Sondages, pétitions, tribunes et prises de parole dans les médias… Depuis le 6 août, la betterave est sous les feux de l’actualité. Ce battage médiatique a été déclenché par la proposition du ministre de l’Agriculture de permettre l’usage d’urgence et temporaire de néonicotinoïdes en enrobage de semences. Si l’annonce de Julien Denormandie a été un véritable soulagement pour les betteraviers, elle a provoqué la colère des ONG écologistes.
Cette dérogation, qui pourrait courir jusqu’en 2023, donnera un peu plus de temps pour trouver des solutions de remplacement efficaces pour lutter contre la jaunisse. Même la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a bien compris l’urgence de la situation. Alors qu’elle s’était battue en 2016 pour interdire les néonicotinoïdes en France, elle a déclaré le 12 août : « Des semis vont être faits dans six mois, si on n’a pas trouvé de solution, ils ne se feront pas et donc il n’y aura pas de betteraves et il n’y aura plus de filière sucrière en France. »
Cette modification législative permettra ni plus ni moins de recourir à l’article 53 du règlement européen n° 1107/2009, comme le font d’autres pays européens confrontés aux mêmes difficultés. Le gouvernement devrait donc présenter un projet de loi assez rapidement. Reste à voir ce qu’il contiendra et comment il sera accueilli par les parlementaires. Les discussions risquent d’être mouvementées, mais le sénateur Pierre Cuypers et le député Jean-Baptiste Moreau, qui ont tous les deux rallié des parlementaires pour défendre la pérennité de la filière, se montrent plutôt confiants.
Le timing est cependant assez serré. « On est dans une course contre la montre, afin que l’amont de la filière puisse prendre ses décisions d’assolement et organiser sa production à temps. Cela concerne tout autant l’agriculteur que les semenciers pour l’enrobage des graines », déclare Jean-Philippe Garnot, président de l’interprofession (AIBS). « Il faudrait que la dérogation soit acquise en octobre », ajoute François Desprez, président de la section betteraves de l’Union française des semenciers (UFS), qui s’est assuré auprès des fournisseurs de néonicotinoïdes de leur capacité à livrer les traitements de semences correspondants.
Les pertes de 2020 indemnisées
Moins polémiques, les autres points du plan gouvernemental sont tout aussi importants pour l’avenir de la filière. Le ministre de l’Agriculture a promis « un examen des pertes de rendement de la campagne 2020 et une indemnisation dans le cas de pertes importantes liées à cette crise de la jaunisse de la betterave dans le cadre du régime d’aide de minimis ». En clair, les aides sont plafonnées à 20 000 € par exploitation (en cumulé sur trois exercices fiscaux). Un montant qui ne sera pas suffisant pour les agriculteurs cultivant beaucoup de betteraves. Certains pourraient perdre en effet plus de 1 000 € par hectare. De nombreuses questions restent à traiter telles que la méthode d’évaluation des pertes, d’éventuels seuils de déclenchement ou franchise, le calendrier de versement des indemnisations… La filière évoque une perte de 150 à 200 M€ pour les planteurs français.
Cinq millions d’euros pour la recherche
Pour l’avenir, le gouvernement propose de renforcer les efforts de recherche afin d’accélérer l’identification d’alternatives véritablement efficaces. Associant notamment l’ITB et l’Inrae, une enveloppe de 5 millions d’euros issus du plan de relance sera fléchée « et mobilisable dès 2021 », indique le ministère.
« Deux semaines après les annonces du ministre, l’ITB et l’Inrae se sont rencontrés, sur le terrain, à Pithiviers, le 20 août, pour bâtir un programme de recherche collaboratif pour les trois années à venir, dévoile le président de l’ITB, Alexandre Quillet. Ce plan d’actions sera présenté aux ministres de l’Agriculture et de la Transition écologique fin septembre. »
Trois ans pour sortir des néonicotinoïdes, est-ce suffisant ? Le président de l’ITB en doute : « Je pense que ce sera trop juste pour trouver des variétés résistantes, d’autant que l’on vient de découvrir un quatrième virus (celui de la mosaïque) qui a été identifié pour la première fois dans la région Centre. Or les variétés les plus appropriées que nous testons actuellement ne possèdent une résistance qu’à un seul virus. »
Les défis sont immenses, mais on peut dire aujourd’hui que le problème de la jaunisse est pris à bras-le-corps. « Tout le monde a fait un beau travail, les demandes de la CGB ont été bien relayées par les JA et la FNSEA. Et puis nous avons eu un message commun avec les fabricants de sucre, se félicite le président de la CGB, Franck Sander. J’ai reçu beaucoup de messages de remerciement de la part d’agriculteurs après l’annonce du ministre, mais le dossier n’est pas encore gagné. Nous ferons tout pour que les planteurs retrouvent confiance pour semer l’année prochaine. Il y a une grosse pression des écologistes sur les réseaux sociaux. Pour nous, l’enjeu est de dire la vérité autour du fait qu’une filière confrontée à une impasse pour protéger ses cultures ne peut ni répondre aux enjeux économiques ni environnementaux. S’il y a derrière cela un véritable sujet de souveraineté alimentaire, c’est aussi en accompagnant les filières dans les transitions souhaitées que l’on réussira collectivement notre pari. »
Une chose est sûre : on va encore entendre parler de betteraves dans les médias cet automne.
