L’Europe a un programme environnemental ambitieux avec le Green Deal. Quel sera son impact sur la filière biocarburant ?
Les plans Climat-Energie de l’UE fonctionnent par période de dix ans et la réglementation actuelle couvre la période 2020-2030. Or, le Green Deal va obliger l’Europe à réviser ses objectifs, puisqu’il vise une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030 au lieu des 40 % initialement prévus. Les énergies renouvelables dans les transports devraient passer de 14% à 26 %. La Commission de l’UE présentera l’ensemble de ses propositions pour mettre le plan Climat-Energie en cohérence avec le Green Deal, le 14 juillet prochain.
C’est donc une bonne opportunité pour l’éthanol !
Théoriquement oui, mais encore faut-il que les biocarburants de première génération ne restent pas plafonnés à 7 %, comme c’est le cas actuellement. La Commission a elle-même reconnu dans un acte délégué de 2019, que les matières premières européennes – le blé, le maïs et bien sûr la betterave – ne génèrent pas de changement direct ou indirect d’affectation des sols, contrairement à l’huile de palme ou le soja. Pour remplir cet objectif européen plus ambitieux, nous estimons qu’il faut donner aux grands pays agricoles de l’UE – comme la France et certains pays de l’Est – la possibilité de produire davantage de biocarburants de première génération afin de compenser les autres pays qui n’ont pas cette capacité.
L’Europe ne souhaite-t-elle pas plutôt privilégier la voiture électrique ?
Certes, mais il ne faut pas oublier qu’à l’horizon 2030, le parc de véhicules thermiques sera encore majoritaire et fonctionnera en partie à l’essence. L’avantage de l’éthanol est son action immédiate sur le parc existant sans avoir à investir dans un nouveau réseau de distribution. L’éthanol a donc un rôle majeur à jouer durant toute la décennie.
Comment se place l’éthanol en terme d’émissions de CO2 ?
Au niveau de l’UE comme en France, l’éthanol permet de réduire les émissions de CO2 d’environ 70%. Mais dans la réglementation sur les émissions des véhicules, les mesures ne tiennent pas compte du fait que le carbone est absorbé par les plantes pour fabriquer les biocarburants et non déstocké comme pour les énergies fossiles. Cette approche, qui ne prend pas en considération l’analyse du cycle de vie, défavorise les biocarburants par rapport à l’électricité et est contraire au principe de neutralité technologique.
Bien sûr, l’électricité ne rejette pas de CO2. Mais sa fabrication oui ! Hormis en France, où l’origine nucléaire est prépondérante, une grande partie de l’Europe produit majoritairement son électricité avec de l’énergie fossile, dont le charbon. De plus s’ajoutent les problématiques de la fabrication et du recyclage des batteries.
Que répondez-vous à ceux qui disent que l’éthanol est produit au détriment de l’alimentation ?
Sur la dernière décennie, les prix des matières agricoles ont souvent été déprimés, alors que la production de biocarburant a progressé. La France produit environ 12 millions d’hectolitres de bioéthanol à partir de blé, de betteraves et de maïs. Rien qu’en retrouvant les surfaces perdues ces dernières années en betterave, et en les transformant en éthanol, 6 millions d’hectolitres supplémentaires pourraient être produits. La production d’éthanol issu de blé ou de maïs génère un coproduit, la drêche, destiné à l’alimentation animale qui est riche en protéines et non OGM. Enfin, produire plus d’éthanol renforcera la résilience des secteurs sucrier et amidonnier, dont la France est leader dans l’UE.
Il faudrait donc faire de l’E15, voire de l’E20 ?
Plusieurs voies sont possibles pour incorporer plus d’éthanol. Mais il faut des véhicules compatibles et donc produire plus de véhicules flexfuel pouvant utiliser le Superéthanol E85. Je souhaite souligner l’initiative du groupe Ford qui vient de relancer une gamme de véhicules flex, nous aimerions que nos constructeurs nationaux suivent cet exemple. Le but ultime serait d’avoir des voitures hybrides équipées d’une batterie légère pour les déplacements en ville et qui utilisent de l’éthanol produit localement pour les longues distances.
Qu’attendez-vous du gouvernement français ?
La France va assurer la présidence de l’Europe au premier semestre 2022. Elle doit, avant sa présidence, infléchir la position dogmatique de la Commission européenne, qui est de limiter les biocarburants de première génération issus de matières premières européennes. On ne peut pas laisser le dogmatisme de la Commission tuer le potentiel français et celui des pays de l’Est. Le principe de subsidiarité doit s’appliquer pour permettre à chaque Etat Membre d’utiliser ses meilleurs atouts pour remplir les objectifs européens ambitieux du Green deal dans le secteur des transports.
Que doit-on faire au niveau franco-français ?
Dans la limite de ce que permet la réglementation de l’UE, la France a mis en place une politique cohérente de développement des biocarburants. Par exemple, l’administration a autorisé le déploiement de boitiers flexfuel homologués qui, en l’absence d’une offre de véhicules flex d’origine, permet de convertir des véhicules essence et donc favorise la consommation d’E85. Je souhaite remercier les régions qui ont mis en place des programmes de soutien à la pose de boitier, comme les régions Grand Est, Haut-de-France, et PACA.
Pour la prochaine loi de finances, nous souhaitons que l’objectif pour l’éthanol de résidus soit à nouveau augmenté en 2023. Pour favoriser le développement des véhicules flexfuel, nous souhaitons que pour le calcul de la Taxe sur les Véhicules de Société (TVS) s’applique un abattement de 40 % sur les émissions CO2 des véhicules flex–E85 d’origine, qui permettrait ainsi de les exonérer pendant trois ans de TVS.
Pour conclure, je souhaite rappeler que l’éthanol produit en France est une solution immédiate, efficace et abordable pour décarboner le secteur des transports.
*Jérôme Bignon est président du Syndicat National des Producteurs d’Alcool Agricole (SNPAA). Il représente les industriels de l’alcool et du bioéthanol : Tereos, Cristal Union, Roquette, Bioénergie du Sud-Ouest (Vertex Bioenergy), Saint-Louis Sucre, Ryssen Alcools et Sica de la Vallée du Loing. Il est également directeur chargé des relations avec l’administration française et de l’UE au sein du groupe Cristal Union.