Pendant des années, la situation était au beau fixe. En 2009, le tableau national de mouflons continuait d’augmenter et atteignait même la plus forte croissance enregistrée en dix-huit ans (+15,4%). Pour la campagne 2017-2018, l’espèce était prélevée dans trente départements (29 la saison précédente) et on tuait encore autour de 3 000 têtes chaque année. Mais, en 2019, le vent a tourné. Le prélèvement tombe à 2 621 têtes, soit une chute de plus de 10 %. Bien sûr, rien de catastrophique. Mais on peut se demander si ce n’est pas l’amorce d’un déclin. En effet, le nombre de loups ne cesse d’augmenter et ces animaux fréquentent le domaine d’élection du mouflon, c’est-à-dire l’arc alpin. Le loup est un prédateur opportuniste. Il ne vise pas particulièrement le mouflon. Un mouton, un veau, un chevreuil, un poulain feront tout aussi bien l’affaire. Mais dans les zones à forte concentration de mouflons, c’est évidemment une cible privilégiée.
Fabuleux Marco Polo
Les chasseurs aiment ce grand gibier. C’est un superbe animal, aux larges cornes torsadées, difficile à approcher et qui vit le plus souvent en milieu escarpé. Certes, nous avons aussi du mouflon d’enclos, dit d’agrément, mais les populations sauvages, elles, vivent principalement en montagne.
Les variétés les plus appréciées se trouvent à l’étranger. Il s’agit du mouflon à manchettes qui prospère en Afrique du Nord, au Tchad et en Espagne et du fabuleux « Marco Polo » qui, lui, fréquente la chaîne du Pamir. Courbées en spirales, ses cornes peuvent atteindre les 1,90 m de long et peser jusqu’à 20 kg.
C’est le trophée d’une vie d’autant qu’il faut chasser dans des conditions extrêmes, vivre à la dure, randonner à cheval sur les crêtes enneigées; le voyage est long, parfois plein d’imprévus et, en dépit de son coût, rien n’est jamais gagné. Cet animal prestigieux fait vivre les paysans locaux qui servent de guide. Ils sont d’autant plus ardents à la tâche qu’en cas de succès le pourboire sera conséquent.
Le mouflon à manchettes est plus facile d’accès. On en trouve beaucoup en Espagne. Au Maroc, dans les réserves royales, l’espèce abonde. Mais les organisateurs de chasse s’arrachent les cheveux : impossible d’obtenir des autorités l’autorisation d’importer une carabine …
C’est d’autant plus incompréhensible qu’on leur refuse aussi la possibilité de louer une arme rayée sur place. Résultat : le mouflon à manchettes continue à se développer et il faudra sans doute se résoudre un jour à l’abattre au fusil de chasse. Il y en a aussi au Tchad, mais c’est une destination lointaine et en proie aux convulsions.
En montagne
En France, on peut chasser le mouflon dans l’Aude et dans les Pyrénées-Orientales, ainsi que dans le massif du Caroux-Espinouse (Hérault) qui détient le record de France. L’Office National des Forêts (ONF) et des organisations privées organisent la chasse. L’une des plus connues, Sud Chasse, dispose de deux grands secteurs dans les Pyrénées avec un plan de chasse d’environ 40 animaux.
La saison dure du 1er septembre au 28 février. On évolue de 500 à près de 2 500 mètres d’altitude. Il faut compter 2 à 3 jours sur place pour avoir une bonne chance de réussite.
Situés entre Cévennes et Montagne Noire, au nord-ouest du département de l’Hérault, les Monts du Caroux-Espinouse culminent à 1 150 mètres et offrent des paysages splendides. Composé de landes à bruyères et de genêts en alternance avec des zones forestières, le territoire couvre 3 000 hectares en périphérie de la réserve nationale. Bonne condition physique exigée. D’autant que l’ONF, qui organise la chasse, prévient que s’il fournit le guide « c’est au chasseur de porter son gibier ». Il y aurait environ un millier de mouflons sur le territoire. Très méfiants, les animaux savent utiliser ravins, lentisques, ajonc et éboulis pour se défiler. Il faut s’y prendre à l’avance car cette destination a une réputation internationale et elle est donc très fréquentée.
Un impact majeur
Notre mouflon vivait paisiblement jusqu’à présent. Il était bien géré. C’était avant le loup. On sait que les meutes grandissent rapidement et qu’on compterait près de six cents individus aujourd’hui en France. Il faut bien qu’ils se nourrissent … L’impact a été majeur dans certains secteurs des Alpes comme la réserve de Grange (Haute-Savoie). Le nombre de mouflons est passé de 166 à 37 en seulement deux ans.
« Depuis que le loup est arrivé dans la réserve, les mouflons disparaissent » constate Gilles Benand, le président de l’association de chasse chargé du territoire. Une menace qui devrait augmenter au fil des ans.