Certains parlent de 1929 ou de 1945. Vivons-nous une crise comparable ?
Nous sommes en guerre, mais c’est une guerre sans ennemi. Le coronavirus est quelque chose de naturel, une grippe tueuse, qui touche tout le monde. Il n’est pas question de demander des dommages aux chauves-souris de Wuhan, comme nous l’avons fait avec l’Allemagne après la première guerre mondiale. Et nous ne sommes pas en 1945, où les États-Unis étaient les gagnants et les plus riches, ce qui leur a permis de lancer et financer le Plan Marshall.
Dans cette crise, tout le monde devra être aidé pour éviter que la situation n’empire.
La première phase consiste à ce que l’économie ne s’effondre pas. C’est là que rentrent en jeu les aides, les crédits et les subventions. Il faudra ensuite que l’économie reparte. Cette deuxième phase n’a pas débuté et elle coûtera plus cher que la première. Cette crise n’est la faute de personne, mais elle profitera à ceux qui prendront les bonnes mesures.
Quel est le plus grand risque économique de cette pandémie ?
Le premier ennemi est la déflation, c’est-à-dire une perte d’activité qui engendre la baisse des prix. La déflation, c’est une crise de trésorerie mondiale, c’est la période des rabais car la demande n’est plus là.
En Europe, les politiques font en sorte de soutenir les trésoreries et l’emploi, pour que le chômage n’explose pas. Regardez les États-Unis qui ont déjà perdu 22 millions d’emplois en mars. Là-bas, les gens sont remerciés dans la journée, y compris du personnel médical car certaines cliniques privées ont des problèmes d’argent.
Quand l’État garantit les crédits, c’est bien pour que les entreprises réinvestissent et que les consommateurs achètent. Tout cela est fait pour éviter que beaucoup d’entreprises ne meurent.
Mais on va creuser le déficit et il faudra bien rembourser un jour…
L’argent que l’on donne aujourd’hui, c’est du crédit bancaire que personne ne va payer demain. La dette sera payée en fait par la croissance économique future et par l’inflation.
Les salariés au chômage partiel vont être payés par l’État. Le déficit budgétaire va augmenter et le ratio dette sur PIB va passer à 130 %. Et l’on pourrait dire : sur ces 130 %, il y a 30 % qui viennent du covid-19. Il y aurait alors deux catégories de dette publique : la dette normale et la dette venant du virus.
Je propose que les milliards d’euros de dettes que la pandémie aura fait peser sur la France et ses voisins soient rachetés par la Banque centrale européenne (BCE), à 0 %, sur 100 ans et remboursables à l’échéance. Bien sûr le bilan de la BCE va devenir énorme. Donc, chaque État mettra de côté chaque année un pourcent de la somme, qu’il placera, pour rembourser à la lointaine échéance. Ainsi sera garantie la qualité de la créance de la BCE et l’euro tiendra.
L’endettement public ne risque-t-il pas de siphonner les liquidités et les banques ne prêteront-elles pas qu’aux entreprises les plus solides ?
Non ici on ne parle pas de stock d’argent dans lequel on puiserait, mais de découvert bancaire : c’est la création monétaire. On fait un crédit à une personne, à une entreprise, à l’activité économique. Une entreprise ou un agriculteur qui a un bon projet trouvera toujours du financement. Les banques ont alors une garantie de la BCE qui va faire du crédit sans limite.
Les menaces sur l’équilibre des finances publiques peuvent-elles déboucher sur un budget européen de la PAC plus faible que ce qui était envisagé ?
Oui c’est un risque. Mais si c’est mal fait, cela sera catastrophique. C’est bien de faire de l’écologie, mais la priorité est de renforcer la sécurité alimentaire de l’Europe. L’accumulation d’annonces de restrictions à l’exportation, du Vietnam au Kazakhstan, nous fait prendre conscience de l’importance de la souveraineté alimentaire. On se rend compte aujourd’hui que la priorité est la sécurité alimentaire, puis la sécurité sanitaire et la sécurité financière. Si vous n’avez pas la première, vous n’aurez pas la seconde et si vous n’avez pas la seconde, vous n’aurez pas la troisième. Il faut donc mettre la PAC en haut de la pile des priorités.
Que faut-il faire pour assurer la souveraineté alimentaire ?
Aussi longtemps que les agriculteurs ne gagneront pas leur vie, il y aura des problèmes.
Quand l’économiste Ricardo, au 19e siècle, a proposé aux pays de se spécialiser – à l’Angleterre l’industrie et au Portugal l’agriculture – c’est pour que les ouvriers anglais très peu payés puissent manger pour pas cher ! Au détriment des agriculteurs ! Cette théorie de l’avantage comparatif s’est retrouvée après la 2e guerre mondiale : à l’Allemagne l’industrie et à la France l’agriculture subventionnée, pour nourrir toute l’Europe.
Les agriculteurs préfèreraient ne pas recevoir d’aides, mais la PAC est indispensable car ils ne pourraient pas vivre sans elle. Il faut bien payer le fait d’avoir organisé une sous-rentabilité du système agricole en permettant à la grande distribution de prendre des marges énormes et de capter la valeur. Ce n’est pas tenable, moins encore si ce n’est pas sûr !
Propos recueillis par François-Xavier Duquenne
Vous pouvez retrouver le décryptage de l’économie par Jean-Paul Betbeze sur www.jpbetbeze.com