux ans, la dérogation autorisant les néonicotinoïdes ne sera plus possible pour lutter contre la jaunisse. Quant au charançon, il remonte vers le nord de la France à raison de 50 kilomètres par an. « Dans un horizon de trois à cinq ans, toute la France sera concernée », prévient Alexis Hache, agriculteur et président de la commission environnement de la CGB. Pour lui, « le besoin en recherche et innovation est plus fort qu’avant car on a des problèmes nouveaux, auxquels il faut trouver des solutions extrêmement rapides car le temps agricole et le temps réglementaire ne sont pas les mêmes ».
Dans ce contexte, comment accélérer l’innovation en betteraves ? Un sujet crucial, qui était le thème du débat organisé par la CGB, lors de son assemblée générale du 9 décembre. « Pour lutter face à la jaunisse, l’espoir des chercheurs repose sur une combinaison de leviers car il n’y aura pas de solution unique », estime Fabienne Maupas, directrice du département technique et scientifique de l’ITB. Les moyens mis en œuvre sont nombreux, à la fois techniques et biologiques. « Dans cette même lutte, nous testons la vaccination des betteraves avec un virus peu dommageable, des lâchers de prédateurs, des produits odorants, des plantes compagnes avec les betteraves ou des graminées pour éradiquer les pucerons », poursuit Fabienne Maupas.
Des innovations de rupture
Travailler en collaboration pour agréger différentes compétences apparaît aussi comme une nécessité. Le groupe Exel Industries en est convaincu. Il travaille depuis deux ans sur un système de pulvérisation de haute précision. Commercialisée en 2022, la solution 3S Spot Spray Sensor sera capable de filmer les cultures à 25 km/h et d’ouvrir la buse en cas de présence d’une adventice, d’une maladie ou d’un ravageur. Le groupe a créé une start-up interne, baptisée Exxact Robotics. « On a fait venir de bons chercheurs, comme Colin Chaballier, un ancien de la start-up Carbon Bee qui a monté une équipe de 30 chercheurs à Epernay. Nous avons travaillé avec une start-up marseillaise Next Vision pour développer des caméras très particulières. On a ensuite pris des dizaines de milliers de photos de champs dans l’Europe entière pour que l’intelligence artificielle puisse associer, en quelques fractions de secondes, la photo prise dans les champs à des images en mémoire », détaille Yves Belegaud, le directeur général d’Exel Industries. Cette solution va permettre de réduire de l’ordre de 50 % la dose de phytos appliquée, et répondre aux objectifs du Green Deal.
« Nous avons besoin de tous les maillons de la filière face aux enjeux de demain. Nous soutenons les entreprises mais aussi les projets collaboratifs, estime Ariane Voyatzakis, responsable de l’agroalimentaire chez BPIFrance. Il faut associer différentes compétences, des ETI, des start-up, des coopératives, des agriculteurs et les instituts techniques et de recherche ».
Rassemblant 35 partenaires pour lutter contre la jaunisse de la betterave, le Plan national de recherche et d’innovation (PNRI) est une illustration de la collaboration entre différents acteurs autour d’une même cause. Agriodor est l’un d’entre eux. Fondée par Alain Thibault, s’appuyant sur un brevet de l’Inrae, la start-up fabrique des odeurs capables d’interagir avec des insectes. En les attirant, ces odeurs vont permettre de les piéger ou encore de faire venir des prédateurs pour tuer les ravageurs. « Cela fonctionne bien en laboratoire. Le défi est maintenant de passer aux champs. Cela est plus compliqué, avec les intempéries. Il faut pulvériser l’odeur avec des capsules par exemple », explique Alain Thibault, président d’Agriodor.
La réussite de ces innovations passera par un coût abordable pour les agriculteurs et par une simplicité d’utilisation. « C’est une nécessité si l’on veut que les agriculteurs se saisissent de ces innovations », insiste Alexis Hache. Un avis partagé par Yves Belegaud. « Nous concevons de nouveaux produits, mais il faut aider les agriculteurs à les acheter. Environ 2 000 pulvérisateurs sont vendus en France par an. Or le parc est de 170 000 équipements. Pour réussir l’objectif de réduire les doses de produits phytosanitaires, il va falloir que l’État mette en place des systèmes d’accompagnement très incitatifs et que l’on soit capables d’adapter les solutions innovantes sur les anciens équipements », estime-t-il.
Trouver les financements
Accélérer l’innovation passe également par un soutien financier des opérateurs. Mais rechercher des financements relève parfois du casse-tête. « C’est un dédale. L’État met énormément d’argent, mais on peine à savoir à qui s’adresser. On est obligés de faire appel à des cabinets spécialisés pour trouver la bonne porte. Il faudrait des centralisateurs pour nous orienter plus simplement vers le bon financement », insiste Yves Belegaud. Il semble que le problème ait été entendu par BPIFrance. « Nous avons regroupé tous les appels à projets des investissements d’avenir dans une seule entité, dotée au total de 200 millions d’euros pour aider toute taille d’entreprise, ainsi que des projets collaborateurs », détaille Ariane Voyatzakis. A cela s’ajoutent dix millions d’euros confiés à BPIFrance par le ministère de l’Agriculture, dans le cadre du plan de relance pour financer des solutions innovantes. Cela permettra de créer une promotion de 20 entreprises qui seront associées pour travailler ensemble.
