Le constat est sans appel. L’agriculture française perd des parts de marché, à la fois sur notre territoire et à l’exportation. Notre pays reste la première puissance agricole européenne mais notre autosuffisance alimentaire s’érode depuis plusieurs années. En 2020, l’excédent commercial agroalimentaire était de 6,1 mds €, selon FranceAgriMer, en repli de 20,9 % sur un an (lire l’article page 7 dans ce numéro).
Depuis dix ans, la balance commerciale est devenue très déficitaire pour certains aliments, en particulier dans les fruits et légumes et la viande. En 20 ans, les surfaces des vergers ont diminué de 40 % selon l’interprofession Interfel. La France importe désormais plus de 40 % des légumes qu’elle consomme et 50 % des poulets qu’elle avale d’après la Confédération française de l’aviculture (CFA).
Cette problématique était le thème central du grand rendez-vous de la Souveraineté alimentaire organisé le 18 mai par le Conseil de l’agriculture française (FNSEA, JA, APCA et CNMCCA) et conclu par le président de la République, Emmanuel Macron. « Le sujet de l’autosuffisance alimentaire est pour moi une question d’indépendance, de protection et d’identité. Il n’y aura pas de nation forte sans une agriculture et une chaîne alimentaire fortes », a insisté lors de cette journée Julien Denormandie. Le ministre de l’Agriculture a notamment regretté que la France soit passée en quinze ans de troisième exportateur mondial agroalimentaire à sixième, derrière l’Allemagne et les Pays-Bas et « que la moitié des surfaces de protéagineux aient disparu en 20 ans ».
Pourquoi ce décrochage ? Les raisons sont nombreuses : problème de compétitivité, coûts de la main-d’œuvre, distorsions de concurrence avec nos voisins, complexité administrative… « Il faut par exemple 18 mois en France pour obtenir une autorisation d’installation classée en élevage contre seulement six en Allemagne. La problématique est la même pour créer une retenue d’eau », lance Dominique Chargé, le président de La Coopération agricole. Pour Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’industrie, « nos PME agroalimentaires sont peut-être trop petites et pas assez présentes à l’international par rapport à nos voisins », estime-t-elle, en évoquant le plan de relance de 100 milliards d’euros mis en place par le gouvernement dont 35 pour l’industrie, « afin de moderniser les usines, de les aider à se décarboner comme dans la filière sucre et à relocaliser ».
Des prix rémunérateurs
Face à ce constat, Emmanuel Macron entend mener trois grandes actions avec son gouvernement pour répondre aux problèmes de l’agriculture française. La première va consister à proposer une nouvelle loi pour réformer les négociations commerciales entre agriculteurs, industriels et distributeurs. Son but ? Améliorer le revenu des agriculteurs avec des prix rémunérateurs. « Vivre de son travail, c’est la mère des batailles », a souligné le président de la République. « La loi EGalim a permis des avancées comme dans le lait mais pas dans d’autres, telle que la viande, où les acteurs ne parviennent pas à se mettre d’accord et à s’organiser en OP », a souligné le chef de l’État. Pour lui, « il faut changer plus profondément les choses et permettre une meilleure prise en compte des coûts de production agricoles ». Le ministre de l’Agriculture va déposer un projet de loi dans les prochains jours en ce sens, afin de « favoriser la pluriannualité des contrats, donner davantage de visibilité aux producteurs et construire le prix à partir du coût fixe ». Emmanuel Macron souhaite que cette loi soit votée avant les prochaines négociations commerciales.
Lever les distorsions de concurrence
Autre chantier important que le président de la République entend relever : la lutte contre la concurrence déloyale. De nombreux participants, lors de ce grand rendez-vous, ont reconnu qu’il y avait des distorsions à la fois entre les pays de l’Union et également avec les produits importés des pays tiers. « Si on demande aux agriculteurs de transformer encore leurs pratiques sans les aider ni les protéger, on crée une concurrence déloyale. Il faut passer un contrat social avec eux », a déclaré Pascal Canfin, député européen et président de la commission de l’environnement au Parlement européen. Sébastien Windsor, le président des chambres d’agriculteurs (APCA) milite de son côté pour la mise en place de nouvelles règles européennes en matière d’étiquetage alimentaire pour la mention systématique de l’origine des produits. Cette lutte contre les distorsions de concurrence devrait être un des principaux chevaux de bataille de la présidence française de l’Union européenne, qui débutera en janvier 2022 pour six mois. Emmanuel Macron a affirmé sa volonté que tous les pays européens avancent au même rythme, notamment en matière environnementale et de normes. Pour les produits importés provenant de pays hors de l’UE, il défend la mise en place de « clauses miroirs », pour imposer nos standards de production aux autres pays.
Une nouvelle assurance récolte
Enfin, le chef de l’État veut repenser les systèmes d’aides aux agriculteurs en matière de changement climatique. « Il y a une accélération des aléas climatiques depuis dix ans. Nous allons ouvrir le chantier de l’assurance récolte », a-t-il affirmé. Pour lui, les systèmes actuels ont montré leurs limites et doivent être entièrement repensés. « Nous ne pouvons pas demander aux agriculteurs de s’assurer seuls. Il devra y avoir un financement public pour convaincre les agriculteurs de souscrire au régime d’assurance récolte », a-t-il promis. Sur le même dossier du changement climatique, le président de la République a confirmé la tenue d’un « Varenne de l’eau » d’ici l’été pour faciliter la création de retenues collinaires. « Nous allons mettre à plat les projets pour simplifier les règles et avancer plus rapidement. L’objectif est de lever les points de blocage et de définir une méthodologie pour pouvoir lancer des projets en quelques mois », a-t-il insisté. Les prochains mois devraient donc être ardus pour le gouvernement. Le temps presse s’il veut réussir. Les prochaines élections présidentielles et législatives sont dans moins d’un an.