C’était le hasard du calendrier, mais une bonne nouvelle est tombée en plein milieu de l’assemblée générale de la CGB, qui se tenait en visioconférence le 10 décembre dernier. À 17 heures exactement, un communiqué du Conseil constitutionnel donnait son feu vert à la loi réautorisant, pendant trois ans, l’utilisation de semences de betteraves enrobées d’insecticides néonicotinoïdes.
Le Conseil constitutionnel juge « conforme à la Constitution, compte tenu de l’ensemble des garanties dont elle est assortie et, en particulier, de son application limitée exclusivement jusqu’au 1er juillet 2023, la possibilité de déroger à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes ». Le Conseil constitutionnel avait été saisi de deux recours émanant de députés et de sénateurs, estimant que le texte de la loi contrevenait à la Charte de l’environnement.
« C’est vraiment une bonne nouvelle », a réagi le président de la CGB, Franck Sander, interrompant la table ronde en cours. « Cette étape qu’on ne maîtrisait pas va permettre aux semenciers de livrer des semences de betteraves en vue des semis au printemps prochain ».
Tous les intervenants de la table ronde étaient soulagés, y compris le ministre de l’Agriculture, qui clôturait cette assemblée générale. « La décision qu’on a pu prendre sur la betterave est une question de souveraineté », a déclaré Julien Denormandie.
La campagne catastrophique de 2020 pose en effet la question de la souveraineté en termes de production de sucre, puisque la chute des rendements a fait passer la production de betteraves de 47 Mt produites en 2017, à moins de 27 Mt cette année.
Une mobilisation générale
« Je tiens à remercier très chaleureusement Julien Denormandie d’avoir pris ce dossier à bras-le-corps et ce dès sa prise de fonction, début juillet », a déclaré Franck Sander. Un mois après sa nomination, il a en effet annoncé, le 6 août, la mise en œuvre d’un plan global de soutien à la filière, comportant notamment le projet de loi permettant d’utiliser à nouveau des néonicotinoïdes, un plan de recherche et d’innovation doté de 7 M€ de fonds publics et le principe d’une indemnisation des pertes de rendement causées par la jaunisse. Un plan soutenu par le député de l’Aube, Grégory Besson Moreau, rapporteur du projet de loi sur les néonicotinoïdes et par la sénatrice des Yvelines, Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques du Sénat.
Les régions se sont aussi mobilisées, notamment l’Île-de-France qui soutient à hauteur de 1,3 M€, sur 5 ans, un programme de recherche pour développer des variétés résistantes et trouver des alternatives. L’Île-de-France a également voté des aides aux producteurs et sa présidente, Valérie Pécresse, a annoncé que sa région va expérimenter avec les Hauts-de-France et le Grand Est un instrument de stabilisation du revenu (ISR) pour préserver la capacité de production de la filière sucre.
Les indemnisations se font attendre
S’il salue l’action de Julien Denormandie sur le dossier betteravier, Franck Sander attend toujours des réponses sur le mécanisme d’indemnisation des planteurs victimes de la jaunisse. « Ma demande est simple et pragmatique : les commandes de semences ont démarré. Il nous faut urgemment des réponses sur un mécanisme d’indemnisation significatif qui devra concerner tous les betteraviers français qui auront été sinistrés ! »
Le ministre lui a répondu qu’« une majorité des planteurs sera éligible. Les mêmes règles s’appliqueront à tous les bénéficiaires ; elles seront adaptées aux régions de production ayant déjà eu des difficultés les années précédentes. Le calcul des indemnisations sera basé sur des données individuelles, et les paramètres retenus seront simples ».
Comment la loi sera-t-elle mise en œuvre ?
En validant le projet de loi, le Conseil constitutionnel ouvre la voie à la promulgation et à la publication des textes d’application. Ces textes sont également très importants puisqu’ils vont définir les modalités et les restrictions associées à l’usage dérogatoire des semences enrobées aux néonicotinoïdes. Julien Denormandie a précisé que les textes se composeront de « deux décrets et de trois arrêtés dans les prochaines semaines. Il y a encore de nombreux défis devant nous », a-t-il précisé. L’arrêté de mise sur le marché à titre dérogatoire va s’appuyer sur un avis rendu par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), mais non encore publié. « L’Anses demande que la culture de maïs ne se fasse qu’en année N+2 » après usage de néonicotinoïdes sur une parcelle », a révélé le ministre. Les cultures mellifères sont aussi concernées précisant qu’ « à peu près 25 % des cultures betteravières seront touchées par cette restriction ».
