Au terme d’une semaine décisive fin octobre, on commence à y voir un peu plus clair sur les grandes orientations de la prochaine politique agricole commune, qui pourrait entrer en application au 1er janvier 2023. Deux ans et demi après les premières propositions de la Commission européenne, les vingt-sept États membres et le Parlement européen en ont tracé les grands axes. On se dirige donc vers une PAC “plus verte”, en phase avec la politique générale de l’UE en matière environnementale et climatique : le fameux Green Deal.
Cet exercice a pu enfin être réalisé, suite à l’accord sur le cadre financier pluriannuel de cet été, qui a fixé une enveloppe pour le premier poste de dépense de l’UE, à hauteur de 387 milliards d’euros pour la période 2021-2027 (soit une baisse de 40 milliards en euros constants par rapport au budget 2013-2020).
Une PAC plus verte
Le plus grand succès du couple franco-allemand durant cette négociation, conclue dans la nuit du 20 au 21 octobre, est d’avoir fait inscrire dans le règlement l’obligation, pour chaque État-membre, d’affecter au moins 20 % des aides directes du premier pilier à des éco-régimes (ou eco-schemes en anglais). Plusieurs pays craignaient de ne pas réussir à emmener leurs agriculteurs sur ces programmes et de perdre des aides. Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, s’est félicité que les mesures environnementales soient obligatoires pour tous les États membres, permettant ainsi d’éviter toute distorsion de concurrence. « C’était une demande forte de la France », a déclaré le ministre français à la sortie du Conseil européen. Julien Denormandie s’est aussi réjoui de la reconnaissance de la transparence pour les Gaec (une forme sociétaire spécifique à la France), de la possibilité de soutenir les protéines végétales via les aides couplées et de la reconnaissance du “droit à l’erreur”. Le ministère de l’Agriculture souligne également que « le compromis obtenu par la présidence allemande prévoit la possibilité de créer des programmes sectoriels permettant de structurer l’action des organisations de producteurs et coopératives pour la plupart des filières agricoles ».
De son côté, la FNSEA constate avec satisfaction que l’accord prend en compte « la dimension économique et productive de l’activité agricole, aux côtés d’une réelle ambition pour l’environnement ». Les vingt-sept ministres de l’Agriculture et les parlementaires ont su conserver le caractère de la PAC, en particulier à travers un éco-régime obligatoire et l’application d’une conditionnalité des aides uniforme dans les États membres.
30 % d’éco-régimes pour le Parlement
Concernant les éco-régimes, le Parlement européen va un peu plus loin que le Conseil, puisqu’il propose qu’au moins 30 % du budget des paiements directs soit consacré à des programmes écologiques favorisant la lutte contre le réchauffement climatique. Les agriculteurs seront libres d’y souscrire ou pas, mais faire l’impasse sur les éco-régimes reviendra, de facto, à une baisse des aides directes. Les mesures volontaires, qui étaient l’apanage du deuxième pilier (politique de développement rural), vont désormais représenter une part importante du premier pilier. Les aides directes, qui assurent un revenu pour la moitié des exploitations, seront donc davantage liées à des mesures environnementales dans la prochaine PAC.
Le deuxième pilier devient, lui aussi, plus vert, puisque le Parlement européen a renforcé les pratiques obligatoires en faveur du climat et de l’environnement. En outre, les députés veulent allouer au moins 35 % du budget (contre 30 % actuellement) du développement rural à des mesures liées à l’environnement et au climat.
Les trilogues devraient aboutir au printemps 2021
Alors, 20 % ou 30 % d’éco-régimes ? Les négociations vont désormais se dérouler dans le cadre de trilogues, durant lesquels les trois parties – Commission, Conseil et Parlement – vont tenter de rapprocher leurs positions pour déboucher, au printemps 2021, sur un compromis, qui actera définitivement les contours de la prochaine PAC.
« Les trilogues, qui débuteront fin novembre, devraient arbitrer entre la position très flexible du Conseil et celle du Parlement, analyse Yves Madre, président du think-tank Farm Europe. Le Parlement a cherché à remettre une base commune à la PAC, et à trouver un équilibre entre économie et environnement. C’est très différent de la position du Conseil, qui a poussé très loin la flexibilité et laisse une grande liberté aux États membres. Dans ces trilogues, je pense que la Commission sera plus proche du Parlement que du Conseil. »
Parallèlement, les gouvernements nationaux devraient élaborer leur plan national stratégique (PNS), pour préciser la manière dont ils envisagent de mettre en œuvre les objectifs de l’Union européenne sur le terrain. Le PSN français n’est pas encore défini, il sera élaboré d’ici le printemps prochain. Julien Denormandie s’est engagé à le bâtir en concertation avec les chambres d’agriculture, les syndicats agricoles et les citoyens. Afin d’éviter des stratégies nationales trop divergentes, la France et plusieurs autres États membres souhaitent que les PSN soient présentés et discutés au niveau du Conseil, et pas seulement devant la Commission comme c’est actuellement prévu.
