Hubert Compère, en agriculture conventionnelle, à Mesbrecourt-Richecourt (Aisne), suivi assuré par Saint Louis Sucre
Mes parcelles se situent dans l’Aisne. Sur mes trois champs de betteraves, j’ai dédié, en 2021, 14,5 hectares au Plan National de Recherche et Innovation (PNRI). Préalablement, j’ai conçu un vrai intérêt pour les observations entomologiques. En effet, depuis 2012, et encore aujourd’hui, en parallèle du PNRI, je maintiens dans mes champs des fleurs, des plantes sauvages ainsi que des haies. Je capture régulièrement des insectes pour analyser la biodiversité de mon champ et je travaille avec un entomologiste pour identifier les véritables prédateurs des pucerons et autres ravageurs de culture. Selon moi, il faut observer nos champs très régulièrement pour témoigner des dynamiques de la biodiversité présente, qui sont parfois très rapides.
Vu mon attrait pour les observations, j’ai décidé, en accord avec la sucrerie Saint Louis Sucre, de tester le dispositif de bandes fleuries du PNRI sur 5 mètres de large et sur 55 ares. L’expérimentation a démarré dès l’automne et les échanges avec le responsable du département expérimentation et expertise régionale de l’ITB, ainsi qu’avec l’entomologiste, se font régulièrement, notamment sur les observations de la faune auxiliaire.
En plus d’améliorer la biodiversité du champ, je distingue deux intérêts au dispositif « bandes fleuries » : l’augmentation des populations d’auxiliaires pour réguler les pucerons, et le fait que cela puisse servir de nourriture aux pollinisateurs. Il faut utiliser des mélanges de fleurs différents pour chacun de ces objectifs et semer au bon moment : les fleurs doivent être installées en amont de l’arrivée des pucerons, pour favoriser l’installation de leurs prédateurs.
Sur ce type de dispositif, quelques points de vigilance sont à souligner.
Il est indispensable de maîtriser les montées à graines de toutes les plantes qui fleurissent car elles sont susceptibles de produire des graines adventices pour les années futures. Les décalages de précocité entre toutes les espèces induisent donc des interventions décalées, notamment sur chardons et laiterons qui produisent des graines volantes. La limitation du salissement des sols peut se faire grâce à deux broyages à des hauteurs différentes et à des périodes espacées, en respectant les dates d’obligation de non broyage pour préserver les nidifications des oiseaux.
Le PNRI est une démarche inédite où les protocoles sont repris, réétudiés et réadaptés : c’est une boucle de progrès permanente. Ce genre de programme pousse les agriculteurs à être des acteurs du changement et à s’ouvrir à de nouvelles façons de cultiver.
Laurent Vermersch, en agriculture de conservation des sols (ACS), à Nojeon-en-Vexin (Normandie), suivi assuré par l’ITB Normandie-Val d’Oise
Bientôt retraité, je profite de mon expérience pour faire évoluer mon exploitation vers un système de production plus en adéquation avec les attentes actuelles d’un développement durable.
Dès 2006, j’ai rejoint le Réseau Biodiversité pour les Abeilles (RBA), implanté des bandes fleuries ainsi que des haies et autres bosquets en collaboration avec la Fédération Départementale des Chasseurs de l’Eure. Ces aménagements ont démontré le formidable potentiel d’une biodiversité latente dont il nous faut savoir maîtriser les équilibres entre prédateurs de nos productions et auxiliaires.
Grace à cette découverte de la faune auxiliaire, il m’a semblé intéressant de proposer ma parcelle de betteraves pour les essais du PNRI. Avec l’ITB, nous avons choisi de tester un dispositif de plantes compagnes à base d’avoine, de féveroles et de vesces. Les équipes de l’ITB suivent très régulièrement ma parcelle, surtout pendant la période de fortes sensibilités aux inoculations virales. Je m’implique moi-même dans les observations. Pour cela, je me forme sur les auxiliaires grâce à l’entomologiste référente du projet, Johanna Villenave-Chasset et à son ouvrage sur la « Biodiversité fonctionnelle ».
C’est un beau challenge pour notre métier d’agriculteur de mettre au point de nouvelles techniques plus respectueuses de l’environnement.