À ce stade, le diable se cache dans les détails. Il faudra éviter les écueils rencontrés par certains pays qui bénéficiaient de la dérogation l’année dernière, mais qui n’ont pas pu semer autant de betteraves traitées que les planteurs auraient pu le souhaiter. La directrice de la Confédération européenne des betteraviers européens (CIBE), Élisabeth Lacoste, l’a d’ailleurs rappelé : des autorisations sont arrivées trop tard (en mars) au Danemark. Des pays ont rencontré des problèmes logistiques, comme la Pologne. Des restrictions d’usage ont été fortes sur les cultures suivantes, comme en Belgique où seulement 15 % des betteraves ont été traitées en 2020. « Au total, la CIBE estime que 80 % des betteraves de l’Union européenne ont été semées sans protection néonicotinoïdes », a révélé Elisabeth Lacoste.
La recherche publique va mettre des moyens importants, tandis que les semenciers unissent leurs efforts pour trouver des gènes de résistance qui seront accessibles à tous.
« Je suis optimiste. On va mettre la recherche en mode commando et tous les leviers seront mobilisés : la génétique, l’agronomie et le biocontrôle », a déclaré Philippe Mauguin, P-D G de l’Inrae. Plusieurs projets du Plan national de recherche et d’innovation (PNRI) viennent d’être validés. Le volet génétique du PNRI a pour objectif de phénotyper des milliers de variétés qui seront obtenues par une mutualisation des recherches des sélectionneurs. C’est un dispositif exceptionnel ! « On l’a fait pour la rhizomanie dans les années quatre-vingt, mais pas au même niveau qu’aujourd’hui », explique Alexandre Quillet, président de l’ITB. « L’intérêt général est de créer de nouveaux hybrides par une combinaison de plusieurs pools génétiques. Je sais qu’il y a de la concurrence, mais l’heure est grave ». Deux projets ont été déposés dans le cadre du PNRI pour 3 ans : le projet Flavie, qui regroupe cinq semenciers (SESvanderHave, KWS, Betaseed, Maribo-Hilleshög et Florimond Desprez), et le projet Probeet (Deleplanque). Ces deux projets vont tester en commun toutes les variétés selon le même protocole. « L’état d’esprit est de partager les premiers gènes identifiés comme résistants, car il faut que les six semenciers soient performants demain », se réjouit Alexandre Quillet.
D’autres pistes sont également explorées, comme les plantes de service, les auxiliaires, la mosaïque paysagère et le biocontrôle. « Si l’on trouve des molécules efficaces, on demandera aux autorités d’accélérer leur mise sur le marché », promet Philippe Mauguin.
L’ITB recherche le bon itinéraire cultural pour cultiver des plantes endophytes produisant des insecticides naturels.
Du côté des auxiliaires des cultures, « les hyménoptères parasitoïdes, insectes dévoreurs de pucerons, constituent également une piste très prometteuse », explique Alexandre Quillet, « à condition de leur donner le bon gîte ». C’est l’objectif de la mosaïque paysagère. « Il y a un lien entre la taille des parcelles, la diversité des cultures, et la présence de bandes enherbées, des espèces à fleurs qui ont un effet régulateur sur les auxiliaires », précise Philippe Mauguin, qui ajoute que « 4 hectares semblent être la taille de parcelle idéale pour favoriser la circulation des auxiliaires ». Plutôt que définir des tailles de parcelle, Alexandre Quillet préfère mettre « les bandes enherbées là où il faut ».
Et puis, il y a aussi des idées originales, comme celles d’André Schmiesing, chef du département de phytopathologie chez Deleplanque-Strube : « on travaille sur un drone pouvant transporter les insectes auxiliaires dans les grandes parcelles », dévoile le chercheur de Deleplanque-Strube. Contre la jaunisse, toutes les idées sont bonnes à prendre !