On ne pouvait que se réjouir de la remontée des cours des produits agricoles observée depuis près d’un an après des années de prix bas. Mi-novembre, le cours prix de la tonne de blé frôlait le seuil de 300 € sur le marché de Rouen.
Mais la flambée des prix des intrants inquiète. En pleine période de semis, les agriculteurs engagent des frais de culture très élevés sans avoir la certitude que les prix de vente de leurs prochaines récoltes et des aides PAC couvriront leurs charges l’été prochain. Sur le marché à terme de Rouen, la tonne de blé – à échéance de septembre 2022 – valait 250 €, soit près de 40 € de moins que le prix actuel sur le marché physique. Une fois les frais de transport et de stockage déduits, l’agriculteur marnais ne serait plus payé que 225 €.
Du reste, on notera le décrochage du marché à terme sur le marché physique. Autrement dit, les opérateurs abordent pour l’instant la prochaine campagne avec une relative confiance.
« Les hausses sont vertigineuses, prévient Olivier Josselin, responsable filières et références au centre de gestion AS Entreprises & FDSEA Conseil dans la Marne à Reims. Les coûts de fertilisation pour cultiver du blé (objectif de rendement 9 t/ha) en Champagne crayeuse sont dorénavant estimés à 873 € par hectare si les engrais avaient été achetés au début du mois de novembre. Pour la récolte 2021, ils étaient de 576 € en moyenne ».
Toutes charges confondues, un hectare de blé 2022 revient actuellement à plus de 1 838 €, soit 400 € de plus que la campagne passée 2020-2021 (la rémunération retenue de l’exploitant est de 220 €/ha). Ramené à la tonne de blé produite, le coût de revient passerait alors de 157 € à 207 € (dont 25 €/t de blé en rémunération). Bien sûr, les coûts varient d’une exploitation à l’autre et même d’une culture à l’autre, selon les prix auxquels chaque agriculteur paie ses intrants.
La simulation présentée par Olivier Josselin a été réalisée en prenant comme référence une exploitation champardennaise, située en Champagne crayeuse, de 105 ha dans le département de la Marne (1). Ses coûts d’engrais passeraient de 27 000 € (prix des engrais moyens de la récolte 2021) à 55 500 €.
Aucun revenu avec un blé à 180 €/t
Si le prix de vente de la tonne de blé à Rouen est inférieur à 230 € l’été prochain, le céréalier ne serait plus rémunéré de son travail sur la base de 220 €/ha. À 180 € la tonne de blé, le céréalier ne dégagerait aucun revenu ! Aussi, serait-il judicieux de se positionner dès à présent sur le marché à terme pour sécuriser une petite partie de la récolte à venir en prenant éventuellement des options de couverture. Attention toutefois de bien s’entourer en terme de conseil !
Dans notre exemple, à 250 € la tonne de blé sur le marché à terme, le prix auquel serait fixé la partie de la récolte ainsi engagée garantirait une rémunération de 220 €/ha.
Malgré les difficultés de récolte, les résultats devraient bénéficier de la bonne orientation des marchés. Il sera dans certains cas opportun de réaliser une DEP (Dotation pour Épargne de Précaution) pour lisser fiscalement le revenu lié à la récolte 2021 sur les suivantes.
Pour sa part, Olivier Josselin ne manque d’alerter les adhérents lorsqu’il anime des réunions de réseau.
Aucune culture n’échappe à cette flambée des prix des intrants. L’augmentation des prix des engrais azotés impactera davantage la production d’orge de printemps : dans l’exploitation prise en référence, les coûts de la fumure (427 €/ha) croîtraient de 122 % (voir tableau). Pour les cultures exigeantes en PK comme celle de la betterave sucrière (570 €/ha), le planteur doit s’attendre à une hausse du poste engrais de 80 %.
Pour le colza, à la fois exigeant en N, P, K et Soufre, les charges seront 2,2 fois plus élevées et passeraient de 271 €/ha à 605 €/ha.
Évidemment, chaque agriculteur ajuste ses charges d’engrais en fonction du potentiel de production des terres qu’il cultive, mais pas un seul n’échappera à une hausse des prix du gasoil et des frais de mécanisation. Pour une consommation de 70 l par ha, le coût passe de 35 € à 66 €.
Pour l’instant, les prix des céréales et des oléoprotéagineux font écran. Mais si le retournement de conjoncture est brutal, avec par exemple un prix du blé payé 160 € la tonne, les pertes seraient colossales. Dans notre exemple, elles seraient estimées à plus de 45 € par tonne. La marge serait alors négative (- 360 €/ha environ). Mais on n’en est pas là !
(1) Assolement : blé escourgeon, orge de printemps, betteraves, pois, colza et pommes de terre