En tant qu’agriculteurs, nos observations sont visuelles, nous essayons de suivre l’apparition des premiers symptômes de jaunisse. L’avoine semble également avoir été pénalisante au niveau de la nutrition azotée de la betterave. Les Instituts techniques devront valider les influences multifactorielles et les résultats ; nous attendons de voir si les plantes compagnes ont eu l’effet désiré, c’est-à-dire de repousser les pucerons ou d’attirer des auxiliaires. En parallèle du PNRI, je teste d’autres solutions répulsives contre les pucerons, comme des extraits fermentés, pulvérisations sucrées et bandes fleuries. En résumé, je suis proactif et motivé par la recherche de solutions respectueuses de l’environnement, par moi-même, auprès de groupes, comme l’Association pour la Promotion d’une Agriculture Durable, notre Groupement d’Intérêt Economique et Environnemental (GIEE) à l’Eure du Sol et par des formations.
Un grand travail reste à faire pour trouver un équilibre économique pour mon exploitation et, au-delà, pour la filière. Cependant, cette réalité, augmentée par l’implantation de couverts diversifiés sur l’ensemble de mes parcelles, ouvre les portes d’un territoire vivant, apte à une agriculture productive et respectueuse de l’écosystème.
Avec le PNRI, les institutions ont tendu la main aux betteraviers et à leur filière. C’est important de nous intégrer, dès la base, aux recherches car nous faisons partie du processus de transition souhaité.
Hervé Gaidoz, en agriculture biologique à Warmeriville (Marne), suivi assuré par Cristal Union
Cela fait 3 ans que je cultive des betteraves certifiées Agriculture Biologique (AB). Cette année, j’en fais sur 28 hectares. Lors de ma première année, je n’ai compté aucun puceron. En 2020, les betteraviers ont tous été touchés par une forte pression de pucerons, et de fortes infestations de jaunisse. Mes parcelles n’ont pas été épargnées, cependant, je n’ai pas été plus pénalisé que mes collègues en agriculture conventionnelle. Depuis, nous avons tous pris conscience de l’importance de trouver des solutions contre ce virus.
Etant donné que les techniques appliquées en AB sont parfois différentes des pratiques conventionnelles, des solutions doivent être trouvées des deux côtés. Typiquement, les modalités comme les plantes compagnes d’inter-rang auraient été difficiles à imaginer avec un désherbage mécanique.
14 % des surfaces sont dédiées aux recherches en AB dans le projet Ferme Pilote d’expérimentation. Avec l’ITB et Cristal Union, nous avons décidé d’y intégrer une partie de ma parcelle. Nous avons testé l’effet du paillage plastique biodégradable sur l’apparition et l’évolution des populations de pucerons. Le paillage biodégradable est un film noir que l’on dépose au moment du semis, le semoir déroule le film et le perce localement, tout en déposant une graine tous les 20 cm. Il protège ainsi le sol contre les levées d’adventices et nous analysons s’il pourrait également avoir un effet sur les pucerons.
L’année prochaine, nous allons coupler ce même dispositif avec l’insertion d’une bande fleurie intra parcellaire qui sera semée à l’automne avec des espacements entre bandes variés pour connaître leur rayon d’action. Pour ce genre de dispositif, il faut préalablement déterminer les espèces de fleurs potentiellement efficaces contre les pucerons et trouver les semences de fleurs homologuées AB. Pour les essais du PNRI, le paillage et les semences de bandes fleuries sont fournies par Cristal Union, qui supervise les essais. Nous réalisons des observations hebdomadaires, et échangeons sur le terrain ou par téléphone. Cette année, nous n’avons pas eu une grande pression de pucerons, et nous n’observons pas de jaunisse dans les essais.
En tant qu’agriculteurs, nous devons nous investir dans la recherche, il est impératif de trouver des solutions. Je place également de l’espoir dans le travail des semenciers et l’éventualité de trouver des variétés de betteraves résistantes contre la jaunisse. Nos recherches se complètent. Idéalement, nous trouverons une solution à mi-chemin entre la résistance variétale et la pratique culturale pour protéger les betteraves du mieux possible.
