1) Les enseignements du passé

Une hausse des températures profitable à la végétation

Jusqu’en 2010, le rendement des betteraves a progressé à un rythme soutenu, proche de 2 % par an au niveau national. Une précédente étude de l’ITB avait montré que cette évolution s’explique par des progrès génétiques, une amélioration des techniques culturales mais aussi pour moitié par l’évolution climatique. En moyenne sur les principales stations climatiques de la zone betteravière, l’augmentation constatée de température au printemps est de 0,04 °C/an pour la période de 1990 à 2015. Cette augmentation de température stimule en phase précoce la croissance du bouquet foliaire et permet d’atteindre le stade « couverture foliaire » plus tôt. L’interception du rayonnement lumineux converti par la plante en biomasse est alors optimisée, ce qui accroît l’accumulation de sucre dans la racine. Le réchauffement au printemps a également entraîné une avancée des dates de semis, permettant d’augmenter la durée de végétation : depuis 1990, les dates moyennes de semis sont passées du 5 avril au 25 mars, soit dix jours de végétation supplémentaires correspondant à un gain potentiel de 5 % de rendement.

Un effet bénéfique de la teneur atmosphérique en CO2 ?

De nombreuses publications scientifiques démontrent que l’augmentation de CO2 aura probablement un effet positif sur la productivité. L’augmentation de CO2 augmente la photosynthèse, principalement pour les plantes en C3 (blé, colza, betterave, etc.) comparativement aux plantes en C4 (maïs, canne à sucre). L’ordre de grandeur de cet effet serait un gain de 10 à 20 % du potentiel de production de biomasse pour un accroissement de 150 ppm de teneur atmosphérique en CO2, valeur projetée pour l’année 2050.

Pas de stade critique vis-à-vis des stress climatiques

La betterave reste au stade végétatif jusqu’à la récolte. Ainsi, elle ne présente pas de stade physiologique critique vis-à-vis des stress climatiques, température excessive ou défaut d’alimentation en eau, à la différence de la majorité des autres cultures de la rotation (transition florale du maïs, stade limite d’avortement du pois, méiose pollinique et fécondation des céréales, remplissage des grains…). En première approche, la betterave présente donc une certaine résilience vis-à-vis du réchauffement climatique.

Le réchauffement climatique accroît aussi les risques

La courbe de progrès de rendement s’infléchit depuis 2010 avec un niveau variable selon les régions en fonction du risque de stress hydrique et du cortège de bioagresseurs présents. Le changement climatique agit sur les composantes biotiques du système de production – plante cultivée ou ensemble des bioagresseurs – mais aussi sur le potentiel agronomique des sols (ressource en eau, en éléments minéraux…). Au niveau national, l’évolution du rendement est stable depuis 2010. Néanmoins, certaines régions continuent de voir leur rendement augmenter. C’est le cas par exemple de la Seine-Maritime comme illustré en figure 2, qui est peu affectée par les stress biotique et abiotique : peu de pression liée aux bioagresseurs, ressource en eau disponible. Dans ce département, le progrès de rendement est continu.

2) Impact sur l’itinéraire technique

Implantation de la culture

Les semis de la culture de betterave pourraient être plus précoces, sans risque accru de montée à graines. La bonne implantation de la culture est également conditionnée par la restructuration du sol en cours d’hiver, favorisée par des épisodes de gel durables et suffisamment marqués : températures minimales de l’ordre de -6 à -8 °C, sans dégel en journée, pendant cinq jours au minimum pour que le gel descende et agisse sur l’ensemble de l’horizon labouré. L’absence de gel pourrait donc être défavorable à l’implantation et nécessiter un travail du sol plus énergique avant les semis, d’autant plus si les hivers restent pluvieux et favorisent la prise en masse des sols. Cette évolution climatique pourrait être particulièrement sensible dans les parcelles en sols argileux, pour lesquelles le passage de l’hiver contribue fortement à la fissuration des mottes et à la restructuration du sol.

Fertilisation azotée

La minéralisation de l’humus résulte de l’activité microbienne, elle a besoin de bonnes conditions d’humidité, elle est par ailleurs dépendante de la température du sol. En conséquence, la hausse des températures doit logiquement se traduire par une augmentation du potentiel de minéralisation de l’azote dans le sol et donc une augmentation de la quantité d’azote disponible pour la betterave. Pour se projeter, la combinaison des modèles climatiques du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et de modèles de culture est une approche intéressante pour évaluer les retombées du changement climatique sur la culture. L’ITB a donc utilisé le modèle sol-atmosphère-culture STICS (simulateur multidisciplinaire pour les cultures standards), développé par l’INRAE, pour un type de sol de limon. Les simulations ont été réalisées en comparant le climat actuel (2010-2019) et le climat du futur proche (2031-2040) d’après les scénarios du GIEC. La variable simulée dans la figure 4 correspondant à la minéralisation de l’azote humique et organique. Les minéralisations cumulées depuis le début d’année jusqu’au 31 octobre s’avèrent très proches, en moyenne, pour les deux scénarios climatiques (climat actuel/climat du futur RCP_4_5). En revanche la variabilité entre années climatiques s’accentue lors de la période estivale pour le climat 2031-2040. Par conséquent, même si les augmentations de température conduisent à un potentiel de minéralisation du sol plus important (environ +15 kg/ha pour une augmentation de température de 1 °C), l’augmentation de l’occurrence d’années sèches limitera probablement ce potentiel de minéralisation.

