Dans la famille Doutreleau, il y a le père, Francis, agriculteur à la retraite et président de la chambre d’agriculture de Seine-Maritime dans les années 1990, les fils, agriculteurs, et les petits-fils, qui s’apprêtent à le devenir. Les générations se suivent et se ressemblent. La terre, c’est leur vie. En 1995, les trois frères prennent la suite de leur père à Thiétreville au cœur du pays de Caux, s’agrandissent et se diversifient. À François, l’ingénieur agricole, les vaches laitières ; à Étienne, les cultures de céréales, de lin et de betteraves sucrières, et à Olivier, les pommes de terre. En 2003, ils créent Normapom Négoce (contraction de « Normandie » et de « pommes de terre » à Ypreville-Biville. Spécialisée dans le négoce et le conditionnement de pommes de terre, la société réalise actuellement 95 % de son chiffre d’affaires (8 M€ en 2018) à l’exportation. La SCEA Doutreleau cultive 100 hectares de pommes de terre auxquels s’ajoutent 90 hectares en contrat avec des agriculteurs, et les vend à Normapom Négoce. Au total, la société commercialise quelque 35 000 tonnes de pommes de terre de variétés différentes : Orchestra, Surya, Manitou, Mélodie, Belana, Caesar, des pommes de terre polyvalentes et fritables, essentiellement sur le marché du frais, des tubercules vendus en l’état, lavés ou non et calibrés.
Courtier en Espagne
« Normapom Négoce a été créée d’abord pour vendre nos pommes de terre, mais rapidement des producteurs voisins dans un rayon de 15 km sont venus vers nous pour vendre leur production », explique Olivier Doutreleau qui, au début, travaillait avec des courtiers. Pas satisfait, l’agriculteur décide alors de faire lui-même le courtier et part faire du porte-à-porte en Espagne pour rencontrer les grossistes des marchés d’intérêt national (MIN) de Barcelone et d’Alicante, non sans avoir entre-temps appris la langue de Cervantes pour être plus convaincant. Aujourd’hui, Normapom Négoce exporte toujours ses pommes de terre en Espagne, mais également au Portugal, en Grèce, en Allemagne, en Roumanie, et la société cauchoise vise maintenant les Émirats arabes unis, Dubaï et le Qatar.
Caméras et trieur optique
« Depuis 2003, on s’est fait une clientèle régulière. Ils nous connaissent et savent ce que nous produisons. Nos pommes de terre sont plus jolies, de bonne qualité parce que la culture de la pomme de terre s’est développée tardivement dans la région et nos assolements sont de ce fait de meilleure qualité en respectant une rotation de six ans », ajoute l’agriculteur.
Normapom Négoce a investi un million d’euros dans une importante chaîne de lavage et de conditionnement avec des tables à rouleaux reliées à un ordinateur et une caméra pour visualiser les opérations de tri couplées à un trieur optique. À cela s’ajoutent les chambres froides et l’installation cette année d’un groupe froid qui fonctionne avec un nouveau fluide frigorigène, le CO2, moins polluant avec un système de récupération de chaleur pour le bâtiment de conditionnement, car en hiver les pommes de terre sont sensibles aux chocs lorsqu’elles sont trop fraîches !
Les pommes de terre bien brossées et lavées sont conditionnées d’abord en big bag, le plus facile à faire, puis en sacs de 10, 15 et 20 kg et expédiées soit par camions, soit par bateaux, comme pour la Grèce.
Des craintes pour 2021
« La pomme de terre est une culture à risque. Elle coûte cher à produire, de l’ordre de 6 000 € par hectare car il y a de lourds investissements », insiste Olivier Doutreleau. En 2020, les producteurs risquent d’avoir un prix assez moyen, en partie à cause d’une augmentation des surfaces de l’ordre de 10 % en France, toutes productions confondues (plants, fécules, industrie) et ils s’attendent aussi à une nouvelle hausse en 2021 avec les terres libérées par les liniculteurs, qui vont devoir réduire leurs surfaces en lin de 50 % l’année prochaine, et les planteurs de betteraves du Calvados à la suite de la fermeture de la sucrerie de Cagny. Une crainte de voir ainsi les marchés déstabilisés. Olivier Doutreleau ne cache pas son inquiétude face à ces perspectives liées à l’épidémie de coronavirus et à la conjoncture sur le marché du sucre.
En tout cas, l’agriculteur n’a pas souffert de la crise liée aux mesures de confinement. « En mars dernier, nous entamions la fin de la commercialisation de la récolte 2019. On a eu des clients un peu paniqués au début. Il a fallu travailler plus vite et livrer cinq à six camions par semaine et par client au lieu de trois camions en période normale, mais on a assuré », explique le responsable de Normapom Négoce qui compte quatre salariés à plein temps en CDI et quatre autres en CDD. Olivier Doutreleau entend bien poursuivre son développement sur les marchés à l’export où la société a acquis une solide expérience.