Fact checking
Beaucoup de choses sont dites sur la betterave. Voici des réponses à cinq affirmations vues dans la presse.
1 – Il n’y aurait pas eu assez de recherche
L’ITB se préoccupe des pucerons et des viroses depuis 2010 avec la mise ne place de Vigibet mais les moyens de recherche se sont accentués depuis l’interdiction des néonicotinoïdes annoncée en 2016 : expérimentations en 2017 sur des insecticides foliaires (Teppeki et Movento) qui servent d’alternatives depuis 2019, projet ABCD durant quatre années (2018 à 2021) qui permet de tester des produits de biocontrôle, projet Extrapol avec l’Inrae durant quatre années (2019 à 2022) pour identifier et mieux connaître le couple pucerons-virus, et première année d’utilisation de l’OAD Alerte pucerons par les planteurs en 2019.
2 – Les alternatives existeraient déjà
Plusieurs pistes sont envisagées mais aucune n’est pour l’instant assez efficace.
Les variétés tolérantes sont prometteuses. Actuellement, deux variétés sont en cours d’évaluation en deuxième année avant inscription au catalogue, et deux sont en première année.
Les produits de biocontrôle sont évalués par l’ITB, notamment quatre substances naturelles et deux champignons entomopathogènes.
Les plantes de service sont également une piste. L’ITB évalue actuellement des graminées produisant des champignons qui libèrent dans le sol des toxines à effet insecticide ou insectifuge. Ces plantes, dites « endophytes », pourraient être utilisées en interculture avant betterave afin de limiter les infestations de pucerons.
3 – On pourrait planter des œillets d’Inde
L’idée serait de trouver une odeur susceptible d’incommoder le puceron, de sorte qu’il aille sur d’autres parcelles. Là encore, il faut faire des essais. L’ITB testera les plantes candidates, comme l’œillet d’Inde, et mettra en place des expérimentations visant à attirer les auxiliaires plus tôt dans les parcelles grâce à des bandes fleuries en bordure, ou à repousser les pucerons en dehors des champs de betterave avec des plantes répulsives.
4 – Les betteraves biologiques seraient moins touchées
Plusieurs témoignages de producteurs bio affirmant qu’ils sont peu touchés par la jaunisse ont été diffusés dans la presse. Quand on y regarde de plus près ces betteraves bio sont cultivées dans des zones peu touchées et sont aussi vertes que l’ensemble des parcelles conventionnelles du même secteur. En revanche, toutes les parcelles bio suivies par les délégués régionaux de l’ITB et situées en zone infestée sont bien touchées par la jaunisse virale.
5 – Le risque sur les insectes butineurs ne peut être maîtrisé
Les insectes butineurs, tels que les abeilles, ne sont jamais exposés aux néonicotinoides sur betterave. La betterave sucrière ne produit pas de fleur en première année de production, et n’offre donc ni pollen ni nectar aux pollinisateurs.
Elle est classée parmi les plantes produisant le moins de guttation. De plus, quand elle est présente en betterave, la guttation n’est plus observée en journée, lorsque les insectes pollinisateurs se déplacent pour butiner. Enfin, si la protection insecticide est efficace, la population de pucerons ne se développe pas, et les pollinisateurs ne peuvent donc pas être attirés par les exsudats de pucerons.
Les résidus dans le sol sont faibles (identifiés inférieurs à la limite de quantification de 10 μg/kg par l’Instituto Tecnológico Agrario de Castilla y León [Itacyl, qui dépend du ministère de l’Agriculture de Castille-et-León]) pour les deux molécules utilisées en betterave, à la fin de l’année N+1, soit après une betterave (traitée néonicotinoïdes) cultivée en année N, et suivie d’un blé (non traité) en N+1.