Les sucriers français vont-ils devenir producteurs et distributeurs en direct de carburant ? C’est en tout cas ce sur quoi semblent travailler les groupes coopératifs Tereos et Cristal Union. Tous deux expérimentent et développent un nouveau carburant, l’ED95, composé à 95 % d’éthanol (issu de la transformation de betteraves) et à 5 % d’additifs, utilisables en lieu et place du diesel par des camions et autobus du constructeur Scania.
Tereos fait figure de pionnier en France sur ce biocarburant utilisé depuis longtemps déjà en Suède. « C’est à l’occasion de la Cop21 à Paris en 2015 que nous avons affrété un bus avec Scania pour le transport d’élus venus du monde entier. Fort de cette communication qui a remporté un beau succès, nous avons travaillé avec Scania et le négociant Raisinor pour faire reconnaître l’ED95 comme carburant par l’administration française », rappelle Valérie Corre, directrice des affaires réglementaires alcool et éthanol Europe chez Tereos.
Des tests entre 2016 et 2020
Une fois homologué en 2016 et bénéficiant d’un taux de Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) réduit (0,0643 €/litre), l’ED95 a pu être produit et commercialisé en France. « C’est un défrichage qui prend du temps », estime Valérie Corre. Un premier test sur la durée a été effectué grâce au transporteur Houtch en 2016. Ce dernier a acheté un camion Scania fonctionnant à l’ED95, fabriqué et livré par la distillerie d’Origny Sainte-Benoite (Oise) de Tereos. Puis le travail a été poursuivi pour le transport de betteraves sur les campagnes 2018-2019 et 2019-2020 vers la sucrerie d’Escaudœuvres (Nord), grâce au prêt de Scania d’un camion tracteur de 410 ch. « Les tests se sont révélés être un succès. Malgré une surconsommation de 40 à 50 %, lié au pouvoir calorifique inférieur de l’ED95, il n’y a aucune baisse de la puissance », souligne Valérie Corre. Le groupe veut maintenant aller plus loin. Il vient ainsi d’acheter un premier véhicule fonctionnant à l’ED95 : un camion-citerne Scania pour transporter de l’éthanol. Et il a recruté un commercial pour favoriser la commercialisation de l’ED95 produit par le groupe.
Livraisons à des flottes captives
« L’ED95 on y croit. C’est une alternative crédible au diesel qui va être interdit dans les ZFE (NDLR : Zones à faibles émissions) des grandes villes en 2024. Les camions fonctionnant à l’ED95 bénéficient d’une vignette Crit’Air 1 », insiste la directrice des affaires réglementaires alcool et éthanol du premier sucrier français. Tereos ne devrait pas développer ses propres stations de distribution d’ED95 tout de suite. Il propose dans un premier temps la livraison du carburant à des flottes captives de transport, à partir de sa distillerie d’Origny Sainte-Benoite. « Notre outil est calibré pour alimenter une cinquantaine de camions », affirme Valérie Corre. Pour séduire, le fabricant met en avant un argument économique (l’ED95 est vendu entre 0,70 et 0,75 €/litre, très loin du diesel) mais aussi écologique : « des études de l’Ademe ont montré qu’un camion fonctionnant à l’ED95 émettait 88 % de CO2 en moins par rapport au diesel en prenant en compte le cycle de vie total du carburant depuis la culture de la plante jusqu’à son utilisation finale », ajoute-t-elle. Il émet également moitié moins d’oxyde d’azote (NOx) sur un cycle routier mixte, toujours selon l’Ademe.
Une offre en 2022 pour Cristal Union
Plus récemment, Cristal Union s’est engagé également dans une phase de tests de l’ED95. Ces essais ont été mis en place avec le transporteur Daniel Féron. Depuis novembre 2020, il utilise un camion Scania roulant à l’ED95 et mis en service pour le transport de betteraves autour de la sucrerie distillerie d’Arcis-sur-Aube (Aube), où le carburant est fabriqué. « L’ED95 est issu des résidus de la transformation des betteraves à sucre, collectées dans un rayon moyen de 30 km autour de nos sucreries, et de résidus viniques, récupérés notamment en Champagne par la distillerie Jean Goyard, à Aÿ (Marne) », détaille Cristal Union. Le groupe voit plusieurs avantages à ce carburant notamment celui d’être produit en circuit court : « pas besoin de passer par la raffinerie du pétrolier, le produit est fabriqué à la coopérative par simple mélange d’éthanol et d’additifs. Il pourra ainsi être livré directement aux transporteurs à partir de la distillerie de Cristal Union ». Le groupe est actuellement en phase de prospection de ses futurs clients. Il espère lancer une offre d’ED95 en 2022. Mais la route va être longue avant de développer une vraie demande. On estime que seule une cinquantaine de camions et autobus fonctionne aujourd’hui à l’ED95 en France, dont une quarantaine pour le transport de personnes dans des communes du sud, comme en Occitanie. Scania reste à ce jour le seul constructeur de poids lourds à proposer cette motorisation.