« Les États membres écriront comment ils vont dépenser l’argent des premier et deuxième piliers, avec le risque d’avoir vingt-sept politiques différentes », met en garde Yves Madre. Le risque d’une renationalisation de la PAC n’est donc pas encore totalement écarté.
Une gestion des risques renforcée
La nouvelle PAC souhaite améliorer la gestion des risques, dans un contexte de marché volatil, et faire face aux crises, grâce à une réserve très peu utilisée jusqu’alors.
« Dans la droite ligne de l’Omnibus de 2017 et du règlement de transition de 2020, le Parlement européen a abaissé le passage des taux de déclenchement de tous les outils de gestion des risques de 30 % à 20 % de pertes. En outre, la moyenne olympique a été allongée, en introduisant un mode alternatif de calcul : 4 ans au lieu de 3 ans, ou 8 ans au lieu de 5 ans, avec l’exclusion de la meilleure et de la pire année », explique Anne Sander, députée européenne (Parti populaire européen).
Enfin, il est prévu que la réserve de crise, dotée d’un minimum de 400 millions d’euros par an pouvant monter jusqu’à 1,5 milliard d’euros, puisse être activée en cas de problème de refinancement des instruments de stabilisation des revenus (ISR), si les crises ou les risques auxquels ils font face ne leur permettent pas de se refinancer ou de se réassurer sur le marché.
Les eurodéputés confortent le paiement de base
Les eurodéputés ont conforté les paiements directs, puisque 60 % au moins des fonds du premier pilier devront être affectés aux aides au revenu de base, avec le paiement redistributif (minimum 6 % au niveau européen, contre 10 % en France) et les paiements couplés.
Les députés ont voté pour réduire progressivement les paiements directs annuels aux agriculteurs au-dessus de 60 000 euros et pour les plafonner à 100 000 euros.
Les anciennes pratiques de verdissement (5 % de SIE, rotation des cultures, prairies) conditionneront désormais 100 % des paiements directs.
La principale nouveauté est la mise en place des éco-régimes, que les députés proposent de porter à 30 % des paiements directs. Ils devront être consacrés à des mesures allant au-delà de la conditionnalité et des pratiques de verdissement de 2013, notamment en termes de réduction des intrants ou d’actions pour le climat.
Enfin, 3 % des paiements directs (225 millions d’euros par an) pourront être dédiés à des nouveaux programmes opérationnels centrés autour des organisations de producteurs (OP). Ces dernières pourront être mises en place pour accompagner le développement économique des exploitations, mettre en commun des actions comme l’investissement, la gestion des risques ou encore la mise sur le marché.
Si les États vont devoir consacrer 20 % des aides aux éco-régimes, ceux-ci pèseront davantage dans le cas des exploitations de grandes cultures. Un petit calcul pour une exploitation recevant actuellement 200 € d’aides montre qu’elle ne touchera plus que 171 € dans le cadre de la future PAC, dont 64 € d’éco-régimes qu’il faudra aller chercher parmi une liste de mesures que chaque pays établira suivant ses priorités en matière de climat et d’environnement. « Les États seront libres de désigner leurs propres instruments en fonction de leurs besoins », précise le Conseil des ministres dans un communiqué. Le risque est celui d’une renationalisation de la PAC et d’importantes distorsions entre les États membres.
Quelles mesures pourraient être éligibles aux éco-régimes ? La Commission a présenté une liste de mesures indicatives, qui s’inscrivent dans quatre grands chapitres : l’agroforesterie, l’agroécologie, l’agriculture de précision et l’agriculture carbonée.
Concernant l’agroécologie, il pourrait s’agir, par exemple, de l’agriculture biologique, de l’augmentation de la rotation des cultures, des jachères, d’un niveau plus élevé de surfaces d’intérêt écologique ou encore d’un niveau de pâturages faible ou modéré. L’agriculture de précision aurait pour but de mettre en place des plans de gestion des nutriments. L’agriculture carbonée favoriserait, elle, la couverture végétale des sols et la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Les agriculteurs devront donc trouver des pratiques compatibles avec la culture de la betterave afin d’atteindre les objectifs fixés par les éco-régimes.
« Il faut rendre ces éco-régimes suffisamment accessibles aux agriculteurs pour qu’on puisse les accompagner. Ce sera la mission des chambres d’agriculture, du conseil agricole et des directions départementales des territoires de les accompagner pour qu’ils puissent émarger à ces financements », estime l’eurodéputée Anne Sander.