Avez-vous été surpris par l’ampleur des attaques de jaunisse ?
Surpris, le mot est faible…. Abasourdi, consterné, impuissant devant l’explosion des populations de pucerons verts au printemps. Contrairement à 2019, les deux produits insecticides utilisés n’ont pas permis un contrôle suffisant des pucerons, arrivés par vagues successives, provoquant ainsi une pression trop forte. La surprise vient du fait que les régions les plus touchées en 2020 ne sont pas celles qui étaient concernées d’habitude par la Jaunisse virale : Plus nous nous éloignons de la Manche, et pire c’est ! Globalement, la gravité des pertes semble proportionnelle à la date d’apparition des symptômes, qui se sont étalés de fin mai à mi-septembre selon les régions. Les délégués régionaux de l’ITB ont mesuré et publié chaque mois deux critères par département : le pourcentage de surface touchée par la jaunisse et le pourcentage de pertes dû à la seule jaunisse dans cette zone touchée. Ce qui permettait de faire des prévisions moyennes de production, pour préparer la campagne betteravière. Malheureusement, les premiers résultats sont inférieurs à ceux attendus, en-dessous du scénario le plus pessimiste. Et dans les parcelles touchées à 100 % par la jaunisse virale, nous ne constatons pas de prise de rendement, ou si peu, depuis plusieurs semaines. La virose a créé une véritable perturbation métabolique dans la plante, bloquant la croissance ; personne n’avait de référence sur les conséquences d’un tel niveau de pression. 2020 restera techniquement une année noire pour la betterave française. Pour autant, sur le plan de la recherche, 2020 sera un laboratoire utile pour mieux analyser les quatre viroses identifiées, prévoir demain l’impact en cas d’infections multiples et identifier pourquoi un tel blocage de croissance ; tout cela servira à nourrir nos travaux de recherche et d’innovation des trois prochaines années sur le sujet.
Que vous inspire le vote de la loi sur les néonicotinoïdes ? Pensez-vous qu’une telle loi puisse faire jurisprudence, notamment quand une production agricole se retrouve face à des impasses techniques ?
Depuis l’arrivée des pucerons, notre filière a un objectif prioritaire en tête : assurer sa pérennité ! Pour cela, nous avons identifié trois leviers : trouver des solutions efficaces rapidement, avoir une alternative en attendant ces solutions, et ne pas laisser des planteurs repartir en 2021 avec un handicap financier insurmontable. La seule alternative possible était une dérogation d’utilisation des néonicotinoïdes. À cette situation exceptionnelle, une réponse rapide était nécessaire pour protéger l’avenir de la filière betterave sucre, et le gouvernement l’a prise. Je salue le courage politique du ministre Julien Denormandie d’avoir présenté un tel projet de Loi, et l’intelligence collective des parlementaires de l’avoir suivi majoritairement. Oui, nous étions dans une impasse technique avérée, et oui cette loi répond conjoncturellement au problème soulevé. Mais plutôt que de parler de possible jurisprudence, un verbatim qui intéresse d’abord les juristes, je préfère me placer sous l’angle de « Pas d’interdictions sans solutions » ; c’est ce que propose notre filière dans son plan stratégique déposé il y a près d’un an, et ce que l’ITB soutient au sein du « Contrat de solutions », une instance portée par l’ensemble du monde agricole qui prétend ne pas opposer économie et écologie.
Et que pensez-vous de l’instauration d’un Conseil de surveillance, chargé d’encadrer les dérogations : voyez-vous cela comme une opportunité ou une contrainte ?
La création d’un Conseil de surveillance, dans le cadre de ce projet de loi, m’apparaît comme la légitime contrepartie à notre demande d’instaurer l’octroi d’une dérogation aux néonicotinoïdes. Je peux comprendre l’envie de ministres et de parlementaires de vouloir surveiller et contrôler les activités de notre filière, à la fois dans la mise en place de notre Plan de prévention pour diminuer les risques d’impact de cette dérogation, et dans le déploiement de notre Plan de recherche et d’innovation pour trouver des alternatives, car ils y consacrent des fonds publics. L’ITB y sera présent pour répondre de l’avancement des travaux et de la bonne utilisation de ces fonds.
Les semenciers auront-ils le temps d’enrober leurs semences avec des néonicotinoïdes ? Quel produit sera utilisé et à quelle dose ?
Les semenciers font partie intégrante de la filière et, comme nous tous, ils se sont préparés à une possible dérogation aux néonicotinoïdes. Le calendrier espéré est la parution d’un décret puis d’un arrêté gouvernemental dans la première quinzaine de décembre, pour permettre un accord de dérogation dans la foulée. Si c’est le cas, alors oui les semenciers seront prêts pour enrober leurs semences avec l’une ou l’autre des deux matières actives utilisables, l’imidaclopride de Bayer ou le thiaméthoxame de Syngenta.
Concernant la dose, la filière a proposé dans son plan de prévention de réduire les risques d’impact en diminuant la dose de 25 % à l’hectare. Que les planteurs se rassurent, cela sera suffisant pour couvrir la période sensible de la plante au risque de contamination par les pucerons verts. L’inconvénient majeur de cette décision est de pouvoir favoriser l’apparition plus rapide de résistance des pucerons à cette famille d’insecticides, ce qui est sans conséquences notables au regard du faible nombre d’années d’utilisation encore possible des néonicotinoïdes.
