Si Christophe Dusannier se définit avant tout comme agriculteur, les pieds bien ancrés sur sa terre du Pas-de-Calais, il a plus d’une corde à son arc. En 1999, il crée avec son frère et quatre cousins agriculteurs, Agriopale. Cette société transforme les déchets verts et boue d’épuration en compost. « Nous avions l’expérience, car nous compostions déjà le fumier du centre équestre du Touquet. Ces compétences nous ont permis de répondre aux appels d’offres des collectivités », explique-t-il. Aujourd’hui cette association gère 11 plateformes de compostage. Elle développe une filière bois énergie avec des plaquettes et des briques forestières (bois compressé) et une filière paillage et substrat « Terres de jardin » en partenariat avec Gamm Vert.
Des déchets organiques au biogaz
La valorisation de la biomasse et des déchets organiques devient une passion pour ce betteravier. En 2015, avec son frère François, associé de la SCEA de la Fromentière à Cucq, ils installent le premier méthaniseur agricole avec injection de biogaz du Pas-de-Calais. Outre le lisier des porcs de leur atelier d’engraissement, ils apportent le lisier d’un élevage laitier voisin. 10 m3 transitent quotidiennement de la ferme laitière jusqu’au méthaniseur dans un tuyau enterré. Les Dusannier récupèrent des déchets des entreprises agroalimentaires (légumes, oignons, issues de céréales…) dans un rayon de 100 km. » Nous incorporons aussi des herbes et des radicelles de la sucrerie de Tereos à Attin, qui ne possède pas d’unité de déshydratation, ainsi que les pulpes surpressées de notre contrat betteraves (35 ha). «
Depuis cinq ans, l’installation a évolué avec l’arrêt de l’élevage de porc et l’augmentation de la capacité de 130 à 250 nm3/h de biogaz produit. Au total, l’investissement atteint 4 M €. La surface d’épandage est passée à 800 ha. Un salarié est dédié à plein temps à la station et les associés de la SCEA se partagent le travail du week-end, les négociations commerciales et les tâches administratives, soit plus d’un mi-temps supplémentaire.
Chaque jour, les exploitants incorporent 45 m3 de déchets dans le méthaniseur. Celui-ci produit 250 m3 de biométhane/h, soit l’équivalent de la consommation en gaz de 2 000 foyers. Ce gaz purifié et injecté dans le réseau est strictement identique au gaz naturel utilisé pour les usages domestique, professionnel et dédié à la mobilité.
Du biogaz au bioGNV
Fort de cette expérience, Agriopale a acquis une compétence dans la méthanisation. Depuis, elle a monté cinq méthaniseurs en partenariat avec des agriculteurs, près de Bourges, Saumur et Quelmes. Un partenariat avec La Goudale, célèbre brasserie nordique, a fait évoluer Agriopale vers une nouvelle amélioration de la chaîne de valeur.
Le brasseur créait du biogaz lors de l’épuration de ses effluents. Celui-ci, obtenu lors de l’étape de diminution de la matière organique des eaux d’assainissement, était brûlé à la torchère. Agriopale récupère ce gaz, le purifie, le comprime et l’injecte dans le réseau GRDF. La mise à disposition d’un terrain à Arques par le brasseur a donné envie aux agriculteurs d’Agriopale de monter une station-service bioGNV entièrement automatisée. Et les voici devenus distributeurs de bioGNV, s’appuyant sur les compétences de leurs deux ingénieurs recherche et développement (Agriopale emploie 20 salariés).
Agriopale achète du gaz du réseau à GRDF qu’elle comprime à 250 bars dans des bouteilles. Ainsi, les camions peuvent faire le plein en moins de 15 min, comme pour du diesel. « Des certificats d’origine prouvent que nous distribuons bien du carburant vert produit par méthanisation. Le coût d’une telle station se situe entre 1 et 1,5 million », évalue Christophe Dusannier. Elle produit 1 000 t de gaz compressé par an, soit près de 3000 l/j de gasoil. (Le prix public est de 1,099 € TTC/kg). Pour arriver à l’équilibre économique, elle nécessite 15 à 20 camions par jour. À Arques, Agriopale compte avec l’entreprise de transport Mauffrey.
Après les poids lourds, les tracteurs
Agriopale a déposé la marque Gazie pour ses stations de BioGNV et GNV. Elle a créé une autre station GNV à Saumur. Une prochaine près d’Arras avec méthanisation de déchets et biogaz, destinée à la flotte de bennes à ordures ménagères, est en réflexion. Avec toujours en ligne de mire une économie circulaire vertueuse pour le territoire, au niveau énergie verte et emploi.
« La suivante sera sûrement à Cucq, près de la ferme. Nous allons réceptionner un tracteur New Holland de 180 cv avec un moteur Iveco fonctionnant au biogaz. Iveco va tester 30 machines de ce type en Europe pendant trois ans », se réjouit Christophe Dusannier. Mais l’entrepreneur s’inquiète cependant des conséquences de la baisse du prix de rachat du biogaz pour les nouveaux projets. Avec les coûts de construction croissants, l’équilibre économique se fragilise et risque de freiner l’essor du bioGNV.