Thomas Boddaert, en agriculture conventionnelle, certifiée Haute Valeur Environnementale de niveau 3, à Steenbecque (Nord-Pas-de-Calais), suivi assuré par l’ITB
Ma parcelle se situe à proximité de Steenbecque dans les Flandres. Cela fait six ans que je n’utilise plus d’insecticide foliaire et que je réduis considérablement ma consommation de produits phytosanitaires. Mes cultures sont d’ailleurs certifiées « Haute Valeur Environnementale » de niveau 3. J’utilise un seul fongicide en betterave et j’améliore chaque année les conditions d’application ciblée des herbicides sur les conseils du Groupe d’étude et de développement agricole (Geda). J’essaie de travailler comme un partenaire de l’écosystème sans perturber les équilibres préexistants. Je pratique également une rotation réfléchie, pour que chaque culture puisse apporter des bénéfices à la suivante. L’avantage d’une rotation longue et d’un assolement diversifié est que je ne retrouve aucune résistance des plantes ou des insectes. Avec ces façons de travailler, je constate que je ne suis pas plus pénalisé au niveau des maladies et des pertes de rendement que mes collègues betteraviers dans la région.
L’ITB s’est donc rapproché de moi pour réaliser des essais sur 7 hectares de betteraves dans le cadre du PNRI. Nous avons établi une relation de confiance. Je leur laisse une liberté d’action dans ma parcelle et ils me tiennent informé de leurs choix techniques. Ce Plan prévoit des expérimentations comme des lâchers d’auxiliaires, des essais de produits de biocontrôle, l’installation de plantes compagnes, ou encore des bandes fleuries. Pour l’année prochaine, il m’a été demandé de planter une bande fleurie de 4 mètres de large en bord de champ.
L’avenir de la filière de la betterave dépend de ce programme de recherche. Lorsqu’on voit les pertes de rendement engendrées par la jaunisse, sans NNI et sans solution alternative, la filière est vraiment en danger. Malheureusement, si certains agriculteurs sont contraints d’arrêter de cultiver des betteraves, ils emporteront beaucoup d’emplois avec eux, notamment ceux des usines qui fermeront. Sans solution, les usines ne supporteront pas longtemps les aléas de rendement. Comme tous les agriculteurs de betterave, je suis dans l’attente de résultats et j’espère que plusieurs solutions seront trouvées à l’issue des trois ans. Je serais d’autant plus heureux que je participe à ce programme. La recherche a effectivement besoin des agriculteurs autant que nous avons besoin des ingénieurs, des chercheurs et des observateurs. C’est un travail commun et j’espère que nous allons réussir cette prouesse scientifique ensemble.
Jean-Armand Doublier, en agriculture conventionnelle, certifiée Haute Valeur Environnementale à Bricy (Loiret), suivi assuré par l’ITB
Toute mon exploitation est certifiée Haute Valeur Environnementale de niveau 3, et je dispose d’une parcelle de six hectares de betteraves. 10 % de la surface de mon exploitation est non traitée. L’ITB s’est rapproché de moi pour tester un dispositif de bandes enherbées et de lâcher d’auxiliaires. Ma parcelle étant longue et étroite, nous avons adapté le dispositif de bande enherbée en conséquence. Nous avons donc ensemencé chaque côté de la parcelle avec un mélange d’avoine et de vesce trois semaines avant le semis des betteraves. Les bandes occupent un espace de quatre mètres de largeur de chaque côté, sur toute la longueur de la parcelle. Vers la fin avril, l’ITB a également procédé à une pulvérisation d’œufs de chrysopes avec la société Iftech.
Les conditions de gel de cette année ont fortement affecté l’essai. Malgré cela, nous avons pris la décision de ne pas ressemer les betteraves, pour garder une observation de « référence » se rapprochant au maximum des dates de semis des betteraves d’une année « classique ».
De mon côté, je n’ai pas observé de différence à proximité de ces bandes enherbées. La pression de pucerons a été assez importante dans la région et nous pouvons constater des symptômes de jaunisse. J’attends les résultats de fin de l’essai mais j’essaie d’anticiper les améliorations pour l’année prochaine. Il faut réussir à installer les auxiliaires avant l’arrivée des pucerons, alors que, dans la réalité, c’est plutôt l’inverse que l’on observe. Pour l’année prochaine, les bandes fleuries seront installées plus tôt, dès l’automne.
De toute évidence, il est impossible de prouver l’efficacité d’une solution sans la tester. C’est pour cela que nous, agriculteurs, mettons à disposition nos parcelles. A la fin des essais, nous pourrons faire le tri et avancer dans les recherches. J’espère qu’en parallèle, il sera possible de calculer le réel bénéfice de ces dispositifs par rapport à nos objectifs de rendement, de productivité et la protection des betteraves.