Vendre des crédits carbone tout en participant à l’atteinte des objectifs climatiques de neutralité carbone en 2050. Telle est l’ambition du Label bas-carbone que viennent de lancer les organisations professionnelles de grandes cultures – AGPB, AGPM, FOP et CGB (1) – en déposant leur dossier le 9 décembre dernier au ministère de la Transition écologique et solidaire. Son élaboration a été confiée à ses instituts techniques respectifs – Arvalis-Institut du végétal, Terres Inovia, ITB et ARTB (2) avec l’appui du cabinet de conseil agricole Agrosolution, filiale d’InVivo.
Concrètement, le projet doit définir un cahier des charges permettant de quantifier les réductions des émissions de GES (gaz à effet de serre), la séquestration de carbone dans les sols, et la production de biomasse pour la substitution de ressources fossiles.
« Sur la base de ce cahier des charges, agréé par le ministère, des projets pourront être soumis, sous la forme de convention entre trois catégories d’acteurs : un organisme ou une société de financeurs, un porteur de projet qui l’orchestrera, et un groupe d’agriculteurs, plus ou moins important en nombre, qui mettront en œuvre dans leur exploitation des pratiques reconnues pour lutter contre le changement climatique. Ils recevront en outre le financement établi de gré à gré entre les acteurs », explique Rémy Duval, responsable adjoint du département technique et scientifique de l’ITB.
Ces projets doivent aller au-delà de la réglementation et de la pratique courante. L’objectif est de rémunérer la diminution des émissions ou la séquestration de carbone faite par une exploitation agricole, après la mise en place de ces nouvelles pratiques.
Compensation volontaire
Toutes les activités d’une exploitation peuvent être couvertes par le Label bas-carbone, car un projet carbone grandes cultures s’applique au niveau d’une exploitation. Le périmètre des leviers d’action couvre les systèmes de culture et les bâtiments de stockage et de séchage en grandes cultures, jusqu’à la sortie de l’exploitation.
Les entreprises et les collectivités qui souhaitent compenser leurs émissions pourront acheter des crédits carbone aux agriculteurs. Mais s’ils sont prêts à payer pour ces externalités positives, ils veulent aussi des garanties solides. Le Label bas-carbone, reconnu par le ministère de la Transition écologique et solidaire, garantit aux financeurs des projets que les actions mises en place permettent bien de réduire les gaz à effet de serre et sont pérennes.
Les réductions d’émissions labellisées peuvent être utilisées dans le cadre d’une démarche de compensation carbone volontaire. En revanche, ces réductions ne peuvent pas servir pour remplir une obligation réglementaire dans le cadre du système de quotas d’émissions du marché carbone européen.
Alors pourquoi des entreprises achètent-elles des crédits carbone ? Elles le font dans le cadre de leur politique RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Actuellement, les entreprises achètent ces crédits à l’étranger, essentiellement dans des pays en voie de développement (par exemple en participant à la reforestation de l’Amazonie), mais certaines souhaitent compenser leurs émissions sur des projets agricoles français. Le plus gros acheteur de crédits carbone en France est le groupe La Poste.
Cette méthode « grandes cultures » vient s’articuler avec les méthodes déjà formalisées, (comme CarbonAgri, qui concerne la filière bovine, ou la méthode Haies) ou en cours de rédaction dans le secteur agricole (comme la méthode méthanisation).
Des initiatives de rémunération du carbone stocké par les agriculteurs existent déjà.
Par exemple, la start-up Soil Capital (voir BF 1 118) promet une rémunération de 27,8 €/t aux agriculteurs engagés dans son programme de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
À noter également que la coopérative Axéréal a mis en place une filière colza et tournesol « bas gaz à effet de serre », permettant ainsi de valoriser financièrement les efforts de ses adhérents pour stocker du carbone dans le sol. Saipol, la filiale du groupe Avril, rémunère également le colza et le tournesol durables à travers sa solution OleoZe.
