C’est la deuxième plus faible récolte de la décennie et la troisième plus petite de ces 25 dernières années. Avec 29,22 Mt, la moisson française de blé tendre a chuté de 26 % par rapport à l’été dernier. Un coup dur pour les céréaliers et l’économie nationale. « Au regard de l’effondrement des volumes de blé tendre récoltés cette année, les niveaux records atteints en 2019 ne sont malheureusement qu’un lointain souvenir », estime Michel Portier, directeur général du cabinet Agritel. Le rendement a, lui, atteint péniblement les 68,3 q/ha contre 79,1 q/ha l’an passé, en repli de 7,95 % par rapport à la moyenne olympique quinquennale. À l’image du blé tendre, toutes les cultures ont fortement souffert du climat ces douze derniers mois. Les précipitations automnales particulièrement abondantes et fréquentes ont rendu les conditions de semis en céréales très difficiles, voire impossibles, dans certaines zones. Les surfaces cultivées ont fortement diminué en blé tendre (-13 % par rapport à 2019) et en orges d’hiver (-7 % par rapport à 2019) selon les données du service de la statistique et de la prospective du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (SSP), au 1er août 2020. « La sécheresse record qui a ensuite sévi au printemps a généré des stress hydriques et dégradé les conditions de valorisation de l’azote », ajoutent FranceAgriMer et Arvalis dans un communiqué, expliquant ainsi l’effondrement des rendements. Il n’empêche : les régions betteravières (Hauts-de-France, Normandie, Grand Est) s’en sortent nettement mieux que le reste de la France, et leurs rendements en blé tendre sont supérieurs à la moyenne quinquennale 2015-2019 (voir les cartes ci-dessus).
Baisse généralisée
Du côté des orges, la production atteindrait 11,3 Mt (dont 7 Mt pour l’orge d’hiver) en retrait de 17,8 % par rapport à 2019 et de 3,5 % par rapport à la moyenne 2015-2019. « Aucune culture à l’échelle nationale ne permet de compenser la perte observée sur les cultures d’hiver », souligne Nathan Cordier, responsable analyses chez Agritel. Après des conditions de semis très compliquées au cours de l’automne, les producteurs comptaient se rattraper sur des cultures dites « de printemps » ou « d’été ». Des emblavements records d’orge de printemps ont été constatés avec 760 000 hectares, selon Agritel. Mais avec la sécheresse du printemps, la récolte s’est montrée décevante.
La tendance pour les autres cultures n’est pas meilleure. Malgré une légère hausse des surfaces en 2020 (+2 % par rapport à 2019), la récolte de blé dur annoncée à 1,3 Mt serait en recul de 28 % par rapport à la moyenne 2015-2019 et de 17 % sur un an, avec un rendement en forte diminution. La production de colza est, elle, estimée à 3,3 Mt contre 3,5 Mt en 2019 (-4,8 % sur un an et -35,7 % par rapport à la moyenne 2015-2019). L’évolution à la baisse de la production s’explique par la baisse du rendement qui est passée de 31,6 q/ha en 2019 à 29,7 q/ha en 2020, selon Agreste, le service de la statistique du ministère de l’Agriculture. Le rendement passe ainsi sous la barre des 30 q/ha. Une première depuis 2007.
La production de protéagineux baisserait pour sa part de 0,6 % sur un an mais augmenterait de 4,9 % par rapport à la moyenne 2015-2019. Les surfaces seraient en progression de 26,4 % sur un an mais les rendements baisseraient de 8 q/ha. La production de pois protéagineux reculerait de 2,2 % par rapport à 2019, celle de féveroles serait stable alors que la production du lupin doux progresserait de 139,7 %.
Les cultures d’été (maïs et tournesol) n’ont pas été épargnées par la sécheresse qui a frappé l’ensemble de la France, pénalisant les conditions de culture et les potentiels de rendements. Sur la période du 1er juillet au 15 août, les précipitations sont inférieures à la moyenne de ces dix dernières années, affirme Agritel. Les rendements sont donc attendus sous la moyenne des cinq dernières années alors que la moisson devrait débuter dans les prochaines semaines.
Du côté de la luzerne, la campagne a été marquée par un stress hydrique important durant le mois de juillet. « Les inquiétudes nées d’une première coupe décevante, avec des rendements au plus bas depuis 1993, se sont transformées en menaces réelles lors d’une seconde coupe toujours très en deçà de la moyenne cinq ans », note le groupe Désialis dans un communiqué du 26 août. Alors que la troisième coupe a démarré début août, la ressource fraîche en luzerne dont Désialis disposera pour la campagne 2020-2021 a déjà été sévèrement amputée. Le groupe a été contraint de suspendre les ventes de luzernes, sous la forme dite de « pellets standards », au moins jusqu’à fin septembre. Nous ferons alors un bilan en fin de campagne de production et vous aviserons d’un éventuel retour contrôlé sur le marché de ces pellets standards.
Une qualité globalement satisfaisante
Au milieu de ce panorama peu reluisant, la seule bonne nouvelle repose sur la qualité. Les organismes stockeurs ont majoritairement remonté de bons échos sur les principaux critères qualité du blé tendre, souligne Agritel. Ainsi, les taux de protéines seraient satisfaisants avec 84 % des volumes collectés dont le taux de protéine dépasse 11 %. Les poids spécifiques seraient également largement supérieurs à la norme, bien au-dessus des 76 kg/hl dans 98 % des cas.
Baisse attendue du solde commercial
Conséquence de la baisse de la production française de céréales, les volumes exportés devraient sensiblement reculer. Les volumes de blé tendre disponibles à l’exportation seront de seulement 13,2 Mt contre 21,4 Mt en 2019, soit le deuxième plus bas niveau depuis 2007, prévoit Agritel.
Vers les pays tiers, le volume d’export est attendu à un niveau de 6,3 Mt, soit bien inférieur à celui de la campagne 2019-20 où un nouveau record avait été battu avec 13,5 Mt.
La France devrait pouvoir compter sur des clients historiques comme l’Algérie mais également sur une destination nouvelle : la Chine, qui devrait contractualiser 1,15 Mt cette année, estime Agritel. Même recul vers les pays intracommunautaires. La France devrait connaître une de ses plus petites campagnes à l’export avec seulement 6,7 Mt. Il faut remonter à 2016-17 pour retrouver un niveau inférieur, rappelle le cabinet d’analyses de marchés. Au cours des dix dernières campagnes, la France a exporté en moyenne 7,18 Mt vers les voisins européens.
En 2019, selon les douanes, l’excédent commercial des céréales françaises avait atteint 6,2 Md€ – soit une progression de 0,4 Md€ pour la deuxième année consécutive –, porté par les exportations d’orge et de blé à destination des pays tiers. Mais cette année, la tendance va inexorablement s’inverser. La balance commerciale céréalière tricolore devrait sensiblement marquer le pas, d’autant que les cours de marché ont du mal à dépasser les 180 euros/t rendu Rouen.