Face à la multiplication des méthaniseurs, l’association Agro-Transfert Ressources et territoires expérimente depuis cinq ans des rotations intégrant des cultures énergétiques en Picardie. Celles-ci se composent d’une succession de cultures dédiées à la biomasse. La première, culture d’hiver, se récolte précocement au printemps. La deuxième, à cycle court, se récolte en début d’automne. La double culture s’inscrit entre deux cultures alimentaires. La première culture C1 est généralement une céréale récoltée immature pour être ensilée. La seconde C2 se constitue de sorgho ou de maïs, ensilé aussi.
Maximiser la biomasse
« L’enjeu pour cette double culture consiste à maximiser la production de biomasse et de méthane pour chacune des deux cultures. Le tout en limitant les pertes de rendements pour la culture alimentaire suivante et les impacts environnementaux », résume Sophie Decaux, ingénieur en évaluation des systèmes de culture d’Agro-transfert.
Les résultats, exposés le 13 novembre lors du colloque de clôture Filabiom, démontrent qu’il faut viser un cycle cultural pour les deux cultures le plus long possible. Plus la température et le rayonnement sont importants, meilleurs sont les rendements. Ainsi, il faut semer rapidement la première culture de céréales immature après le précédent (de mi-septembre à fin octobre maximum). La seconde sera récoltée de mi-septembre à fin octobre l’année suivante. « Cette date correspond au meilleur compromis », estime l’agronome. Elle permet l’obtention d’un taux de matière sèche de 32 % pour la C2, nécessaire à la bonne conservation du silo. Elle assure le rendement potentiel de la culture alimentaire suivante.
Semer la première décade de mai
Un cumul de 1 500 °C est nécessaire pour obtenir ces 32 % de matière sèche (MS) d’un maïs ou d’un sorgho. Il est atteint en semant la première décade de mai. Cette date permet d’optimiser la biomasse des deux cultures et d’avoir un taux de matière sèche suffisant.
Pour maximiser la production de méthane, il serait tentant de choisir des espèces ou variétés plus méthanogènes (le potentiel méthanogène est la quantité de méthane produite lors de la fermentation d’un kilo de biomasse). « Mais ce n’est pas la voie à choisir », insiste l’agronome. Il faut rechercher avant tout le rendement de biomasse maximum. Ce levier a un impact beaucoup plus fort sur la production de méthane que le potentiel méthanogène. La deuxième culture (maïs ou sorgho) produit beaucoup plus de méthane par ha (4 500 m3) que la première, seigle ou triticale (2 200 m3). Les meilleurs résultats sont obtenus avec un semis de la C2 les dix premiers jours de mai, avec 7 556 m3 de méthane pour une production totale de 24 t de MS.
Privilégier du seigle ou du triticale et du sorgho
Le seigle et le triticale apportent les meilleurs rendements en MS (8 à 10 t MS) pour une récolte à la mi-mai. Le blé, l’escourgeon et les légumineuses ont besoin de plus de rayonnement et de température pour la production de biomasse. Quant au potentiel méthanogène, il varie très peu entre les espèces à date de récolte identique (entre 305 à 355 litres de CH4 /kg MS).
Le triticale est moins sujet à la verse que le seigle. Mais il est plus sensible au gel. Des gelées tardives (après stade épi 1 cm) peuvent entraîner des pertes de biomasse. Pour l’escourgeon et le triticale, le choix de la variété se fera sur la résistance aux maladies en premier lieu, puis pour sa production de biomasse.
Pour la C2, le sorgho, dans les essais menés de 2017 à 2019, apportait une meilleure production de biomasse que le maïs (plus de 4 t MS/ha). Ces données ont été obtenues avec un stress hydrique important de mai à juillet et à des températures élevées. D’autres essais du projet confirment cette légère supériorité du sorgho face au maïs, avec respectivement des rendements moyens de 14 et 12 t MS/ha. Pour les deux espèces, les variétés les moins précoces ont des rendements plus élevés.
La différence de potentiel méthanogène est faible entre le sorgho et le maïs : 310 pour le maïs et 300 litres de CH4 /kg MS pour le sorgho. Les essais ne montrent aucune différence entre les variétés de sorgho. Ce dernier nécessite une préparation du sol soignée, très fine, sur un sol bien réchauffé. Il demande plus d’eau que le maïs au démarrage. Mais une fois bien implanté, il résiste mieux au stress hydrique. Il est important d’apporter l’azote dès le semis pour qu’il soit valorisé lors des premières pluies.
Pour le choix variétal, la précocité sera choisie en réalisant un compromis entre le potentiel de production – supérieure avec des variétés plus tardives – et la maturité (taux de MS à atteindre à la récolte pour la conservation). Et ce en adaptant le raisonnement en fonction de la date de semis et du secteur géographique.
Les expérimentations indiquent la nécessite de compenser les exports très importants de P et K. Ils s’élèvent après une double culture entre 65 à 135 unités en phosphore et 255 à 420 unités en potassium. De plus, les essais ont montré que les rendements en blé, implanté après la double culture, décrochaient fortement. Les tassements lors de récoltes peuvent en être une des origines, les ensilages se réalisant parfois en conditions humides.