Les piégeurs vivaient des temps difficiles. Confrontées à des formalités administratives pesantes, houspillées, obligées de souscrire à de multiples obligations légales, les vocations se faisaient rares. Mais ils pourront bientôt se refaire une santé. En effet, on ne sait plus comment briser l’irrésistible ascension du sanglier. On a beau augmenter les plans de chasse (809 892 animaux tirés au cours de la dernière saison) étendre les périodes de tir, supprimer, parfois, toute référence au poids dans les consignes de prélèvement, la bête noire poursuit son invasion. Récemment, une vidéo diffusée sur YouTube montrait deux animaux se promener dans le centre-ville de Nîmes ! Le sanglier sort du bois, s’approche des agglomérations, pénètre dans la ville, pas farouche pour un sou, aussi confiant que le pigeon biset qui roucoule sur les toits. Il est vrai que, dans cet environnement, il ne risque rien. On ne chasse pas. Et il le sait ! Cet animal remarquablement intelligent apprend vite. Pas de coup de feu : la zone est tranquille. On ne peut même pas pratiquer de tirs de sélection ; bref, la ville et ses banlieues sont devenues des réserves naturelles. Cela ne fait pas l’affaire, on s’en doute, des municipalités qui voient les pelouses éventrées, les plates-bandes défoncées, les parterres retournés. Donc, il va falloir songer aux grands moyens. La Moselle est particulièrement touchée. On tuait autour de 14 000 sangliers en 2009, maintenant on en tue plus de 27 000 et la courbe est aussi raide que celle de la Covid-19 au cœur de l’épidémie. Dans ce département, on applique les grands moyens. D’abord, on chasse le sanglier toute l’année, ensuite on le tire aussi la nuit avec une source lumineuse obligatoire, autour des parcelles en cours de récolte (726 animaux prélevés ainsi l’an dernier), à l’affût, à l’appât de maïs, et on songe sérieusement à légaliser le tir à l’arbalète, arme silencieuse idéale en milieu périurbain.
Barreaux d’acier
Interrogé par notre confrère de Connaissance de la Chasse, Thierry Jung, président de l’Association des Chasseurs de Grand Gibier de Moselle, expliquait ainsi l’expansion de l’animal : « nous devons faire face à des glandées sans cesse croissantes en raison de l’évolution climatique. L’environnement a également changé. La campagne est passée de prairies bordées de haies à des océans de céréales. Enfin les zones sanctuaires se sont développées, notamment en zones périurbaines ».
Pour infléchir la courbe de l’expansion, on a maintenant recours au piégeage. Ce sont de grandes cages formées de barreaux d’acier et appâtées avec du grain. On prend toutes les catégories d’âge, bêtes rousses comme grands sangliers, mâles et femelles. C’est une technique silencieuse qui a tout son intérêt dans les zones habitées. En revanche, elle exige une lourde intendance et pas mal d’énergie. Il faut aller relever les pièges tous les jours.
Ce dispositif pourrait-il se généraliser ? La question a été débattue au Conseil national de la chasse et de la faune sauvage (CNCFS) le 2 septembre dernier. L’idée est de permettre au préfet, sur proposition du président de la fédération départementale, d’autoriser les piégeurs agréés à poser des cages pièges dans les zones périurbaines, là où on ne peut pas chasser. Les préfets pourraient également recourir à cette pratique de leur propre chef, si le montant des dégâts venait à exploser.
L’idée est judicieuse, même s’il faudra se méfier quand même des « animalistes », sans doute prompts aux abords des villes à venir libérer les prisonniers.
Leçon de choses
Cette explosion du sanglier un peu partout en Europe délivre deux enseignements.
D’abord – et contrairement à une idée répandue – le fusil ou la carabine ne sont pas des méthodes de destruction massive. Ensuite, c’est la preuve éclatante que la dynamique d’une espèce dépend essentiellement de son milieu. Si le milieu lui convient, l’espèce explose. C’est le cas du sanglier. C’est le cas aussi du goéland argenté, du renard, de la mouette rieuse, du ragondin, du vison d’Amérique, de la tourterelle turque, de la corneille noire (en milieu urbain), du pigeon ramier ou du rat dans les grandes villes.
Rappelons que c’est le déboisement – et donc l’anéantissement du milieu – qui eut raison des milliards (oui !) de pigeons migrateurs américains, à la fin du XIXe siècle.
Au lieu de se concentrer sur la chasse (fortement encadrée) qui n’a aucun impact sur la dynamique des espèces, les véritables écologistes devraient s’intéresser davantage à la qualité des milieux. L’expansion du sanglier est, à ce titre, une merveilleuse leçon de choses.