Les betteraviers qui recherchent des alternatives aux néonicotinoïdes ont trouvé une nouvelle alliée en la personne d’une jeune entomologiste installée en pays de Caux, qui a créé Flor’Insectes en 2007, un laboratoire de recherche appliquée sur les insectes. Elle forme les agriculteurs à la connaissance des différentes espèces d’insectes auxiliaires (coccinelles, guêpes, perce-oreilles) afin de les attirer et de les maintenir dans des espaces agricoles en leur apportant l’habitat nécessaire à leur cycle de vie pour éradiquer les parasites ennemis des cultures. Elle dispense des formations en agroécologie avec les Bassins-versants, le Civam de Normandie (centre d’initiatives pour valoriser l’agriculture) et Bio-Normandie.
Des fleurs dans la plaine
De sa rencontre avec des agriculteurs au lycée agricole d’Yvetot (Seine-Maritime) puis avec Alexandre Quillet, président de l’ITB et planteur de betteraves dans l’Eure, est né le projet de travailler à la mise en place d’essais sur le rôle des auxiliaires dans, notamment, le contrôle du puceron vert à l’origine de la jaunisse sur les betteraves sucrières. Il s’agit d’installer des bandes fleuries dans les champs cultivés pour favoriser le retour des insectes et limiter les insecticides. Johanna Villenave-Chasset a déjà travaillé sur différents types de cultures : des oignons en Beauce où les insecticides ne fonctionnent pas, en maraîchage, dans des vergers, sur des parcelles de vigne et, maintenant, en grandes cultures comme le colza et les betteraves sucrières.
Le retour des coccinelles
« J’accompagne les agriculteurs pour mettre en place des aménagements (bandes fleuries, agroforesterie, haies, bordures de plantes vivaces) sur les exploitations. On plante des haies avec des essences adaptées au sol et au climat, qui offrent une large période de floraison et qui sont « attractives » pour les auxiliaires. On plante plutôt des espèces sauvages (bleuet, carotte, aneth) ou des plantes cultivées (sainfoin, luzerne, féverole, moutarde). Le groupe le plus connu des auxiliaires est celui des coccinelles », indique la jeune entomologiste. « Pour une diversité d’auxiliaires, il faut une diversité des habitats et de la flore. En résumé, il faut des fleurs toute l’année pour constituer de gros stocks d’auxiliaires, mais il ne faut pas n’importe quelles fleurs. Une coccinelle ne consomme pas le même pollen que le syrphe (insecte qui ressemble à une guêpe) ou l’hyménoptère parasitoïde du puceron », prévient la scientifique. Il faut donc avoir une bonne connaissance des espèces végétales consommées par tel ou tel auxiliaire. L’entomologiste procède ainsi à la dissection des insectes dans son laboratoire, pour identifier les graines de pollen consommées par chaque espèce.
Favoriser la biodiversité
Johanna Villenave-Chasset a été sollicitée par l’ITB pour travailler sur le rôle des auxiliaires dans la lutte contre le puceron vecteur de la jaunisse. La filière betteravière doit trouver des alternatives aux néonicotinoïdes d’ici trois ans. Des essais ont été mis en place chez des planteurs de betteraves de la région avec des bandes fleuries dans les champs, pour favoriser le peuplement d’auxiliaires. Le parasitoïde du puceron vert est un organisme dont la femelle pond un oeuf dans chaque puceron. Après une journée d’incubation, la larve éclate et mange le puceron. Il faut donc donner à ce parasite de quoi se nourrir toute l’année pour qu’il s’installe durablement.
L’ITB indique que « les chrysopes comptent parmi les espèces d’auxiliaires aphidiphages courantes sur betterave ou en bordure de parcelle. Leurs larves sont des prédateurs très voraces et peuvent consommer plusieurs centaines de pucerons avant de devenir adultes. Elles participent donc à la régulation naturelle des pucerons. Les adultes se nourrissent principalement de pollen et de nectar, les bandes fleuries en bordure de parcelles peuvent dès lors leur fournir les ressources alimentaires dont ils ont besoin ».
L’objectif de Johanna Villenave-Chasset est de faire revenir et de maintenir les populations d’auxiliaires sauvages qui font partie de ce qu’on appelle la biodiversité fonctionnelle. Elle a d’abord travaillé avec les Chambres d’agriculture , l’INRAE et Arvalis institut du végétal. « Je travaille maintenant plus en direct avec les agriculteurs qui sont intéressés et très demandeurs pour trouver des solutions à leurs problèmes », ajoute l’entomologiste qui intervient principalement en agriculture conventionnelle.
Guy-Marie Montville est planteur de betteraves à Envronville près d’Yvetot (Seine-Maritime) sur 20 hectares. Il a été en contact avec l’entomologiste lors d’une réunion sur les bassins versants. Il a été primé pour le meilleur couvert végétal avec des plantes différentes : féverole, pois, moutarde, avoine, phacélie et radis. Le planteur a mis en place au début du mois de mars le premier essai avec un mélange de 6/ 7 plantes, dont du sainfoin et du trèfle sur une bande florale de 3 mètres de large et une autre à l’opposé de la première, sur une parcelle de 1,5 hectare de betteraves en strip-till (travail du sol sur le seul rang de semis) pour « voir ce qui peut attirer les auxiliaires ». Le but est de perturber l’évolution des pucerons dans les betteraves.« Si l’on met des auxiliaires avant l’arrivée des pucerons, cela limitera leur développement », est persuadé le planteur.
Damien Paris, planteur de betteraves à Hautot-le-Vatois (Seine-Maritime), n’utilise plus d’insecticides depuis cette année : « c‘est mauvais pour la santé et cela désorganise le milieu naturel ». Avec l’ITB, il a prévu de cultiver des bandes fleuries au mois d’août, car il était trop tard pour les semis cette année. En attendant, il a implanté des plantes fleuries pérennes sur des coins de parcelles de betteraves et des linières qu’on laisse sans cultiver, pour permettre aux arracheuses de manœuvrer. Il trouve le travail de l’entomologiste intéressant et novateur.
« On réinstalle ce qu’il y avait avant, car nous avons tout détruit et nous avons de moins en moins de matières actives », observe le planteur cauchois.
Pour Alexandre Métais, responsable régional de l’ITB Normandie-Val d’Oise, « l‘objectif est de trouver des leviers agroécologiques pour lutter contre la jaunisse, notamment à travers les bandes fleuries. Nous allons regarder l’impact sur les auxiliaires ». Parallèlement, l’ITB travaille sur des « plantes compagnes » dans des fermes pilotes de l’Eure, à Nojeon-en-Vexin. Il s’agit de semis de betteraves sucrières sur des couverts végétaux, dans de l’avoine et de la vesce. « L’objectif est de regarder si ces couverts peuvent avoir un impact sur les pucerons et, notamment, un effet de perturbation visuelle limitant l’atterrissage des pucerons sur les parcelles. Les agriculteurs voient bien que les solutions se raréfient. Il faut trouver d’autres moyens de lutte et tester ces leviers agroécologiques », ajoute Alexandre Métais.