Bonne nouvelle : les gènes de résistance contre la jaunisse existent ! Les introduire dans les variétés commerciales n’est qu’une question de temps. Le délai donné par le gouvernement est court, mais tous les semenciers interrogés par le Betteravier français promettent des résultats d’ici 3 ans. Pour la période 2020-2024, le directeur général de SESVanderHave France prévoit des variétés dotées de tolérances moyennes. « Nous avons les gènes de résistance, tout l’enjeu est de les introduire dans le matériel élite et de voir s’ils correspondent bien aux différents virus », explique Bruno Dequiedt. « Nous apporterons des réponses d’ici 3 ans, mais ce ne sera pas la solution complète. Il nous restera un ou deux ans pour avoir des niveaux de productivité satisfaisants », ajoute Rémi Henguelle, directeur marketing de Florimond Desprez.
C’est donc une véritable course contre la montre qui commence. Cette course a débuté en juillet dernier, suite aux annonces du ministre de l’Agriculture. Elle s’est poursuivie avec le vote de la loi autorisant le retour des néonicotinoïdes en enrobage de semences de betteraves et la mise en place du plan de recherche ; puis viendront la préparation des enrobages de semences et la mise au point du futur protocole pour inscrire les variétés au catalogue. Comme pour le vaccin contre la Covid-19, il va falloir être innovant. Innovant dans la recherche, mais aussi dans la stratégie à mettre en œuvre. La filière veut mutualiser les efforts pour être plus efficace : tous les semenciers vont apporter leur contribution dans le cadre du Plan national de recherche et innovation (PNRI), piloté par l’Inrae et l’ITB. Il y aura peut-être des travaux en commun; d’intenses discussions étaient en cours mi-novembre.
Mutualisation des travaux
« Le PNRI est en cours de finalisation », confirme Vincent Laudinat, directeur général de l’ITB. Doté par l’État de 7 M€, ce programme de trois ans a été conçu en parallèle de la dérogation pour l’utilisation des néonicotinoïdes. « Il y a actuellement un appel d’offres très ouvert, car l’idée est de chercher toutes les solutions possibles. Le programme doit fédérer les efforts de tous les acteurs qui souhaitent construire ensemble un programme pour trouver des solutions en 2024 », déclare Vincent Laudinat.
Une des questions concerne l’articulation du PNRI avec le programme Modefy qui a été lancé par Deleplanque en octobre 2019, avec l’Inrae et l’ITB. Ce projet est notamment soutenu par la région Île-de-France, qui a voté une subvention de 1,3 M€ le 18 novembre dernier. « Notre programme Modefy mettra en place toutes les coordinations possibles avec le PNRI », assure le président de Deleplanque, Eric Verjux.
Tous les semenciers assurent qu’ils sont prêts à travailler ensemble sur la jaunisse. « La génétique sera sans doute le moyen le plus rapide pour répondre au problème. On a donc intérêt à mettre le paquet et je suis convaincu que ce sera plus facile d’y arriver à plusieurs que seul », ajoute Patrick Mariotte, directeur général de KWS France.
Résister à un cocktail de virus
Les semenciers ont réactivé les travaux réalisés dans les années quatre-vingt-dix quand les néonicotinoïdes n’existaient pas. Reste à tester la résistance de leurs gènes sur les différents virus, qui ne sont pas tous présents selon les années. L’année dernière c’était le BChV qui était le plus présent. Cette année c’est le BYV, le plus virulent. Et l’année prochaine ? « C’est une maladie très compliquée, avec deux vecteurs et cinq virus différents répartis dans trois familles », explique Bruno Dequiedt. « Le virus de la mosaïque a par exemple été une surprise cette année », pointe Hubert Loiseaux, chef produit betteraves chez Florimond Desprez.
Et Frédéric Cannaert, responsable du développement de Maribo d’ajouter : « nous sélectionnons les virus individuellement, mais les futures variétés devront résister à un cocktail de virus. Cela implique de trouver des sources de résistance multiples ».
Les futures variétés devront bien sûr conserver leurs gènes de résistance aux autres maladies, en premier lieu la cercosporiose, les nématodes et la forte pression de rhizomanie… Une gageure !
Des variétés tirent leur épingle du jeu en 2020
Cette année, avec une forte pression de jaunisse, les semenciers ont déjà pu identifier des variétés qui se comportent mieux que les autres, même si elles n’ont pas été spécifiquement sélectionnées. « On a clairement vu des différences dans des essais au sud de Paris malgré le stress hydrique et la FPR. Il y a des variétés qui sortent à 75 t/ha, contre 30 à 40 t/ha », remarque Maxime Bouton, directeur commercial de Deleplanque.
« Dans nos essais, le feuillage de certains hybrides semble moins touché par la jaunisse », note également Benoît Rose, directeur commercial Europe de Betaseed. Maintenant, il faut voir la corrélation avec le rendement, car on a découvert cette année que des betteraves avec des feuilles vertes sont aussi touchées.
Des dépôts au CTPS en 2021
Jusqu’à cette année, seuls deux semenciers – KWS et SESVanderHave – ont déposé des variétés dans le réseau des tests officiels, en vue d’une éventuelle inscription au catalogue français.
KWS a déposé une variété tolérante à la jaunisse en 2019. Elle est passée en 2e année de test. « En milieu non infesté, cette variété a un rendement inférieur de 10 % par rapport au témoin. Nous en avons déposé une autre en janvier 2020 », indique Patrick Mariotte.
SESVanderHave en a déposé une au Comité Technique Permanent de la Sélection des plantes cultivées (CTPS) il y a deux ans, et une l’année dernière. Potentiellement, les variétés déposées en 2019 pourraient être inscrites en janvier prochain.
Plusieurs autres semenciers vont leur emboîter le pas : « Nous déposerons sans doute une variété au CTPS en janvier prochain », glisse Laurent Boisroux, directeur de la division betterave chez Delepanque. « Nous avons l’intention de déposer en 2021 au moins une variété », assure de son côté Hubert Loiseaux de chez Florimond Desprez.
Un autre défi à plus court terme est tout aussi complexe à relever : enrober en quelques semaines 500 000 unités de semences ! Habituellement cette opération débute mi-novembre. « Nous avons décalé les plannings pour récupérer un créneau après le 15 décembre. Enrober les semences du marché français prend de 8 à 10 semaines », déclare Bruno Dequiedt. Et Eric Dubert de Maribo ajoute : « il faut gérer cette incertitude, changer les plannings des usines en fonction des marchés par pays à traiter, louer du stockage… ». Le recours déposé au Conseil constitutionnel fait encore monter la pression. La loi sera-t-elle promulguée dans les temps ? Les semenciers attendent les décrets d’application avant de donner le « go » pour enrober toutes les semences pour la fin février.
Le calendrier est très serré, mais quand les semences résistantes seront mises en terre en mars 2024, on pourra dire que le jeu en valait la chandelle.
KWS reprend le leadership du marché français de la semence de betterave. L’année dernière, il était au coude à coude avec son principal concurrent SESVanderHave, la filiale du semencier français Florimond Desprez. Les deux semenciers se disputent la première place sur le marché français depuis une dizaine d’années. Si l’on raisonne en termes de pool génétique, Florimond Desprez – SESVanderHave reste cependant numéro un en France devant KWS – Betaseed.
Le Français Deleplanque (propriétaire du semencier allemand Strube) et Maribo (filiale du semencier coopératif danois DLF Seeds) restent stables.
Le marché français pèse 503 000 unités et a diminué de 7 % en 2020.