Et si une alerte SMS prévenait les agriculteurs, à la fois sur la présence de ravageurs des cultures et celle des auxiliaires? « À partir de 10 coccinelles ou de 12 araignées poilues par betterave, ne traitez pas. Les auxiliaires peuvent juguler l’attaque… ». Un scénario peut-être possible demain. Mais les références scientifiques manquent sur la régulation des ravageurs par les auxiliaires. Le projet Arena, regroupant des instituts techniques, des chambres d’agriculture, l’Inrae et l’enseignement agricole, travaille sur ce point depuis trois ans. Il a présenté, fin 2020, ses conclusions.
Le rôle des coccinelles et leurs larves, des syrphes et des carabes, commence à être connu. Mais celui d’autres espèces, comme les araignées par exemple, ne l’est pas. De plus, des formations sont nécessaires. Qui sait qu’un carabe consomme jusqu’à 125 pucerons ou 6 limaces par jour ?
Des pucerons majoritaires
« Les pucerons sont les individus les plus trouvés (50 000) lors de nos relevés, suivis par les araignées (40 000), les opilions (9 000) et les syrphes (4 000) », constate André Chabert, spécialiste de l’Acta. D’une manière générale, le pic des auxiliaires a lieu une à deux semaines après le pic des pucerons. Il pourrait expliquer la régulation ultérieure. Plus les pucerons sont nombreux, plus les populations de momies, d’araignées et de syrphes augmentent. Ce qui n’est pas forcément vrai pour les coccinelles et les chrysopes. Autre constat, les expérimentateurs trouvent davantage de pucerons sur blé que sur orge. Enfin, les variations saisonnières s’avèrent supérieures aux variations régionales.
Les auxiliaires volants sont les plus opérants pour réguler les pucerons, avec la première place pour les hyménoptères parasitoïdes. Leur présence se remarque de manière indirecte via la présence de momies de pucerons. Viennent ensuite les syrphes et les coccinelles. « Les guêpes sphécides, par exemple », détaille l’entomologue Jean-David Chapelin-Viscardi « chassent toutes les cicadelles. Proches des abeilles sauvages, elles ont un régime alimentaire à base d’insectes pour nourrir leur larve. Un tiers de celles observées en grandes cultures chassent les pucerons. Présentes à 90 % près des bois, elles ne sont que 10 % dans les bandes enherbées ».
Quand on examine l’estomac des carabes…
Trois protocoles servent à quantifier les prédateurs auxiliaires. Le premier consiste en un papier de verre cloué au sol ou posé dans les végétaux. Des proies sentinelles y sont collées à la colle à bois : œufs de teigne de farine, krills, graines d’adventices (vulpin, pensée des champs). Des photos sont prises toutes les 2 secondes au smartphone.
Le second (beaucoup plus onéreux) consiste à analyser le contenu de l’estomac des carabes avec un diagnostic PCR. Celui-ci détermine la présence d’espèces grâce à l’existence d’ADN spécifique. Sur les 1 819 carabes identifiés, broyés au laboratoire et testés, cinq types de proies ont été analysées (pucerons, limaces, araignées…). Les décomposeurs du sol, comme les collemboles, sont aussi une ressource de nourriture importante pour le maintien des carabes. La consommation de limaces par les carabes évolue au fil des saisons ; elle semble plus importante aux mois de mai et juin, périodes de ponte des limaces.
Vers un modèle prédictif complémentaire des observations
A partir de ces observations, les spécialistes ont créé un modèle prédictif de la présence de pucerons et d’hyménoptères parasitosoïdes, pour quatre cultures. Mais avec 45 % d’exactitude, il doit être affiné. « Disposer d’un OAD de prédiction relève de la stratégie », résume André Chabert. Mais la tactique passe par l’observation à la parcelle. Les deux sont complémentaires.
« Les méthodes d’observation hebdomadaire visuelle restent les plus performantes », insiste l’expert. Pour les espèces parasitoïdes, spécialistes d’une ou deux espèces de proies, cela est plus facile. Pour les auxiliaires généralistes, les prédictions sont plus compliquées, car ils consomment de nombreuses proies. Le carabe par exemple (54 espèces présentes en moyenne par exploitation de grandes cultures !) consomme pucerons, limaces ou graines. Ces généralistes ont l’avantage de constituer une réserve déjà présente au champ lors de l’arrivée des ravageurs. « Le choix d’un insecticide sélectif et non toxique pour les auxiliaires leur permet de rester présents pour lutter contre la prochaine vague de pucerons », complète Régis Wartelle, de la Chambre régionale d’agriculture des Hauts-de-France.
L’idéal serait de définir des seuils fiables à partir desquels l’absence de traitements insecticides pourrait être envisagée sans risque économique. « Mais, de même qu’il ne faut pas tout attendre de la chimie, les auxiliaires ne pourront pas tout résoudre », prévient l’expert de l’Acta. Plusieurs éléments favorisent la présence d’auxiliaires, dont douze critères paysagers (taille des parcelles, agro-foresterie, système de culture, haies, bordures, présence de bois…) Plus la parcelle est de petite taille, moins les pucerons sont nombreux. Des leviers qui sont aussi à approfondir.