Éleveurs acheteurs de pulpe surpressée, usines de déshydratation et méthaniseurs se disputent un produit devenu rare. Si la France bénéficiait historiquement d’une des plus faibles valorisations de sa pulpe en Europe, la filière est à l’heure des choix pour maximiser ce coproduit betteravier riche en cellulose. Faut-il développer la méthanisation dans les fermes ? Au sein des sucreries ? Ou bien sauvegarder des volumes pour faire tourner les unités de déshydratation ? Pour éclairer les décideurs, l’Association de recherche technique betteravière (ARTB) a réalisé une étude portant sur les forces et faiblesses des différents débouchés de la pulpe. En voici une synthèse.
Les pulpes en élevage
L’intérêt relatif de la pulpe surpressée par rapport à celui de la pulpe déshydratée varie de manière conjoncturelle, tout en restant relativement proche : sur la dernière décennie, ces débouchés assurent au planteur une compensation moyenne autour de 2 €/t de betterave à 16°S, et au-delà de 3 €/t lors des récentes flambées des cours des céréales.
La part des pulpes déshydratées est passée de plus de 70 % avant 2010 à 55 % en 2019. Cette évolution est due à la forte baisse de production de betterave ces 3 dernières années et au développement des méthaniseurs sur les exploitations agricoles depuis 10 ans. Une tendance qui n’est pas sans conséquence sur les unités de déshydratation et notamment sur les équilibres avec la filière luzerne dans la Marne en particulier.
Les pulpes méthanisées sur l’exploitation
On estime que 15 % des pulpes surpressées (soit 7 % des pulpes totales) étaient méthanisées en exploitation en 2019. On recense près de 200 méthaniseurs dans un rayon de 80 km autour des sucreries, et autant verront le jour d’ici deux ans dans le même périmètre : on peut donc estimer que la part de pulpes surpressées utilisées dans ce débouché doublera d’ici deux ans, avant de stagner. En effet, le niveau de valorisation des pulpes en méthaniseur est dépendant du tarif d’achat du gaz produit (en fonction de la date de construction) autour de 3,0 €/t de betterave à 16°S entre 2016 et 2021. Mais cette valorisation diminue fortement depuis le 1er janvier 2021, et tombera sous les 2 €/t de betterave à 16°S pour les méthaniseurs qui verront le jour à partir de 2022. Dans cette équation on ne doit pas oublier les digestats tout particulièrement au regard de la situation de tension forte que l’on connaît actuellement sur les engrais azotés : en moyenne ils représentent un retour financier pour l’exploitant équivalent à 1 – 1, 5 € /t de betteraves. In fine en 2023, le volume des betteraves méthanisées à la ferme devrait représenter 15 % des pulpes totales en France.
Les pulpes méthanisées en sucrerie
La transformation des pulpes en biogaz directement par la sucrerie n’existe pas aujourd’hui en France, mais certains projets pourraient voir le jour d’ici deux ans. Les économies énergétiques seules ne suffisent pas à rendre ce débouché financièrement intéressant : actuellement la valorisation pulpe ne dépasse pas 1€/t de betterave à 16°S. Néanmoins, si les prévisions de France Stratégie quant à un doublement de la valeur de la tonne de CO2 d’ici 2 ans se vérifient avec un statut quo sur les droits d’émissions de l’industrie sucrière, cette filière pourrait permettre d’atteindre une valorisation des pulpes de 3 €/t de betteraves.
Une décision économique
Malgré la fin des quotas, la réglementation européenne relative aux pulpes n’a pas changé : un planteur reste réglementairement propriétaire de ses pulpes, il peut en disposer ou choisir d’en confier la valorisation à son industriel. Dans ce dernier cas, il bénéficiera d’une « compensation qui tienne compte des possibilités de valorisation des pulpes en cause » (Point VIII, Annexe X du règlement 1308/2013). Si depuis 2017, les évolutions contractuelles ont pu conduire certains industriels à imposer le rachat des pulpes, il n’en demeure pas moins, selon la CGB, qu’une stratégie de filière doit être établie au niveau de chaque territoire pour trouver le moyen d’optimiser la valeur des pulpes en trouvant un bon équilibre entre l’élevage, l’utilisation en méthanisation à la ferme ou en sucrerie et la déshydratation. « Si certains de nos voisins arrivent à valoriser à plus de 4 €/t de betterave à 16°, est-ce que cela ne peut pas constituer un objectif collectif à atteindre pour la filière française ? » s’interroge la CGB.
