Le délégué interministériel pour la filière sucre a été nommé en septembre 2020. Initialement prévue pour un an, sa mission a été prolongée par le gouvernement jusqu’au 30 juin 2024. Henri Havard est notamment chargé d’accompagner les professionnels dans la mise en œuvre du plan stratégique de la filière sucre. Mais, avec la crise de la jaunisse, il a également été chargé de suivre la mise en œuvre du plan de soutien gouvernemental – le Plan national de recherche et d’innovation (PNRI) – et l’application de la loi sur la réintroduction temporaire des néonicotinoïdes pour 3 ans.
Pouvez-vous déjà faire un premier bilan du PNRI ?
Le plan national de recherche et d’innovation a été mis en place dans un temps record, en particulier grâce à la mobilisation de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’Inrae, de l’ITB et du ministère de l’Agriculture qui a débloqué 7 M€ de crédits publics dédiés. Le PNRI a plusieurs vertus : une structure et des financements publics et privés ainsi qu’un mode de fonctionnement très agile, puisqu’il a permis d’implanter 21 projets de recherche sur la jaunisse, entre septembre 2020 et mars 2021. Lors du conseil de surveillance du 23 septembre, nous avons appris que deux projets portés par les semenciers ont été déposés. Je m’en félicite, car la volonté du PNRI a toujours été d’aider les entreprises à participer à la recherche variétale qui est, avec d’autres leviers, une voie de progrès. Je note d’ailleurs que les semenciers ont tenu des propos optimistes devant le conseil de surveillance. Cependant, j’ai la conviction que c’est bien une combinaison de leviers qui permettra de réduire les risques de jaunisse et je me félicite de l’engagement de tous les chercheurs dans ce programme de recherche.
Cette méthode de travail, qui fonctionne si bien, pourrait-elle être dupliquée sur d’autres sujets ?
La liste des projets n’est pas close. Le PNRI a choisi les projets rapidement opérationnels, compte tenu des délais très courts. On est dans le mode résolution de problèmes – le « problem solving » – et les décisions doivent donc être rapides. Les acteurs disent que c’est une méthode efficace. Il y a sûrement beaucoup d’enseignements à tirer du PNRI et je sais que le ministère de l’Agriculture entend tirer pari de cette expérience pour d’autres problématiques agricoles nécessitant une résolution rapide.
D’autres bioagresseurs peuvent potentiellement faire de gros dégâts. Comment allez-vous aborder ce sujet ?
La stratégie de lutte contre les bioagresseurs est importante pour anticiper l’apparition de nouveaux ravageurs et les impasses techniques futures. Il s’agit d’éviter de gérer en permanence en « mode crise », comme ce fut le cas pour la jaunisse. La filière vient de me demander de lancer un projet sur le charançon. La méthode est en cours de définition, mais ma réflexion va plutôt vers l’instauration d’un groupe de travail entre experts de la filière et de l’État, mis en coordination par le délégué interministériel. Je pense que l’ITB sera à la manœuvre sur ce sujet.
Sur quoi cela pourrait-il concrètement déboucher ?
Vraisemblablement sur la priorisation de la recherche et les ressources allouées collectivement par l’État et par la filière. On ne fera peut-être pas un « PNRI charançon », mais c’est l’idée : construire un plan structuré visant à identifier les problématiques, les impasses techniques et voir comment on cherche des solutions.
Votre première mission était de mettre en œuvre le plan stratégique de la filière sucre lancé en 2019. Où en est-on ?
Le plan stratégique contient 52 actions. Après un dialogue entre la filière et l’État sur les dossiers prioritaires, nous avons choisi d’ouvrir ceux sur lesquels nous étions certains de pouvoir travailler. Pour chaque sujet, nous avons défini un format spécifique. Par exemple, la filière souhaite expérimenter les camions de 48 tonnes pour le transport des betteraves. Le groupe est constitué de professionnels de la logistique et de l’interprofession AIBS (Association Interprofessionnelle de la Betterave et du Sucre). Le délégué interministériel fait le lien avec les ministères, notamment celui des transports et les administrations. Mon travail est de déterminer, en concertation entre tous les partenaires, un calendrier réaliste au regard des différentes contraintes. Il faut par exemple une dérogation au Code de la route pour permettre aux camions de 48 tonnes de rouler sur des itinéraires déterminés. Nous allons faire des expérimentations dès cette campagne betteravière pour mesurer l’impact économique et la réduction du trafic.