L’Inrae et l’ITB ont lancé un vaste plan de recherche. Pensez-vous qu’il y aura une vraie solution d’ici trois ans ?
Le Plan national de recherche et d’innovation (PNRI) sera effectivement copiloté par l’Inrae et l’ITB pour trouver des solutions alternatives aux néonicotinoïdes à l’horizon 2024. Nous n’imaginons pas trouver LA solution miracle, mais plutôt promouvoir une combinaison de leviers pour se prémunir d’une pression comparable à celle de l’année 2020. La génétique est une solution majeure et nous fondons de grands espoirs en elle pour apporter des réponses très concrètes aux planteurs. Mais elle ne serait pas suffisante pour apporter une réponse unique et durable, car l’expérience a démontré que la résistance végétale était rapidement contournée en cas de pression trop forte, comme celle de l’année 2020. Il nous faut donc compter sur l’agronomie, le monitoring et l’agroécologie pour trouver d’autres solutions qui seront complémentaires, en diminuant la pression des bioagresseurs. Par exemple :Nous amplifierons les essais d’aphicides, de produits de biocontrôle, et de stimulateurs de défense ; Nous expérimenterons des plantes répulsives, avant la betterave ou pendant la betterave, pour limiter ou contrôler les pucerons ; Nous identifierons les auxiliaires utiles et nous les rendrons efficients en leur fournissant gîte et couvert pendant douze mois par an ; Nous expérimenterons la meilleure mosaïque paysagère pour contrôler pucerons, viroses et auxiliaires, tout en restant compatible avec un modèle économique durable.
Je ne suis pas devin, donc je ne vous promettrai pas que nous aurons de vraies solutions à l’horizon 2024. Je peux juste m’engager à vous donner la réponse dans trois ans. En revanche, je me remémore souvent Mark Twain quand je rencontre une difficulté majeure. Twain disait : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » ; cela vaut le coup d’essayer, non ?
Et puis cette association d’une recherche privée et publique, nous l’avons déjà réussie avec le projet génétique Aker. Pourquoi ne réussirions-nous pas avec un projet anti-jaunisse ?
L’ITB a-t-il vu son budget augmenter en conséquence ?
Oui, un budget complémentaire est venu s’additionner au budget classique annuel de l’Institut. Le Gouvernement s’est engagé à aider la recherche au sein du PNRI, et je l’en remercie au nom de la Filière, en affectant un montant de 7 millions d’euros sur la durée du plan (trois années). L’ITB bénéficiera de la moitié de cette somme pour embaucher de nouveaux collaborateurs dédiés à cette recherche d’alternatives et pour financer les travaux ad hoc ; cela représente une majoration d’environ 20 % de son budget annuel, permettant d’amplifier les travaux déjà entrepris à cette fin depuis 2016.
Avez-vous noté des différences sur la tolérance à la jaunisse parmi les variétés que l’ITB a testées cette année ?
Sur les 84 variétés testées cette année, nous avons pu constater des différences de phénotypes pendant la croissance, et certaines plantes semblaient moins atteintes que d’autres dans l’expression des symptômes de jaunisse virale, où l’apparition se faisait plus tardivement. Les essais sont maintenant récoltés et l’analyse des résultats montre malheureusement qu’il n’y a pas eu de résistance suffisante à la jaunisse. Il est probable que la sécheresse a également contribué à empêcher cette résistance de s’exprimer correctement, ce qui n’a rien arrangé. Pour autant, le monitoring de toutes ces variétés vient déjà nourrir la recherche à venir, en ciblant celles qui ont décroché les dernières, dans le but d’y trouver les allèles ou les gènes porteurs d’une certaine résistance.
Y a-t-il d’ores et déjà des variétés prometteuses dans les tests CTPS (1) ?
Peut-être oui, mais la pression a été trop forte en 2020 pour que des différences avec les témoins puissent s’exprimer. Une variété est en seconde année d’expérimentation, et trois autres sont inscrites en première année. Toutes étaient touchées par la jaunisse, et les résultats ne sont pas satisfaisants. Mais je salue la démarche des semenciers qui les ont présentées, car cela contribue à accélérer la découverte de ces gènes de résistance, ce Graal que toute la filière convoite.
Le Green Deal de l’UE ne ferme pas la porte aux NBT, Julien Denormandie a déclaré cet été qu’il n’y était pas opposé… Y a-t-il un vent favorable aux New Breeding Techniques (NBT) ?
Comme tout le monde, j’entends des signaux positifs de communication sur le dossier des « Nouvelles Techniques de Recherche » ; mais à ce jour, la réglementation interdit en Europe toute recherche utilisant des NBT, et les planètes ne sont donc pas encore en voie de pouvoir s’aligner. Cette situation pourrait changer après le 30 avril 2021, selon la réponse de la Commission Européenne au questionnement de la Cour de Justice Européenne, et j’y suis personnellement très favorable. Les NBT sont effectivement des outils très intéressants à utiliser en recherche car ils permettent d’accélérer la sélection génétique ; ces outils servent à gagner du temps, et c’est ce critère qui est prioritaire au sein de notre PNRI. Alors oui, ces techniques seraient très intéressantes pour résoudre le problème des jaunisses virales, et pas seulement.
(1) Les tests du Comité technique permanent de la sélection (CTPS) durent deux ans avant une éventuelle inscription des variétés au catalogue français.