Si l’argent reste le nerf de la guerre, la partie réglementaire est un autre point clef pour faciliter l’innovation. « La semence est un levier de progression énorme, mais il faut que les semenciers français et européens aient accès au même cadre que leurs concurrents mondiaux, en particulier sur les nouvelles techniques de sélection génomique comme Crispr-Cas9 », tranche Alexis Hache. La réponse est attendue du côté européen, mais pas tout de suite.
En attendant, le système collaboratif pourrait bien faire des émules. De plus en plus de voix s’élèvent dans la filière betterave-sucre pour réclamer un programme équivalent afin de lutter contre le charançon.
Lors de son assemblée générale du 9 décembre, la CGB a remis au ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, un livre blanc de vingt propositions structurées en trois priorités : innovation, bioéconomie, et gestion des risques, pour faire de la betterave, d’ici 2030, « un véritable levier de souveraineté alimentaire, énergétique, sanitaire, industrielle et de lutte contre le changement climatique dans les territoires ».
En matière d’innovation, l’ambition est de déployer une « beet’tech française », avec la mise en place d’un PNRI « charançon » : avoir un cadre réglementaire européen adapté aux nouvelles techniques d’édition génomique, faire de la finance verte une opportunité pour l’agriculture et la bioéconomie et déployer les innovations dans les exploitations avec un choc d’investissement.
Sur le volet de la bioéconomie, l’objectif est de promouvoir un crédit carbone agricole made in France, de faire du label bas carbone une référence nationale et européenne pour que la France devienne leader du « carbon farming », de conforter la méthanisation dans les territoires, de mutualiser au niveau européen le plafond d’incorporation de 7 % de biocarburants de première génération et d’inciter les constructeurs automobiles français à proposer une gamme de véhicules flex-E85.
Sur la gestion des risques, la CGB souhaite notamment développer les contractualisations longues de l’agriculteur au consommateur, encourager l’utilisation des marchés à terme pour une meilleure gestion et un meilleur partage des risques, et favoriser la création d’outils de stabilisation du revenu sectoriel.
Néonicotinoïdes. « Un grand merci pour la filière. Car, sans votre courage politique sur les néonicotinoïdes, nous ne serions pas là à parler d’avenir. Ce mieux ne doit en rien masquer l’urgence qui habite notre culture, nos agriculteurs et notre filière. Pour la jaunisse, nous n’avons toujours pas d’alternative efficace aux néonicotinoïdes. Et c’est pourquoi nous demandons une nouvelle dérogation pour pouvoir protéger nos betteraves en 2022. Elle est nécessaire et urgente, le temps que les exceptionnels moyens de recherche que nous mettons en oeuvre nous permettent de trouver des solutions ».
Assurance récolte. « Afin que celle-ci soit pleinement adaptée aux particularités de la betterave et des grandes cultures, il faut que le dispositif fonctionne à la culture et non à l’exploitation. Abaisser la franchise à 20 % est incontournable, si on souhaite doubler le taux de diffusion à 60 %. Il faudra aussi savoir remettre la profession, les assureurs et l’État autour de la table pour repositionner une feuille de route ambitieuse sur la gestion des risques sanitaires qui vienne conforter ce qui a été initié avec le Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental (FMSE) ».
Loi Egalim 2. « Pour nos sucriers, nous n’ignorons pas que c’est une étape délicate à franchir, mais il nous faut en faire une opportunité, comme l’a exprimé très récemment Damien Lacombe, président de Sodiaal. Et pas de nous entredéchirer, mais de construire une contractualisation durable dans l’intérêt de tous ».
Carbone. « Notre profession est en mouvement pour faire émerger un modèle économique carbone vertueux pour nos exploitations, qui doit permettre à nos grandes entreprises de relocaliser leurs achats de crédits carbone en France. Plus de 90 % des compensations carbone sont importées. Cela ne peut pas durer ! À nous de construire des partenariats avec nos grandes entreprises ».
Néonicotinoïdes. « Je ne suis pas sûr que beaucoup de ministres auraient osé porter un tel sujet collégialement avec l’Assemblée nationale et le Sénat pour ne pas laisser votre filière sans solutions. C’est pour cela que j’ai réintroduit les néonicotinoïdes, avec le souci de maintenir la souveraineté sucrière française. Nous venons de recevoir une nouvelle demande de dérogation pour 2022, et c’est avec la même détermination et le même travail scientifique que nous aborderons cette question ». « 2021 est une année pleine d’espoir », a poursuivi le ministre, n’hésitant pas à dire : « nous avons sauvé la filière betterave et redonné de la confiance ».
Loi Egalim 2. « La répartition de la valeur au sein des filières est un énorme sujet. Les discussions ont été compliquées au sein de votre filière sur la question : faut-il mettre en œuvre la loi Egalim 2 ? La filière sucre ne s’est pas mise d’accord, donc elle est incluse dans la loi. Je suis sûr que la loi Egalim 2 est une opportunité pour la filière. Le statu quo sur la répartition de la valeur n’est pas possible. Il vaut mieux tenter un changement. Je serai intransigeant dans la mise en place de la loi Egalim 2, avec l’instauration de contrôles ».
Assurance récolte. « Nous avons la responsabilité de construire un modèle plus résilient face au changement climatique. L’assurance récolte sera peut-être une des réformes les plus structurantes que nous ayons connue depuis la mise en place de la PAC. Avant la fin de la mandature, les bases de l’assurance récolte seront figées par la loi ».
Carbone. « La question du carbone est un point stratégique. C’est une formidable opportunité de création de valeur économique pour les agriculteurs. Mais il faut que les industriels achètent des crédits carbone français, qui coûtent entre 30 et 40 €, contre 8 € pour les crédits brésiliens ».