Le monde agricole est en plein bouleversement. Dans ce contexte, quels rôles doivent avoir les chambres d’agriculture ?
Un de nos objectifs est de créer de la valeur pour essayer de sortir les agriculteurs du marasme économique. C’est un des trois axes que nous avons fixés en juillet 2019 avec notre plan stratégique à 2025. Si le rôle des syndicats agricoles et des groupes coopératifs est de porter des projets de filière, celui des chambres se situe sur les territoires. Cela peut être sur les circuits courts, comme avec Bienvenue à la ferme, ou des projets avec cinq à dix agriculteurs, qui ont vocation à devenir plus larges demain. Nous accompagnons les projets pour permettre aux acteurs de se fédérer et d’aller chercher des subventions. Notre force est d’avoir un maillage territorial très fin pour identifier des projets créateurs de valeur.
Vous situez-vous dans la continuité de votre prédécesseur ?
Je suis dans la pleine continuité de Claude Cochonneau puisqu’il m’avait confié la mission de définir ce projet stratégique avec les chambres. Nous avons mis en place un projet ambitieux en cohérence avec les attentes de la société et la demande du gouvernement. Trois axes ont été définis : accompagner l’agriculture dans ses transitions économiques, sociétales et climatiques, créer de la valeur, et restaurer le dialogue entre agriculture et société. Nous allons signer des objectifs avec les chambres d’ici au mois de mars et espérons signer un contrat d’objectifs avec l’État avant l’été.
Pouvez-vous concilier un accompagnement économique et environnemental ?
On ne peut plus conduire les agriculteurs vers des améliorations environnementales sans maintenir une stabilité économique, et inversement. C’était malheureusement le cas des mesures agroenvironnementales (MAE). Ce n’est plus possible aujourd’hui. Il n’y a plus de marge de manœuvre dans nos exploitations. Cela nécessite un travail individuel différent pour aider chaque exploitation à retrouver des projets conciliant création de valeur et environnement.
Comment allez-vous mettre en œuvre ce projet stratégique ?
Nous avons 8 000 collaborateurs dans notre réseau de 103 chambres, doté de près de 750 millions d’euros de budget. C’est une force de frappe conséquente. Le rôle de l’APCA est d’animer et de suivre le projet, avec des objectifs et des indicateurs précis. Les dossiers seront menés par chaque chambre. Nous serons obligés d’introduire de la fermeté. Nous avons échappé in extremis à une importante coupe budgétaire lors du dernier projet de loi de finances, en montrant l’utilité de notre projet. Il faudra des résultats. L’échec n’est pas une option. Si nous ne réussissons pas ce projet, les chambres seront en grande difficulté et l’agriculture française aussi.
Cela doit-il passer par une réorganisation ?
Nous avons un travail de priorisation de nos missions à effectuer. Nous allons être obligés d’en abandonner certaines. Nous devons éviter certains doublons, comme sur la recherche. Les chambres doivent travailler davantage avec les instituts techniques, par exemple. Il faudra aussi savoir faire payer le juste prix de nos prestations et garder les ressources de l’impôt pour aider les agriculteurs à mener les transitions.
Comment pouvez-vous aider les agriculteurs à retrouver une meilleure image auprès de la société ?
Nous envisageons de former 600 élus, 600 collaborateurs et 600 agriculteurs, soit 1 800 personnes, pour les aider à développer une communication positive. L’enjeu est de restaurer le dialogue avec la société pour expliquer à quoi sert l’agriculture, montrer l’intérêt de nos pratiques, sans répondre frontalement à l’agribashing. Il faut regrouper nos moyens de communication dans le monde agricole pour gagner en efficacité.
Les agriculteurs disent qu’ils font des efforts sur la baisse des phytos, mais les résultats tardent à arriver. Que pouvez-vous faire ?
Arrêtons de communiquer sur des grands chiffres. Les chambres s’engagent résolument sur ce sujet, mais nous ne pouvons pas changer brutalement de système. Je pense qu’il vaut mieux accompagner 80 % des agriculteurs vers la réduction de 5 ou 10 % de produits phytosanitaires, plutôt que d’aller chercher une élite qui va abandonner 90 % des phytos au risque de créer une agriculture à deux vitesses. Il faut créer un cercle vertueux, tout en gardant une rentabilité économique et une vision pragmatique.
Comment jugez-vous l’ambition de la France et de l’UE pour la PAC Post-2020 ?
Pour certains pays, l’agriculture n’est plus au centre de leurs préoccupations. Je suis étonné de voir que le Green Deal – la politique bas carbone de l’UE – parle très peu d’agriculture. Notre secteur est pourtant une source de solutions contre le changement climatique. En revanche la vision française est en train de se structurer. Le débat sur le plan stratégique national (PSN) semble aller dans le bon sens. Le ministre de l’Agriculture a porté une vision rassurante, lors du Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire (CSO) le 5 février dernier, en parlant de compétitivité et de développement économique. Il a également évoqué le besoin d’adaptation face au changement climatique, aussi bien sur le volet assurantiel que sur la prévention des risques, comme le stockage de l’eau. Il faudrait aller encore plus loin : la PAC devrait pouvoir aider les agriculteurs qui prennent des risques, comme on le fait déjà pour la conversion en agriculture biologique.
Quel regard portez-vous sur les difficultés de la filière betteravière ?
J’ai vécu le désastre de la fermeture de Cagny en tant que président de la chambre d’agriculture de Normandie. Comme betteravier, je me suis engagé dans l’OP d’Étrépagny car je pense que nous avons besoin de tisser des relations équilibrées avec un industriel pour maintenir durablement des surfaces de betteraves. En tout état de cause, il faut recréer le lien fort entre l’amont et l’aval, qui a été la vraie force de la filière betterave sucre dans le passé. Les tensions sont liées à un contexte économique très compliqué, mais je suis convaincu que la filière saura rebondir.
Pourrait-elle rebondir au niveau technique si on lui retire des moyens de production ?
Le chemin est semé d’embûches. La décision du conseil d’État, qui revient de facto à interdire les variétés issues de la mutagenèse, est un vrai scandale. On ne peut pas demander aux agriculteurs d’arrêter d’utiliser des produits phytosanitaires et leur refuser de nouvelles techniques. Et nous allons continuer à importer du sucre qui sera produit avec des produits et de la génétique qui seront interdits chez nous. Je ne comprends pas cette vision sur la mutagenèse qui date d’une autre époque !
Propos recueillis par François-Xavier Duquenne et Adrien Cahuzac