C’est une étude qui commence à faire du bruit. Des économistes du ministère américain de l’Agriculture prévoient une baisse de 12 % de la production agricole de l’Union européenne (UE) à l’horizon 2030, si elle reste la seule entité économique à appliquer le Green Deal (Pacte vert) dans le monde.
Rappelons que cette politique, qui a pour ambition de faire de l’UE une zone neutre en carbone à l’horizon 2050, est une priorité de la Commission européenne. La PAC doit bien évidemment s’y conformer. Le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, l’a d’ailleurs vertement rappelé fin novembre, ce qui a créé quelque remous au sein du Conseil des ministres de l’Agriculture des Vingt-sept États membres.
Pour résumer, le Green Deal donne des objectifs très ambitieux pour l’agriculture européenne : une réduction des usages de terre de 10 %, des engrais de 20 %, d’antibiotiques vétérinaires de 50 % et de pesticides de 50 %.
Pas d’étude en Europe
Il a donc fallu la publication d’une étude américaine pour que le débat sur l’impact du Green Deal rebondisse. Le fait que la Commission n’ait pas publié ce type d’étude n’est pas bon signe : ou bien il n’y en a pas, ou alors les conclusions sont explosives sur le plan économique. Personne ne le sait ! Des parlementaires français ont demandé des explications, mais la Commission européenne a, pour l’heure, refusé de fournir une étude d’impact de ces stratégies.
« C’est un peu dommage », admet Hervé Guyomard, économiste et directeur scientifique Agriculture à l’Inrae. « Mais il y a encore beaucoup d’inconnues, notamment la déclinaison dans les plans stratégiques nationaux ».
Il faut cependant – comme toujours quand on reçoit une information – regarder qui est l’émetteur. En l’occurrence, c’est un rapport de l’administration américaine qui arrive alors que Joe Biden entend aussi mettre en place un Green Deal… Quel message les économistes américains ont-ils voulu nous envoyer ?
En tout cas, leur conclusion tient en trois mots : des baisses de production importantes, des hausses de prix et un appauvrissement de l’Europe. Les productions les plus affectées seraient les céréales (-48 %), les oléagineux (-60 %), le sucre (-20 %), la viande bovine et porcine.
Pour Hervé Guyomard, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’une réduction des engrais et des surfaces cultivables conduise à des baisses de production. « C’est une étude statique. Après, il faudrait prendre en compte les ajustements de la productivité et aller dans le détail. Que le Green Deal conduise à une certaine désintensification, c’est quand même un peu le but. Et il faudrait mettre en balance l’impact sur le changement climatique », poursuit l’économiste de l’Inrae.
La simulation réalisée par les économistes américains a également porté sur les échanges extérieurs, qui sont pour le moment excédentaires. Dans le scénario où seule l’Union européenne met en œuvre le Green Deal, les exportations reculeraient de 20 %. Nos principaux concurrents agricoles seraient les grands gagnants. Seul le scénario où toute la planète adopterait une telle stratégie pourrait faire gagner 2 % à nos exportations (voir graphique).
Une baisse de revenu pour les agriculteurs
Quant aux revenus des agriculteurs, ceux-ci subiraient une érosion de l’ordre de 16 % si l’UE était la seule zone à appliquer le Green Deal. « Ainsi, les agriculteurs du monde entier bénéficieraient de prix plus élevés et d’une baisse de la production de l’UE, mais les consommateurs de denrées alimentaires paieront des prix plus élevés », souligne l’étude.
La baisse de la production agricole entraînerait un resserrement de l’offre alimentaire dans l’UE, ce qui se traduirait par des hausses de prix qui auraient un impact sur le pouvoir d’achat des ménages européens. C’est ensuite un véritable scénario catastrophe que dressent les économistes américains, puisque la baisse de la production européenne, combinée à la hausse prévue des prix des denrées alimentaires, « réduirait sensiblement le produit intérieur brut (PIB) de l’UE, surtout si l’UE était la seule entité économique à appliquer une politique de Green Deal ».
Il n’y a plus qu’à espérer que le monde entier s’inspire de notre Green Deal pour qu’au moins les agriculteurs européens puissent bénéficier des hausses de prix prévus. Mais vu les résultats de l’étude, ce n’est pas gagné…
Réalisée à la demande du Parlement européen, une étude des experts d’Inrae et d’AgroParisTech a été remise le 23 novembre. Elle fait plusieurs recommandations nécessaires au renforcement des exigences climatiques et environnementales de la future PAC en cohérence avec les objectifs du Green Deal. Parmi elles, il y a le renforcement de la conditionnalité, qui oblige à un respect d’exigences minimales pour bénéficier des aides du premier pilier de la PAC, des éco-régimes ambitieux ciblant prioritairement la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la préservation de la biodiversité, et la sanctuarisation de budgets dédiés aux mesures climatiques et environnementales dans les deux piliers de la PAC. « Les mesures de l’éco-régime doivent viser les biens publics mondiaux, à savoir l’atténuation du changement climatique et la préservation de la biodiversité », estime Hervé Guyomard. L’étude souligne également la nécessité de mettre en place des mécanismes d’ajustement aux frontières de l’Union permettant d’imposer des exigences climatiques et environnementales équivalentes aux producteurs non européens.