En 2018, la coopérative de Vecquemont, localisée à 12 km à l’est d’Amiens, recherche des producteurs supplémentaires de pommes de terre fécule. Les Rouyère n’hésitent pas. Jérôme, son BTS agricole en poche, prépare son installation sur la ferme familiale. Jean-Michel, son père, 47 ans, souhaite une nouvelle tête d’assolement. Leur exploitation de 220 ha à Crèvecœur-le-Grand, dans l’Oise, est déjà bien diversifiée. « Je voulais diminuer les surfaces de féverole, explique Jean-Michel. De plus, vu le contexte de la filière betterave, les problèmes avec Saint Louis Sucre et l’organisation des producteurs, nous avons réduit notre sole betteravière. Nous n’avons gardé que les 10 ha, livrés à Chevrières (Tereos) en 2020. »
Maîtriser les charges de matériel
Le père et le fils s’imposent deux critères de réussite. D’une part, la maîtrise de la tare-terre, d’autre part, celle des charges de mécanisation. Ils limitent leur sole de pommes de terre aux parcelles sans cailloux, ni argile, soit 50 ha. Avec un retour de cette production une année sur six, ils se lancent donc avec 8 ha. Afin de baisser les coûts de mécanisation, ils mènent leur réflexion avec trois collègues. Un voisin commençant la culture de la fécule, un producteur souhaitant passer de la prestation de service à du matériel en commun et un agriculteur bio développant la pomme de terre de consommation. Le quatuor totalise 40 ha de pommes de terre.
« Notre choix a été d’investir dans du matériel d’occasion et de l’amortir en trois ans, dévoile Jean-Michel. Soit la durée de contractualisation avec la coopérative de Vecquemont. Si les résultats technico-économiques s’avèrent satisfaisants, nous continuerons. Dans le cas contraire, nous aurons soldé les investissements pour cette culture. » Un raisonnement prudent et gagnant.
Les quatre exploitations acquièrent une planteuse en quatre rangs et butte définitive, un modèle d’occasion de 5 ans (21 500 €), un broyeur de fanes quatre rangs neuf (10 000 €) et une arracheuse deux rangs de 1996, choisie pour sa capacité de nettoyage avec ses quatre tapis (8 500 €). Avec 40 000 €, les charges se limitent à 1 000 €/ha, soit 333 €/ha/an pendant trois ans. « Avec ce montant, nous nous situons en dessous des charges de prestation plantation-arrachage et nous maîtrisons les dates d’intervention », estime Jérôme.
La technique culturale de la pomme de terre fécule ressemble à celle utilisée pour la betterave. Après une fertilisation de fond – un apport en azote (150 u/ha car, en terre vierge, l’apport est inférieur de 50 unités) –, ils plantent durant la première quinzaine d’avril. Ils effectuent un passage au vibroculteur, suivi par deux passages à la herse rotative, dont un plus profond (25 cm) avec des dents adaptées à la culture de la pomme de terre. « À 3 km/h, nous préparons 60 ares/h. Puis nous plantons 1,5 ha/h, avec une densité de 33 000 pieds/ha et un écartement de 90 cm. Tous nos tracteurs sont en voie de 1,80 m », précise Jean-Michel.
Le désherbage se résume à une seule intervention en pré-levée avec un mélange de quatre spécialités. Les insecticides se réduisent à un passage en juin, si nécessaire. Reste la protection fongicide. En 2019, les Rouyère père et fils ont réalisé huit fongicides, mais la protection peut nécessiter jusqu’à quinze interventions. Et la campagne 2020 a débuté avec peu de pression maladie. « Nous sommes abonnés à Mileos, détaille Jérôme. Des alertes SMS nous avertissent des contaminations mildiou. Nous avons aussi investi dans une station météo, avec un abonnement donnant accès aux données météo de toutes les stations. »
Déterrer soi-même ou pas
Le broyage des fanes s’effectue dix jours avant la récolte (1 ha/h). Les arrachages s’étalent de début septembre jusqu’à début novembre. Enfin, les enlèvements s’échelonnent jusqu’en janvier, comme en betteraves. La coopérative offre le choix d’un déterrage des pommes de terre au champ organisé par ses soins ou d’un déterrage opéré par l’agriculteur. Les Rouyère ont testé la deuxième solution, en investissant avec un voisin dans un déterreur d’occasion et des sauterelles (10 800 €). « En passant de 10 % de tare-terre à moins de 5 %, nous gagnons 6 €/t, ce qui est significatif », calcule Jean-Michel. Mais cet objectif demande des efforts d’organisation et d’investissement. En 2019, trois personnes triaient manuellement les cailloux et les fanes, à raison de 50 ares/h. Pour limiter cette main-d’œuvre, les deux agriculteurs ont acheté un épierreur et une sauterelle (8 000 € d’occasion). « En fécule, les pénalités pour présence de cailloux sont très importantes », insiste Jérôme, fier d’avoir obtenu une tare-cailloux de 0 % et une tare-terre de 5 % l’année dernière. En comparaison, leur voisin parvenait à 10 % avec le déterrage au champ, dans les mêmes conditions.
En 2019, leur bonus déterrage atteint 450 €/ha. Il se rajoute à la marge brute fécule de 1 690 €/ha, l’une des meilleures de leur exploitation. Pourtant, suite à la sécheresse, le rendement (46 t/ha ramené à 17 de densité) a été inférieur à l’objectif visé de 50 t/ha. Cette année, le manque d’eau va encore le plomber. Mais ni le père, ni le fils ne regrettent le choix de la pomme de terre fécule.