Après avoir été longtemps à la traîne de l’Allemagne, la France rattrape son retard sur la méthanisation agricole. Selon l’Ademe, on dénombre 980 méthaniseurs en France au 1er janvier 2021 (contre 514 en janvier 2017), dont 770 dans les fermes. Parmi eux, 214 injectent du biogaz dans le réseau, dont 167 issus de sites agricoles, selon l’association France gaz renouvelables. Le nombre devrait bondir encore dans les prochaines années. On estime que 1 000 nouveaux dossiers sont dans les tuyaux. Une dynamique qui n’a pas manqué d’intéresser les sénateurs. Le palais Bourbon vient de lancer une mission d’information, présidée par Pierre Cuypers (LR), membre de la commission des affaires économiques et betteravier en Seine-et-Marne. Son but ? Étudier notamment l’impact de la méthanisation sur les pratiques agricoles et ses conséquences économiques. En attendant l’issue des travaux prévue pour l’été, nous avons souhaité vous guider pas à pas pour réussir votre projet de méthanisation, avec 10 points de vigilance.
Avant de commencer un projet de méthanisation, il est nécessaire de s’informer et se former. « Faire tourner un méthaniseur, c’est un nouveau métier, ce n’est pas une diversification », met en garde Jean-François Delaitre, président de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF). Il faut d’abord voir de nombreux méthaniseurs. « Les échanges sont primordiaux pour éviter des erreurs et comprendre comment les porteurs de projets ont bâti leurs installations », poursuit-il. Pour cela, les agriculteurs peuvent s’appuyer sur les conseils de plusieurs organisations comme les chambres d’agriculture, la CGB ou l’AAMF qui propose des échanges et des formations. S’adjoindre les conseils d’un cabinet d’études indépendant et d’un architecte est vivement conseillé.
1. Évaluer le travail
Le projet doit être bien cadré, en particulier sur l’aspect humain. « Qu’est-ce que je veux faire comme unité de méthanisation et avec qui, seul ou avec des associés ? C’est une étape primordiale », souligne Patrick Dechaufour, président de la CGB Calvados, Orne, Sarthe, qui espère construire un méthaniseur prochainement. « On peut avoir une très bonne faisabilité technico-économique mais, s’il y a une défaillance humaine, le projet ne sera plus viable », insiste Hélène Berhault-Gaborit, chef de projet méthanisation à l’AAMF.
2. Sécuriser ses entrants
« L’agriculteur va utiliser des matières sur l’exploitation ou chez ses voisins. Il doit s’assurer qu’elles sont disponibles sur la durée », rappelle Ariane Guilbaud, responsable juridique à la CGB. « Il est important que les utilisateurs d’une même matière se parlent en bonne intelligence pour éviter des conflits d’usage, sinon la plus-value peut échapper aux agriculteurs », prévient Hélène Berhault-Gaborit.
3. Quantifier le digestat
La production de digestat doit être évaluée et un plan d’épandage effectué. « Il faut veiller à son adéquation avec les surfaces disponibles pour l’épandage et privilégier des terres proches pour réduire les coûts de transport », conseille Jacques-Pierre Quaak, agriculteur et co-président de l’association France gaz renouvelables.
4. Définir sa production
En fonction des réseaux disponibles près de chez soi, un choix est à faire entre la production d’électricité (cogénération) et l’injection de biométhane, soit dans le réseau de distribution, soit dans le réseau de transport.
5. Choisir un site
« Il convient d’être près de la matière première et des parcelles d’épandage. On peut se permettre d’être plus loin qu’avant du réseau d’injection car les coûts de raccordement ont baissé », affirme Hélène Berhault-Gaborit. Cela permettra de réduire le transport de matières par camion et de diminuer les coûts.
6. Faire appel à un constructeur
Un process le plus performant possible doit être privilégié pour un meilleur rendement. Aujourd’hui, la fabrication de méthaniseurs n’est plus principalement allemande. De plus en plus de constructeurs français se sont lancés sur le marché.
7. Communiquer sur le projet
« Un projet de méthanisation engage tout un territoire. Il faut savoir être transparent sur ce qu’on attend et ses motivations. C’est parfois difficile mais c’est un devoir, car le projet est aidé financièrement par l’État, donc par la société. Si on n’est pas prêt à la transparence et à l’échange, on va vers des difficultés », insiste Jean-François Delaitre. Il faut informer les voisins, les élus et les relais d’opinion locaux, mais éviter les réunions publiques, préconise l’AAMF.
8. S’assurer de la rentabilité
Un cabinet de conseils indépendant doit être missionné pour réaliser une étude sur la viabilité technico-économique du projet. Là aussi, l’étape est primordiale. « Il est préférable de faire appel à un cabinet indépendant plutôt que de tout faire avec un constructeur », préconise Patrick Dechaufour.
