L’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) le constate : les effectifs de lapins de garenne sont globalement en forte baisse depuis plus de 25 ans. Les prélèvements cynégétiques étaient de 13,5 millions en 1974-1975, 6,4 millions en 1983-1984 et 3,2 millions en 1998-1999. Depuis, la chute se poursuit. C’est au point que l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) a classé le lapin de garenne comme une espèce quasi menacée, fin 2017 !
Certes, cet organisme est adepte du principe de précaution. Il voit plutôt le verre à moitié vide que le verre à moitié plein. Mais quelle évolution pour un gibier qui au lendemain de la seconde guerre mondiale était tellement prolifique qu’on le détruisait partout ! Aux grands maux les grands moyens : c’est le docteur Armand Delille qui, en 1952, voulant éradiquer l’espèce dans sa propriété de Maillebois (Eure-et-Loir), introduisit le virus de la myxomatose. Partant de là, le virus devait coloniser toute l’Europe, Royaume-Uni inclus, en décimant les populations, la mortalité ayant alors été estimée à 95 %. Une tragédie pour les chasseurs mais un bienfait pour les forestiers et les agriculteurs. Dans son bureau le docteur Armand-Delille montrait d’ailleurs avec fierté la médaille qu’il avait reçue de l’administration des Eaux et Forêts. Ensuite le lapin de garenne espèce rustique et hautement reproductive se refit une santé. L’espèce se mithridatisa contre le virus. Le lapin à la tête déformée par la maladie, les yeux pleins de pus et exorbités, ne mourut plus. Il finit par guérir et seules quelques cicatrices témoignèrent de la terrible épreuve. Il revint même tellement qu’on put le classer comme espèce nuisible dans certains départements.
Les raisons du déclin
Mais cette embellie fut de courte durée. Aujourd’hui, dans certaines régions, le lapin est devenu une rareté. En Normandie, par exemple, et plus généralement dans tout le secteur nord ouest du pays. Pour quelles raisons ? Le statut de nuisible : le lapin est susceptible de commettre des dégâts aux cultures et plantations forestières. Pour cette raison il est classé nuisible dans de nombreux départements. Les possibilités de destruction qu’offre ce classement peuvent lui nuire.
La prédation : le lapin figure parmi les principales proies de nombreux prédateurs terrestres. C’est surtout le renard qui est sur la sellette. Il grouille partout. Les candidats au piégeage se raréfient et le goupil prolifère tellement qu’on le voit maintenant jusqu’au coeur des grandes villes.
Les pathologies : les trois principales affectant le lapin sont la myxomatose, la maladie hémorragique virale du lapin (RHD) et la coccidiose. Dans l’ouest de la France, ces trois maladies interviendraient dans des proportions à peu près identiques. Si, comme nous l’avons vu, les retombées de la myxomatose sont aujourd’hui moindres, celles de la RHD peuvent être très fortes.
L’habitat : en une cinquantaine d’années, nous sommes passés d’une situation où le lapin grouillait à la peau de chagrin. L’espèce est confinée dans des poches plus ou moins isolées les unes des autres là où le milieu est resté favorable et où sa présence est tolérée par le monde agricole. Cette population fragmentée devient plus vulnérable. L’évolution du milieu : l’évolution du paysage rural n’a pas favorisé Jeannot. L’agrandissement de la taille moyenne des parcelles, la destruction des haies et bosquets qui constituaient des refuges et la mise en place de cultures très sensibles aux dégâts l’ont rudement secoué. Les sociétés de chasse réagissent en créant des garennes artificielles à base de palettes. C’est bon pour la reproduction. Encore faut-il que lorsque le lapin sort de son palace cinq étoiles il trouve un milieu favorable.
En ville
Bizarrement, ce milieu qui lui convient, il le trouve parfois en ville. Il n’y a pas si longtemps, sur la pelouse du rond-point de la porte Maillot, à Paris, on en voyait des quantités. Ce rond-point, comme des dizaines d’autres secteurs de la capitale, est aujourd’hui en chantier, fin de l’histoire.
On en voyait aussi en bordure du boulevard périphérique et au bois de Boulogne où la municipalité l’a éradiqué. Sur certains aéroports comme Roissy les densités étaient si élevées qu’il fallut sévir. Même chose dans les parcs publics, à Bordeaux, où la municipalité au printemps dernier en a extrait quelques centaines.
En fait, le lapin de garenne ne demande qu’à vivre en père peinard. Il lui faut de l’herbe, de la friche, un sol suffisamment meuble pour creuser terriers et rabouillères, pas trop de dérangements et peu d’ennemis. Un lapin vit sur trois ou quatre hectares, exceptionnellement huit ou dix.
On estime qu’une lapine peut mettre bas cinq ou six fois durant l’année. Si l’on compte six lapins par portée, on peut vite se retrouver avec trente nouveaux lapins en un an. Si l’environnement est favorable et que les maladies restent épisodiques, l’espèce peut reconquérir rapidement
le terrain perdu. D’ailleurs le lapin continue à grouiller sur certaines îles du littoral et dès que le milieu redevient favorable l’espèce explose. Allez les gris !
ÉRIC JOLY