Point de vue d’Olivier de Bohan, président de Cristal Union
Comment voyez-vous le futur de la pulpe ?
La pulpe est un excellent coproduit issu de la betterave. Elle est recherchée, tant en alimentation animale sous forme surpressée ou déshydratée, qu’en méthanisation. Le prix de la pulpe évolue à la hausse, à l’image de ce qui se passe pour toutes les matières premières agricoles depuis un an. La pulpe reste donc pour l’avenir une composante importante de la valorisation de la betterave.
Où en sont vos projets de méthanisation à Arcis et Fontaine-le-Dun ?
Notre responsabilité au niveau de la coopérative est de préparer l’avenir. L’un des défis majeurs sur le plan industriel, pour les décennies qui viennent, est la décarbonation de nos activités avec un premier objectif de réduction de nos émissions à l’horizon 2030. Et cela commence par une moindre dépendance aux énergies fossiles. La méthanisation y contribuera. À ce jour, seul le projet de Fontaine-le-Dun a été lancé, en partenariat avec la société Total Énergies Nouvelles. L’unité de méthanisation, qui sera implantée sur le site industriel de la sucrerie, traitera différents sous-produits et coproduits dont des pulpes et des effluents d’élevage de bovins et de porcs. Ce projet tient donc aussi compte des activités des éleveurs, nombreux dans la région. Outre la production de gaz vert, l’unité de méthanisation produira des digestats qui seront proposés à nos adhérents pour la fertilisation, contribuant ainsi à décarboner les exploitations.
Vous souhaitez récupérer les certificats CO2 des agriculteurs méthaniseurs pour améliorer le bilan carbone des sucreries. Dans ce cas, comment la pulpe, qui appartient aux planteurs, sera-t-elle compensée ?
Il convient tout d’abord de rappeler que depuis 2017, la notion de « droit pulpe » n’existe plus : les betteraves sont donc livrées « pulpe incluse » et la rémunération versée aux planteurs intègre cette composante. La problématique posée est donc bien la récupération des certificats d’origine issus de méthaniseurs à la ferme. En effet, pour décarboner nos usines, nous aurons également besoin de ces certificats en retour des pulpes livrées aux méthaniseurs.
Les volumes qui partent en méthanisation peuvent-ils mettre en danger les unités de déshydratation ?
Non, pas à ce stade. Mais le monde change, et le cadre réglementaire évolue sans cesse. Nous devons donc les faire évoluer afin de les rendre plus performantes, tant sur le plan environnemental qu’économique. Plusieurs investissements majeurs sont en cours de réalisation à cet effet.
Point de vue d’Émilien Rose, président de la commission nutrition animale de Tereos
Vous êtes éleveur à Houplin-Ancoisne (Nord), constatez-vous une augmentation des volumes de pulpe surpressée pour la méthanisation ?
Les volumes destinés à la méthanisation sont passés de 50 000 tonnes en 2018 à 500 000 cette année. La demande est très forte mais elle va se stabiliser, car les prix de rachat du biogaz des nouveaux projets vont diminuer. Pour l’année prochaine, je pense que nous aurons au mieux 600 000 t. Un méthaniseur commande en moyenne 10 fois plus de pulpe qu’un éleveur. Pour l’instant Tereos a la capacité de fournir tous les besoins de ses coopérateurs.
Comment gérerez-vous cela chez Tereos ?