9. Être encadré juridiquement
La phase administrative d’un projet de méthanisation est lourde. S’appuyer sur les conseils d’un cabinet de gestion ou d’un expert juridique est préconisé pour la création de la société porteuse de projet, de la société d’exploitation, la mise en place des contrats en amont et en aval, les assurances, le dépôt du permis de construire et la demande ICPE (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement), auprès de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal). « Plus le projet est important, plus le traitement du dossier va prendre du temps », prévient Ariane Guilbaud de la CGB.
10 – Prévoir le financement
« La réussite du financement est la conséquence du sérieux mené sur les 9 points de vigilance précédents », souligne Hélène Berhault-Gaborit, qui rappelle que le porteur de projet doit apporter au moins 10 % du montant en autofinancement. Plusieurs structures proposent des subventions ou des aides. C’est le cas en premier lieu de l’Ademe, mais aussi de certaines agences de l’eau et de conseils régionaux. L’agence Normandie Développement propose ainsi des prêts à taux à zéro pour faciliter l’investissement.
Les agriculteurs intéressés par un projet de construction d’un méthaniseur ne doivent pas tarder. « Les prix d’achat de biogaz commencent à diminuer et les coûts de construction augmentent », prévient Jacques-Pierre Quaak de France gaz renouvelables. Le décret du 23 novembre 2020 entraîne une baisse des tarifs de rachat de biométhane de 11 % à 17 % selon les intrants, souligne l’AAMF. Mais que les porteurs de projets se rassurent ! La méthanisation agricole a de beaux jours devant elle, ne serait-ce qu’avec la fourniture de chaleur en complément de la production de biogaz, pour chauffer des bâtiments, et pour la production de carburant de bioGNV, directement à la ferme. Selon les projections de la Plateforme automobile (PFA), le besoin est estimé à 1700 stations en France d’ici 2035. Une source de revenu complémentaire pour les agriculteurs !
Comparée à certaines autres cultures (maïs, seigle, orge…) la betterave offre un bon pouvoir méthanogène (voir le tableau). Il apparaît cependant peu intéressant de l’utiliser comme plante entière dans le méthaniseur. « S’il s’agit d’une plante dédiée, la réglementation interdit d’en mettre plus de 15 % », rappelle Patrick Déchaufour de la CGB. Cultivée comme plante Cive ou en excédent d’un contrat sucrier, elle apparaît également peu rentable sous cette forme, car il faut prévoir des coûts d’arrachage, de lavage/ épierrage, de râpage et de conservation le cas échéant. Les coproduits de la betterave sont, en revanche, plus intéressants. C’est le cas des feuilles. Aujourd’hui, il s’agit d’une ressource faiblement valorisée, car il faut investir dans des outils de récolte et / ou de main-d’œuvre lors de l’arrachage. La pulpe de betterave offre un pouvoir méthanogène très intéressant, mais elle n’est pas produite directement sur l’exploitation et peut être sujette à inflation, pouvant mettre en danger la viabilité économique du méthaniseur.
Témoignage de Grégoire Omont, Betteravier à Saint Crépin-Ibouvillers (Oise)
« Nous sommes dans une zone où l’agriculture n’est plus très rentable, avec beaucoup de contraintes. Pour nous, la méthanisation va être un complément de revenu, mais aussi un moyen d’améliorer nos assolements, en introduisant de nouvelles cultures, et de diminuer les engrais chimiques. Le réseau de distribution pour injecter le biogaz n’étant pas possible, nous nous sommes tournés vers le réseau de transport avec GRTgaz. Mais cela occasionne des coûts supplémentaires. Nous avons dû prévoir un méthaniseur de plus grande capacité pour compenser. Durant toute la phase d’étude de faisabilité, nous nous sommes fait accompagner par la chambre d’agriculture et le cabinet d’étude de notre constructeur. Le dossier d’installation classée a été déposé à la Dreal en mars 2019. Nous avons dû attendre six mois pour l’acceptation de notre projet et réaliser un an et demi de travaux. La capacité d’injection de notre méthaniseur est de 400 Nm3 / heure. Nous avons deux digesteurs et un post digesteur pour améliorer la digestion des matières et donc la qualité du digestat que l’on épand ensuite ». Au total, le projet de Grégoire Omont et de ses deux associés aura coûté environ 8 M€ dont 1 M€ pris en charge par l’Ademe. L’agriculteur espère que le méthaniseur, qui vient tout juste de démarrer, sera rentabilisé d’ici six à huit ans, à raison de 3 à 3,5 M€ de chiffre d’affaires par an.
Atouts
– Un complément de revenu stable sur 15 à 20 ans
– Amélioration de l’assolement
– Réduction des engrais chimiques
– Gain d’autonomie (ex : pompe bioGNV)
Freins
– Lourdeur des démarches administratives
– Nécessité de l’appropriation locale du projet
– Financement important
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