La politique européenne du Pacte vert, et son volet « De la ferme à la fourchette » adopté le 19 octobre par le Parlement européen suscitent de nombreuses inquiétudes dans les milieux agricoles. La baisse de 50 % de l’utilisation des produits phytosanitaires d’ici 2030, la réduction de 20 % de l’usage des engrais chimiques et le passage à 25 % des terres en agriculture biologique font craindre une perte de production des exploitations agricoles et un renchérissement des coûts. Cela pourrait conduire à une perte de compétitivité de l’agriculture européenne sur la scène internationale et à une augmentation des importations, comme le prévoient plusieurs études, notamment celle de la Commission européenne, dévoilée cet été (lire le BF n°1132, page 6).
Faut-il instaurer des garde-fous aux frontières pour éviter d’importer des produits agricoles qui ne répondraient pas à nos exigences de production ? « Nous avons besoin de la protection de l’Europe. Les accords de libre-échange et parfois l’absence de règles dans les importations entraînent des distorsions en défaveur de nos agriculteurs », a insisté Sébastien Windsor, le 20 octobre. Le président des Chambres d’agriculture s’exprimait lors d’un débat intitulé « La politique commerciale européenne : entre défis environnementaux et préservation de la compétitivité ». De nombreuses personnalités politiques étaient présentes, notamment le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie. « Notre modèle agricole est fondé sur la qualité. Si l’on veut préserver cela, il faut que la politique commerciale puisse nous protéger », a expliqué le ministre. Pour lui, il faut résoudre l’équation suivante : « arriver à opérer une transition écologique sans dégrader la compétitivité de notre modèle agricole ». Mais comment faire ? Clauses miroirs, ajustement carbone aux frontières, lutte contre la déforestation importée, règles d’étiquetage… Ces solutions en cours d’étude pourraient contrebalancer les inquiétudes du secteur agricole. « L’UE entend montrer l’exemple et devenir une puissance normative. Elle attend que ses partenaires adhèrent par une coopération renforcée aux exigences de lutte contre le réchauffement climatique », a souligné Thierry Pouch, le chef du service études et prospective des Chambres d’agriculture de France.
Quatre priorités pour la PFUE
Dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne (PFUE), qui débutera le 1er janvier 2022, le ministre de l’Agriculture veut concentrer ses efforts sur quatre actions : lutter contre le dumping au sein de l’UE, imposer un socle environnemental dans les accords de libre-échange, avancer plus vite sur les clauses miroirs, comme interdire la viande importée disposant d’antibiotiques de croissance et rendre plus systématique la mention de l’origine sur les produits alimentaires, en passant par la révision du règlement Inco concernant l’information du consommateur sur les denrées alimentaires. Les « clauses miroirs » permettant d’obtenir des réciprocités avec des partenaires commerciaux apparaissent comme un rempart crédible. « Nous allons les porter, nous allons y arriver, j’en suis convaincu. Nous ne finirons peut-être pas le débat sous présidence française, mais nous allons marquer des points irréversibles sur le sujet, j’en suis persuadé. La présidence sera un accélérateur », a insisté Clément Beaune, le secrétaire d’État chargé des Affaires européennes.
Des risques de rétorsion
Mais pour y arriver, la France va devoir s’employer à rassembler autour de cette vision politique et de ses objectifs. « Quand on parlait de réciprocité au niveau européen, il y a cinq ans, beaucoup parlaient d’hérésie. Aujourd’hui, les choses ont changé. Il y a une dynamique du Conseil agricole », s’est félicité Julien Denormandie. « Nous sommes allés au bout de la logique de la baisse des tarifs douaniers issus des cycles de l‘accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (Gatt) à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le Mercosur est un accord d’aujourd’hui, adapté au monde d’il y a trente ans. On ne peut plus faire des échanges commerciaux par l’abaissement des barrières. Il faut des exigences en imposant des standards plus élevés. L’Europe doit construire et défendre une nouvelle théorie du commerce international », a poursuivi Clément Beaune.
Les mesures que pourrait demander l’Union européenne à ses partenaires devraient présenter à la fois des gains et des risques, selon Thierry Pouch. Selon une étude réalisée par le service économie des Chambres d’agriculture France, « cela devrait aider à contenir la progression des importations et favoriser l’activité économique au sein de l’UE ». « Mais des mesures de rétorsion avec une perte de confiance commerciale de nos partenaires vis-à-vis de l’UE pourraient voir le jour. Est-ce que les accords déjà établis seront revus ou suspendus, comme ceux établis avec le Canada, l’Ukraine, le Japon ? », s’interroge Thierry Pouch.
L’ajustement carbone en question
La mise en place de ces nouvelles règles commerciales risque par ailleurs d’être longue et complexe. « Les clauses miroirs seront-elles mises en place sur certains produits agricoles ou sur tous ? », demande le chef économiste des chambres d’agriculture. D’autres questions demeurent, comme à propos du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières proposé par la Commission. Il concerne notamment l’acier et les engrais, mais pas l’agriculture. Pourquoi ? « Il est préférable de voir comment ça marche avant de l’étendre. On le défend mais il n’y aura pas d’application imprudente et rapide d’un mécanisme à des produits sur lesquels on ne sait pas mesurer les faits », a répondu Clément Beaune. Même si les discussions entre les partenaires européens vont être longues, « ça en vaut la peine », selon Thierry Pouch. Pour lui, cela va permettre de « préserver l’agriculture, restaurer une nouvelle forme de souveraineté et préparer l’avenir ».