Bioagresseurs

Le changement climatique touche de même les populations de ravageurs, de pathogènes et d’adventices. Les dynamiques des populations et les aires de répartition des bioagresseurs seront modifiées.

Les adventices se différencient par leur potentiel compétitif en conditions sèches ou chaudes. Des conditions sèches profiteront aux chénopodes, des conditions humides seront propices aux ombellifères. Le réchauffement climatique pourrait aussi entraîner un risque de perte d’efficacité des produits racinaires en cas de manque d’humidité au printemps alors même que certains produits de contact sont menacés de non renouvellement d’homologation. Lors de printemps secs comme en 2010 et 2011, l’efficacité du désherbage est moindre dans les parcelles betteravières (figure 5). Cette situation nécessitera de recourir plus systématiquement au désherbage mécanique pour compenser la moindre efficacité des herbicides lors de printemps secs. La flore adventice est susceptible d’évoluer également, avec de nouvelles adventices qui ne sont pas actuellement présentes en betterave.

Concernant les bioagresseurs, certains ravageurs sont inféodés à des étés secs, tels que la teigne, les acariens, et les punaises. Ils pourraient être favorisés par le réchauffement. Toutefois, les auxiliaires devraient aussi se développer plus rapidement et agir plus tôt en saison.

Les maladies fongiques peuvent aussi évoluer : les conditions humides et chaudes favorisent la cercosporiose, les fontes de semis ou le rhizoctone brun. L’évolution du climat risque donc d’entraîner une évolution du cortège de bioagresseurs ainsi que de leur répartition au sein du territoire.

Stress hydrique et irrigation

D’après les scénarios du GIEC 2014 (scénario intermédiaire dit RCP_4_5), l’enjeu stress hydrique serait peu significatif en été dans la zone betteravière française. Toutefois si la pluviométrie moyenne annuelle sur le territoire betteravier ne devrait pas connaitre d’évolution remarquable, sa régularité pourrait être davantage remise en cause. L’irrigation, qui concerne actuellement 12 % de la sole betteravière, pourrait donc être en augmentation.

3) Rôle de la betterave dans l’atténuation du changement climatique

L’activité agricole est à l’origine de retombées environnementales qui génèrent des modifications du climat. à l’inverse l’agriculture contribue aussi à freiner l’évolution du climat, et la betterave dispose de plusieurs atouts.

Tout d’abord, la consommation d’énergie fossile et plus largement la contribution aux émissions de gaz à effet de serre, a diminué en betterave grâce à la baisse des doses d’engrais minéraux azotés apportés à la culture. Les apports d’azote minéral se font très majoritairement sous forme d’ammonitrate, moins consommateur en énergie fossile que l’urée lors de sa production. La contribution à la fertilisation azotée des produits organiques, dont les effluents et coproduits de la filière, contribue à réduire la facture énergétique de la culture. De plus, même si elles ne sont pas majoritaires en exploitations betteravières, les conduites culturales de type techniques de conservation des sols (TCS) réduisent la consommation de carburant. Au final : en 2003, 3,6 tonnes de CO2 étaient émises pour la culture d’un hectare de betterave contre 2,3 tonnes en 2014.

La betterave contribue également au stockage de carbone dans le sol par l’enfouissement des feuilles. Cela représente une contribution brute annuelle de 400 à 500 kg d’humus/ha, soit entre 200 et 300 kg de C/ha.

Faut-il sacraliser l’animal ?
Dates de semis des betteraves depuis 1990 (figure 1) ©ITB

Faut-il sacraliser l’animal ?
évolution des rendements en Seine-Maritime depuis 1997 (figure 2) ©ITB

Faut-il sacraliser l’animal ?
Evolution des rendements depuis 1997 au niveau national (figure 3) ©ITB

Faut-il sacraliser l’animal ?
Simulation de la minéralisation de l’azote du sol avec le modèle Stics (figure 4) ©ITB

Faut-il sacraliser l’animal ?
Bilan annuel de la propreté des parcelles de betterave vis-à-vis du désherbage (figure 5) ©ITB

CE QU’IL FAUT RETENIR

Le changement climatique agit sur la croissance des betteraves, sur la disponibilité en eau, la pression des bioagresseurs ou encore la fertilité des sols et leur état structural.

S’il est difficile d’évaluer comment évoluera la pression biotique, le principal levier sera génétique, avec des variétés mieux adaptées aux nouveaux cortèges de bioagresseurs.

Les résultats des simulations doivent être analysés avec précaution compte tenu des incertitudes qui pèsent sur les scénarios climatiques. Pour la pluviométrie, les projections climatiques sont plus incertaines que celles concernant la température.

Parmi les grandes cultures, la betterave est une culture résiliente face aux évolutions du climat.