Marché de gré à gré
Quel sera le prix pour la tonne de carbone ? Le prix des projets labellisés est déconnecté du marché. Il résulte d’un marché de gré à gré entre le porteur de projet et le financeur. Le prix du carbone dépend du coût du projet et de la part redistribuée aux agriculteurs. Pour les premiers projets agricoles et forestiers, le prix du crédit carbone tourne autour de 30 €/t, un prix bien supérieur à celui des projets à l’international, qui sont d’environ 5 €/t.
Ainsi, Carbon Agri, qui est développée par l’Institut de l’élevage, a permis à 391 exploitations de vendre des crédits carbone équivalant à 14 € pour 1000 l de lait. Le financement peut intervenir en début ou en cours de projet.
Il est très difficile de quantifier ce qu’une exploitation de grandes cultures pourrait toucher ; néanmoins, avec un prix du carbone autour de 30 € la tonne et en mobilisant des pratiques significatives et documentées qui réduisent effectivement le CO2, on pourrait atteindre 45 €/ha et, si le prix du carbone augmente autour de 50 €/t, arriver à 150 €/ha. Une somme qui restera encore marginale pour le compte d’exploitation et qui servira surtout à financer des nouvelles pratiques plus vertueuses !
(1) Association générale des producteurs de blé, Association générale des producteurs de maïs, Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux, Confédération générale des producteurs de betteraves.
(2) Association de recherche technique betteravière.
Les calculs de l’AGPB et de l’AGPM indiquent qu’en France, les 14 millions d’hectares de grandes cultures pompent annuellement dans l’atmosphère 290 Mteq CO2. C’est bien plus que les 40 Mteq CO2 émises du fait de la fertilisation, de la consommation de carburants (19 Mteq CO2) et, indirectement, de la fabrication des produits et matériels utilisés par les exploitants (21 Mteq CO2). Le solde de 250 Mteq CO2, après déduction de ces émissions, représente le double de ce que pompent les forêts françaises !
La méthode Label bas-carbone grandes cultures a établi des bonnes pratiques que pourront choisir les porteurs de projet et les exploitations.
1 – Pour réduire les émissions
Fertilisation azotée :
• Doses d’azote minéral ajustées pour les cultures, ce qui inclut les ajustements intra-parcellaires, les outils de pilotage, le choix des formes d’engrais et des conditions lors des apports au champ, pour la meilleure efficience et la limitation des pertes (lixiviation, volatilisation, mais aussi émissions de N2O).
• Fertilisation organique systématiquement enfouie.
• Introduction de légumineuses dans les rotations.
Réduction de consommation des combustibles fossiles :
• Consommation lors des interventions ou des différents postes consommateurs des exploitations de grande culture, adaptation des motorisations.
2 – Pour accroître le stock de carbone du sol
• Toutes évolutions du système de culture qui favorise les restitutions de biomasse au sol (résidus de culture et des couverts végétaux).
• Apport au sol de matières organiques fertilisantes qui restitueront du carbone au sol.
Les associations spécialisées en grandes cultures ont formalisé les différentes étapes :
1 – Le porteur de projet (un agriculteur, une coopérative agricole ou un négoce par exemple) doit décider s’il porte lui-même le projet ou s’il passe par un mandataire. Le projet pouvant être individuel ou collectif.
2 – Le porteur de projet ou le mandataire notifie à la direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) de la Région du projet, sauf dans le cas d’un projet collectif multirégional où c’est directement le Ministère de la transition écologique (MTSE) qui décide. Le document de notification est disponible en ligne sur le site du MTES. Cela permet de prendre date pour compter les crédits du projet.
3 – Il faut ensuite déposer une demande de labellisation auprès de l’autorité compétente. Une fois le dossier instruit et validé, il est inscrit sur le site du ministère.
4 – Le projet entre ensuite dans la phase de suivi, avec des audits intermédiaires, sans recourir à un organisme extérieur. Pour des projets collectifs, des mutualisations de vérification peuvent être appliquées, réduisant le coût des audits.
5 – En fin de projet, un audit de vérification par un organisme extérieur permet de valider les réductions d’émission finançables, et de les inscrire sur le registre dédié du MTSE.