Quels sont les autres sujets ?
Les travaux sur l’instrument de stabilisation du revenu (ISR) sont lancés. Nous avons aussi ouvert cette année deux nouveaux sujets : la stratégie sur la lutte contre les bioagresseurs – on en a parlé avec le charançon – et le bioéthanol. Pour l’ISR, les travaux se font avec la CGB, l’Association de recherche technique betteravière (ARTB) et Jean Cordier, professeur d’économie à AgroCampus Ouest. Mon travail consiste à discuter des hypothèses retenues et à pré-instruire les dossiers pour qu’ils soient cohérents avec les objectifs gouvernementaux. L’ISR est un dossier très complexe, mais il est intéressant. Il faut voir comment il sera alimenté, comment il sera géré et surtout comment il s’articulera avec l’assurance des risques agricoles.
Vous avez aussi mentionné le bioéthanol…
Il s’agit de travaux à mener avec la collective du bioéthanol. Le dossier du plan de filière a été écrit fin 2019. Il s’est passé beaucoup de chose depuis : nous allons retravailler les aspects fiscaux, la promotion, la production et la distribution. Nous sommes au début des échanges. Les premiers travaux sont programmés pour ce mois d’octobre.
L’année dernière, l’arrêté de dérogation pour l’utilisation des néonicotinoïdes en traitement de semences est arrivé très tard. Quel rôle avez-vous joué sur cette question ?
Je sais que la publication de l’arrêté a mis le monde betteravier en tension l’année dernière. Le projet de dérogation est une prérogative gouvernementale sur demande de la filière. Il y a un parcours imposé : un avis du conseil de surveillance, une consultation du public de trois semaines sur le projet d’arrêté et une analyse des critères de déclenchement. On attend aussi les avis de l’ANSES sur le dispositif d’atténuation en maïs et en colza, sur les cultures oubliées – par exemple la betterave qui ne figurait pas dans le tableau des rotations – et dans quelles conditions on pourrait –ou non – modifier les rangs actuels des cultures de pomme de terre, le lin, pois et les cultures légumières mellifères.
Vous avez supervisé l’indemnisation des planteurs sur la jaunisse. Quel bilan faites-vous ?
Nous avons payé 99,6 % des dossiers. Le 30 juillet, 75 % étaient payés en n’ayant effectué que des contrôles automatisés. Il reste quelques dossiers particulièrement complexes que nous allons traiter au cas par cas. Le gouvernement a tenu ses engagements : il n’y a pas eu de stabilisateur, car l’enveloppe avait été prévue en conséquence. Les éléments de calcul sont favorables, avec une betterave payée 26 € /t et la prise en compte de la moyenne des trois meilleures années pour calculer la référence de rendement.
On a aussi fait preuve d’innovation en interrogeant le public. 449 personnes ont répondu à notre sondage : les motifs d’insatisfaction portaient essentiellement sur le calendrier de paiement. Dans ce sondage, les usagers ont fait un retour positif sur l’assistance de premier niveau mis en place par la filière. Elle a mobilisé beaucoup de moyens et je sais par exemple que la CGB a tenu des webinaires pour informer les planteurs sur ce dossier d’indemnisation. Le travail entre l’État et la filière a été efficace.
Vous ne connaissiez pas le milieu de la betterave et du sucre avant d’être nommé. Quelle a été votre première impression ?
Je ne vais pas faire mon « rapport d’étonnement » ici, mais j’ai découvert une profession bien organisée, puissamment structurée, des acteurs ouverts au dialogue, une grande disponibilité des interlocuteurs et une très grande capacité technique. La découverte de cette filière est vraiment une bonne surprise.