Cocorico ! Deuxième producteur européen de pommes de terre derrière l’Allemagne, la France est aussi un champion sur la scène internationale. Elle est le premier exportateur mondial du secteur : 47 % des 6,376 millions de tonnes (Mt) de pommes de terre produites durant la campagne 2018-2019 ont été exportées aux quatre coins du monde. Un record ! En l’espace de trois ans, les exportations tricolores n’ont cessé de progresser. De 2,2 Mt en 2015-2016, elles ont bondi à 3,017 Mt en 2018-2019. Selon l’Union nationale des producteurs de pommes de terre (UNPT), la moitié est destinée au marché du frais et l’autre à la transformation. La France a également de solides positions sur le marché des plants. Avec 221 500 tonnes en 2018-2019, nous sommes le deuxième exportateur mondial du secteur derrière les Pays-Bas avec 770 000 t, selon la Fédération nationale des producteurs de plants de pommes de terre (FN3PT). « Les exportations ont doublé en quinze ans. Près de 50 % sont exportées vers l’Union européenne, la première destination étant la Belgique », souligne Bernard Quéré, le directeur général de la FN3PT.
Ces exportations sont un atout pour le commerce extérieur français. Leur montant global a représenté 763,3 millions d’euros en 2018-2019. La balance commerciale des pommes de terre en l’état et transformées s’est quant à elle élevée à 343,87 millions d’euros, contre 60,81 millions d’euros en 2017-2018, selon les chiffres des Douanes.
L’appel de la transformation belge
La Belgique est de loin notre premier client. Les exportations vers le royaume sont passées de 950 000 t en 2015-2016 à 1,468 million de tonnes en 2018-2019 selon l’UNPT, représentant l’essentiel de la hausse des exportations françaises de pommes de terre. « La croissance de la demande belge pour alimenter les usines de transformation a été plus forte que nos prévisions. Nous sommes arrivés aujourd’hui à ce que nous avions prévu pour 2025 », explique Bertrand Ouillon, délégué du Groupement interprofessionnel pour la valorisation de la pomme de terre (GIPT). De nouvelles usines de frites surgelées (lire l’enquête ci-après) devraient sortir de terre dans les prochaines années et augmenter encore la demande. Le GIPT évoque 500 000 tonnes supplémentaires à fournir d’ici cinq ans. Les débouchés vers l’Espagne, notre deuxième pays destinataire, ont en revanche baissé de 11 % en 2018-2019 et ne pèsent que 540 000 tonnes, devant l’Italie, également en baisse (-18 %), à 290 000 tonnes.
À court et moyen terme, il y a peu de chances que la demande des industriels belges pour nos pommes de terre ne s’effrite, estiment les professionnels. Ils connaissent un accroissement fort de leurs ventes de produits transformés (des frites essentiellement) qui ne semble pas prêt de se tarir. Selon l’organisation belge des transformateurs Belgapom, la classe moyenne toujours plus importante en Asie et en Amérique latine stimule la demande pour les produits alimentaires finis, notamment les frites surgelées. « Sur sept milliards d’habitants dans le monde, seulement un milliard, qui peuplent l’Union européenne et l’Amérique du Nord, n’augmentent plus leur consommation de frites. Il reste six milliards pour lesquels la consommation de frites peut s’accroître », estime Bertrand Ouillon. L’Asie, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Amérique du Sud font partie des zones où la consommation augmente le plus. Si les différends commerciaux entre la Chine et les États-Unis se poursuivent, cela pourrait représenter un potentiel pour les pommes de terre européennes. « Nos coûts de transport sont plus faibles qu’aux États-Unis. Nous sommes très près des ports et le coût du fret maritime reste très attractif », constate Pierre Lebrun, le coordinateur de la Filière wallonne de la pomme de terre (Fiwap). Ainsi, l’Amérique du Sud, plus proche des États-Unis, est pourtant un débouché important des pommes de terre surgelées européennes. « Il y a des courants d’échanges. Nous leur vendons des frites surgelées et eux nous envoient de la viande bovine », explique Bertrand Ouillon.
Des ventes sous contrats
Ces exportations massives de pommes de terre fraîches ou transformées représentent un intérêt pour les agriculteurs français. Non seulement elles absorbent une part croissante de leur production, permettant de limiter les effets d’éventuelles surproductions, mais elles lissent aussi leur revenu. Entre 70 et 80 % des pommes de terre achetées pour la transformation sont sous contrats. « Il y a une dizaine d’années, la majorité des achats se faisait sur le marché libre. Mais pour sécuriser leurs approvisionnements en quantité et qualité, les industriels privilégient aujourd’hui des contrats », affirme Bertrand Ouillon.
Malgré ces débouchés en croissance à l’export, les filières pommes de terre françaises et belges ne doivent pas s’endormir sur leurs lauriers. « Il faut anticiper et envisager d’autres marchés possibles », estime Pierre Lebrun, de la Fiwap. Car les menaces commencent à pointer leur nez : l’économie mondiale semble connaître un retour au protectionnisme de certains pays, comme les États-Unis, mais pas seulement. Le Brésil et la Colombie ont augmenté leurs droits de douane ces dernières années, pour protéger leurs filières de pommes de terre. Et rien ne dit qu’un jour la Chine, actuellement très demandeuse, ne fasse la même chose. Il y a déjà du protectionnisme sur la fécule depuis dix ans, rappellent les professionnels français.
Des incertitudes demeurent aussi quant au transport maritime. « D’ici dix ans, la question est de savoir comment va évoluer le coût de l’énergie et les conséquences sur le renchérissement du transport maritime », estime Alain Dequeker, secrétaire général de l’UNPT et producteur de pommes de terre dans le Nord. Nos marchés sur le grand export pourraient diminuer en raison du renchérissement des coûts de transports. « Ajoutés à cela, nos coûts de production vont continuer à progresser, en raison de l’augmentation croissante des interdictions de produits », ajoute-t-il.
Une charte pour l’exportation
Dans le frais, la concurrence de nouveaux pays producteurs européens menace. Certains commencent à marcher sur nos plates-bandes. « C’est le cas sur le marché italien, où la Pologne arrive à se positionner avec des prix plus intéressants que les nôtres, même si la qualité n’est pas encore au rendez-vous », assure Grégoire Machenaud, directeur général du cabinet d’études Klorobiz.
Luc Chatelain, le nouveau président du Comité national interprofessionnel de la pomme de terre (CNIPT), milite pour la création d’une charte d’exportation. « L’origine et la qualité française sont reconnues. Il faut se fédérer pour rassembler notre offre. Si nous partons en ordre dispersé, ce sera des marchés perdus », avance-t-il. « Ne pas s’entendre entre les différents maillons de la filière fait le jeu de nos concurrents », lance pour sa part Alain Marguin, son prédécesseur à la tête du CNIPT. Les professionnels français sont prévenus.