La sélection de la betterave à sucre commence à s’inspirer des méthodes utilisées par le secteur animal. Deux nouveaux champs d’action se sont ouverts ces dernières années pour des secteurs qui étaient jusque-là très cloisonnés : la génomique prédictive et la sélection des écosystèmes composés de micro-organismes, appelés aussi holobionte (un terme pour désigner un supra-organisme composé par un animal ou une plante et les micro-organismes qu’il héberge).
Lors d’un débat organisé par l’Association française des journalistes agricoles (AFJA), Bruno Desprez, président de Florimond Desprez Veuve & Fils et Christophe Audebert, directeur scientifique chez Gènes Diffusion, ont fait le parallèle entre la sélection génomique végétale et animale.
Conceptualisée en 2001, la sélection génomique a pu se développer réellement 10 ans plus tard, quand les puces à ADN ont été mises au point et que les génomes des bovins, puis de la betterave, ont été complètement séquencés. La sélection génomique est utilisée depuis 2012 pour les animaux. La première plante à avoir bénéficié de cette technique est le maïs en 2014. La betterave a suivi en 2018 au cours du programme Aker.
Prédire la valeur d’un taureau dès sa naissance
« La sélection génomique est une méthode de sélection qui est maintenant largement pratiquée en sélection bovine », explique Christophe Audebert. Jusqu’au début des années 2010, le contrôle des géniteurs bovins se faisait uniquement sur l’évaluation de leurs descendances, il fallait donc attendre au moins cinq ans. Aujourd’hui, la sélection génomique permet, grâce au génotypage des taureaux dès leur naissance, de prédire le rendement en lait de leur descendance avec une précision de l’ordre de 90 %. En revanche, les caractéristiques liées à la santé des animaux sont moins héritables.
« On achète des paillettes issues de taureaux qui se sont jamais reproduits », révèle Christophe Audebert. Cela permet d’élargir la gamme d’animaux reproducteurs. Certains prédisent même la fin des taureaux « stars » des salons agricoles !
La société Gènes Diffusion fait de la sélection que l’on peut qualifier de « participative » où l’éleveur est un véritable acteur dans la définition de son index : il peut par exemple donner un poids plus important à un certain caractère, comme la sensibilité à la mammite. « C’est comme si le betteravier pouvait commander une variété taillée sur mesure », constate Bruno Desprez.
Gain de temps
Le programme Aker a adapté la sélection génomique prédictive utilisée dans le secteur bovin lait et l’a transposée à la sélection de la betterave sucrière. Le but est d’éviter de tester des milliers de plantes au champ. L’intérêt de cette méthode réside dans le gain de temps qu’elle offre dans la sélection, ainsi que dans l’augmentation de la précision.
La sélection génomique utilise les données génétiques de l’ensemble du génome pour prédire les performances des individus. Ils peuvent donc être sélectionnés sur cette prédiction uniquement. « Cette méthode permet de prédire les caractères polygéniques, gouvernés par de nombreuses régions à effets faibles », explique Bruno Desprez. Elle permet également de sélectionner des plantes sans que les résultats soient biaisés par les effets environnementaux, en se concentrant uniquement sur la génétique, ce qui permet d’augmenter la précision de sélection. « Celle-ci varie par exemple de 70 % pour le rendement racinaire à 90 % pour la richesse en sucre », indique Bruno Desprez.
Supra-organismes
Un nouvel axe de recherche se fait jour actuellement : la prise en compte du microbiote. À son sujet, on parle parfois de deuxième génome remplissant des fonctions importantes de protection contre différentes agressions.
« La capacité des bovins à ruminer dépend des micro-organismes qu’ils hébergent », explique Christophe Audebert. « Certes, le microbiote dépend de l’environnement et de l’alimentation, mais aussi du génome de l’animal. C’est un des leviers pour améliorer la production laitière. Quand on sélectionne un fond génétique, on sélectionne également le microbiote du rumen ».
Dans le monde végétal, cette révolution n’a pas vraiment commencé, mais l’importance du microbiote tellurique a un rôle non négligeable. « La plante va influencer le microbiote présent dans le sol. Il est aussi possible de le modifier par l’enrobage des semences. On peut imaginer sélectionner l’holobionte, c’est-à-dire le génome de la plante et celui des microbiotes qui l’entourent », s’enthousiasme Bruno Desprez.
Une révolution est en marche…