Nous privilégions l’intérêt des coopérateurs au niveau des quantités fournies et des prix. Notre groupe a décidé de ne livrer de la pulpe surpressée que pour les méthaniseurs appartenant à des coopérateurs de Tereos, contrairement à nos clients éleveurs qui peuvent être des non-coopérateurs. À compter de la campagne 2022/23, si les coopérateurs de Tereos possèdent plus de 50 % des actions, le méthaniseur peut bénéficier des mêmes règles que celles attribuées aux coopérateurs en termes de prix et de droit à restitution des pulpes. En revanche, s’ils ont moins de 50 % du capital, le méthaniseur ne peut disposer que des quantités à hauteur des droits à restitution des betteraviers présents dans le tour de table. Et puis, cette année, nous avons drastiquement baissé les volumes de pulpe surpressée aux négociants (-70%) et aux éleveurs non-coopérateurs (-20 %). Nous avons choisi une meilleure équité entre les éleveurs et les méthaniseurs.
Êtes-vous inquiet pour les unités de déshydratation ?
Nous avons forcément des inquiétudes, d’autant que les stocks de pulpe sont faibles. Cette année, nous n’avons pas démarré l’unité de déshydratation de Chevrières, région où la demande pour la méthanisation est forte, et nous avons reporté les volumes de pulpe sur d’autres usines. Nous n’excluons pas de reproduire ce schéma dans les années à venir, selon les situations de marché. Il faut préserver les volumes pour la déshydratation, car c’est une activité où les marges sont intéressantes. La déshydratation a contribué à l’amélioration des prix de la betterave pour les coopérateurs à hauteur de 2,70 €/t de betteraves en 2020. Le marché de la pulpe déshydratée est porteur, il s’approche des 200 €/t, on peut raisonnablement – selon les évolutions du prix des énergies – penser que la contribution pulpe sera supérieure à 3 €/t de betteraves à 16 °S pour 2021.
Prévoyez-vous de construire des unités de méthanisation dans les sucreries ?
Ce n’est pas à l’ordre du jour. Nous sommes d’abord au service de nos coopérateurs. Certains éleveurs dans le Nord Pas-de-Calais cultivent de la betterave pour avoir de la pulpe. Dans cette région, ce serait un non-sens politique de construire des unités de méthanisation dans les sucreries au détriment des élevages. Il y a d’autres pistes pour décarboner l’activité de la sucrerie.
Dans la concurrence entre les différents débouchés de la pulpe, le leader de la commercialisation de produits déshydratés estime qu’il a de solides arguments en faveur de la pulpe déshydratée.
Les dernières campagnes ont été atypiques et très violentes, avec le décrochage des surfaces et des rendements. Pour Désialis, la ressource en pulpe a été divisée par deux depuis la fin des quotas en 2017. « Le diviseur est fondamental dans nos métiers de déshydrateur, explique son président Benoît Lampson, qui est également président de la coopérative Luzéal. Nous devons donc travailler le maximum de produits. Ces dernières années, le volume de pulpe a diminué, mais il tend à se stabiliser cette année, voire peut-être à progresser. L’agilité de nos entreprises permet de s’orienter vers d’autres produits : aujourd’hui nous travaillons chez Luzéal le granulé de bois, la paille, le miscanthus et le maïs. Nous limitons ainsi l’impact du diviseur pulpe. Désialis nous accompagne pour commercialiser tous ces nouveaux produits. Grâce à la souplesse donnée par les capacités de stockage, les unités de déshydratation seront toujours présentes pour répondre aux besoins des sucriers de valoriser la pulpe ».
De son côté, Pierre Begoc, directeur général de Désialis explique : « aujourd’hui, nos produits ont le vent en poupe dans le contexte de hausse des matières premières. Pour la campagne qui démarre, nous sommes sur un marché de la pulpe avec des prix qui évoluent significativement à la hausse, comme pour le blé. La pulpe déshydratée est un marché qui permet d’apporter une bonne rémunération par rapport à la pulpe surpressée en élevage ou en méthanisation. La déshydratation reste la voie principale de valorisation des pulpes. Notre capacité à aller chercher des prix sur le marché fait que nous sommes compétitifs par rapport à d’autres voies de valorisation, notamment la pulpe surpressée ».