Jean-Louis Proust peut pousser un « ouf » de soulagement. Installé sur 185 ha à Erchin (Nord), près de Cambrai, l’agriculteur adhérent de Tereos, a semé 9 hectares de betteraves bio fin avril, juste après la grande période de gel qui s’est abattue sur les cultures en France. « En bio, nous semons en moyenne un mois après les betteraves conventionnelles. Cela nous permet de faire des faux semis pour faire lever les adventices et faciliter l’arrivée des insectes auxiliaires dès l’arrivée des ravageurs », explique-t-il. En 2020, pour sa première année en betteraves bio, 5,5 hectares ont été semés. Avec 52 t/ ha à 16°S de rendement sur une moyenne nationale de 27 t en bio, il fait partie des rares chanceux qui ont réussi à échapper à la sécheresse et à la jaunisse virale. « Nous avons bénéficié d’un contexte climatique plus favorable dans les Hauts-de-France et avons été moins exposés aux pucerons », souligne-t-il. Comme lui, ils sont encore peu nombreux à produire des betteraves bio en France : 110 planteurs chez Tereos pour 750 hectares (450 ha en 2020) et 120 chez Cristal Union pour 1 050 hectares (1 000 ha en 2020).
De nouvelles techniques
Une dynamique lente qui trouve ses explications dans des difficultés de production. De nouvelles méthodes agronomiques sans chimie, plus coûteuses, sont expérimentées et déployées, les seules substances autorisées restant le cuivre et le soufre. « Nous avons mis en place des expérimentations avec de nouvelles machines, comme des robots, pour des tâches pénibles pour les planteurs. C’est une source de développement de nouvelles techniques aussi pour le conventionnel », estime Xavier Astolfi, le directeur général adjoint de Cristal Union. La culture des betteraves bio demande davantage d’attention. « La maîtrise du désherbage est le point essentiel pour que la betterave bio soit rentable pour les producteurs. Un accompagnement plus régulier est nécessaire pour les planteurs. Je passe en moyenne tous les quinze jours sur les exploitations », affirme Xavier Dupuis, chef de projet filière bio chez Tereos. Le recours combiné à des outils mécaniques et à des passages manuels coûteux est nécessaire. Certains robots, à l’image de Naïo, Farmdroid et l’IC-Weeder de Steketee, commencent à faire leur apparition, mais restent chers. Cristal Union et Tereos proposent des équipements en prestation de services chez les planteurs. Ce dernier vient d’acquérir des désherbeuses à pneus. Jean-Louis Proust a, pour sa part, acheté par l’intermédiaire de sa Cuma une bineuse Garford, pour 105 000 euros.
Des coûts plus élevés
Avec des coûts deux à trois fois plus élevés qu’en conventionnel, la filière betterave bio reste fragile. « Cette production n’est possible que s’il existe une production conventionnelle et durable pour réduire les coûts, notamment de transformation », insiste Xavier Astolfi. Pour être pérennisée, la filière doit assurer un revenu suffisant à ses différents maillons. En 2020, Cristal Union affirme avoir payé ses planteurs 86 euros la tonne de betteraves à 16°S. De son côté, Tereos propose un prix de 80 €/t de betteraves à 16°S + 200 euros de prime d’engagement et une prime potentielle en fonction du prix de vente du sucre. « La rémunération des producteurs doit évoluer pour motiver davantage. Les planteurs hésitent à se lancer car ils prennent l’essentiel des risques, avec des rendements divisés par deux ou par trois. La culture de la betterave bio demande davantage de travail et de technicité », insiste Nicolas Rialland, le directeur environnement de la Confédération générale des betteraviers (CGB).
Encore balbutiante, la production de betteraves bio devrait poursuivre son développement. Cristal Union devrait passer les surfaces semées en bio à 1 500 hectares en 2022. « L’essentiel de la demande vient aujourd’hui des industriels de l’agroalimentaire qui souhaitent du sucre local bio à mettre dans leurs recettes », affirme Xavier Astolfi. Mais le marché du sucre bio est encore une niche. « Malgré une croissance de 10 % chaque année, il ne pèse que 2 % du marché européen en Europe, soit 300 000 tonnes, dont 30 000 t en France », note Stanislas Bouchard de CristalCo. La dynamique est forte dans les grandes surfaces : + 15 % sur un an, soit une part de 5,5 % des 407 millions d’euros de chiffre d’affaires du marché du sucre en France. Près de 99 % sont captés par la canne à sucre, installée depuis longtemps. Le sucre de betterave bio va devoir jouer des coudes pour se faire une place face à la canne très appréciée des adeptes du bio.
Et de trois ! Après Cristal Union avec Daddy au printemps 2020, précédé de quelques mois par Saint Louis avec du sucre importé, Tereos se lance à son tour depuis avril 2021 sur le marché du sucre de betteraves bio en supermarché, avec sa marque Béghin Say. Celui de Cristal Union est produit à Corbeilles-en-Gâtinais (Loiret) et conditionné à Bazancourt (Marne) tandis que celui de Tereos provient de la sucrerie d’Attin (Pas-de-Calais) et est conditionné à Artenay (Loiret). Les deux marques coopératives ont choisi de mettre en avant un drapeau tricolore et une betterave sur leur packaging. Daddy a fait appel dès le lancement à un emballage inédit en kraft pour ses packs de 750 g, une solution généralisée depuis peu à toute sa gamme de sucre en poudre pour remplacer le plastique. De son côté, Tereos utilise un emballage traditionnel en carton, habillé en vert clair pour un pack de sucre en poudre de 500 g et un format de petits morceaux de 450 g. La marque lance en parallèle du sucre issu d’exploitations certifiées Haute valeur environnementale (HVE), dont le packaging est de couleur ocre.
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